mercredi 26 octobre 2016




Tjilatjap

25 octobre 1937

J’ai bien reçu ta 172 et te remercie de tous les compliments que tu me fais. C’est même Buby qui a trouvé qu’il devait prendre le parti de sa femme, il a dit, oui, mais si toi tu écris 2 fois les mêmes choses, la Mothere les écrit bien 6 fois !!! Hein ? qui est-ce qui perd le filon ? Mais tu as raison, tu peux bien te moquer de moi, c’est salutaire et j’en ai besoin quelque fois. J’avoue que les derniers temps à Batavia je vivais trop en l’air, toujours j’avais du monde qui venait me déranger, toujours je partais, je sortais, je gondlais (flâner en ville), c’était fantastique. Ici je commence aussi déjà, mais je vais tout de même me prendre en main un peu plus.
Nelly le 8.8.1937

Pour le moment j’ai encore toujours la visite de Mily et j’en profite pour aller baigner tous les matins. Nous partons à 7 heures de la maison pour faire une demi-heure de marche sur la plage, on pourrait y marcher pendant des heures et des heures, toujours sur du beau sable noir, ensuite baigner une demi heure, déjeuner, fumer une cigarette (qui ? Nelly ou Mily ?) et puis rentrer. Vers les 10 heures nous sommes généralement à la maison où mes devoir de ménagère m’attendent. Quant à engager encore 3 Minas (l’aide de ménage de Rose) quand je viendrai, il y aura peut être bien quelque chose de vrai là-dedans, mais sûrement pas pour plus d’une semaine. J’y pense toujours ici aussi et on m’a déjà souvent fait la remarque combien moi j’étais restée européenne, que je m’attelais toujours avec beaucoup d’énergie à mes tâches.
Maintenant pour en venir à John et Jans. Premièrement ils ne demeurent pas à Bandoeng, c’est seulement la mère de John qui y demeure, et c’est une si vieille vache que je ne tiens plus à la voir de toute ma vie. John a maintenant quitté Solo et a trouvé une place dans une fabrique de sucre aux environs de Solo. Je ne sais pas si je t’avais écrit que Jans devait tellement souffrir, qu’il était méchant avec elle. Il y a 1 année et demie que j’ai écrit toute l’histoire à Kitty. Ces deux, John et Jans donc, retombent lentement dans la vie javanaise. Vous savez qu’ils sont les deux des demi-sangs, Jans a commencé à faire des dettes et à emprunter de l’argent partout, partout, parce qu’elle n’arrivais pas avec l’argent que John gagnait à payer leur train de vie. Par cela John a commencé à perdre confiance en elle, à la soupçonner, à la détester et à aller avec d’autres femmes. Maintenant il est dans les mains des femmes javanaises, il vit avec une ancienne baboe de Jans et une fois qu’un homme commence ainsi, il est presque perdu pour la vie européenne. C’est un tas de problèmes que je ne peux pas bien vous expliquer par lettre, il faut avoir vécu ici pour tout comprendre les pour et les contre. Nous avons fait tout notre possible pour tâcher de les relever, mais je ne crois pas que ce soit encore possible, vu qu’ils ont eux-mêmes du sang javanais dans les veines. Il faut plutôt avoir pitié de ces demi-sang, car ils ont en eux un combat continuel entre leurs deux races. J’ai assisté à des scènes entre ces deux qui m’ont rendue malade. D’ailleurs je crois te l’avoir écrit, Mamms. Depuis Jans m’a aussi trompée, en me demandant de l’argent, etc. et Oscar a trouvé qu’il valait mieux nous retirer. J’écris encore à Jans de temps en temps, mais John lui-même ne tient plus à venir chez moi, il ne se sent plus à la maison chez nous avec ses manières de kampong (village indigène). 
rizières inondées (1937)

Pourtant je vais leur écrire de nouveau, ils ne savent pas encore que nous sommes ici, et d’ailleurs je n’oublie pas ce que Jans a été pour moi au commencement.
J ‘ai bien ri en lisant l’histoire de Mies  (fille Engelhart)  et comme elle a pu se dépêcher d’écrire. Je vous comprends, elle n’était rien pour vous, elle ne peut pas se faire à notre genre suisse, welsche, mais moi connaissant aussi les gens ici et tant de choses dont vous n’avez aucune idée en Europe, je la comprends aussi, et tu dis toi-même, tout comprendre c’est tout pardonner. Toutefois comme en sont les choses tu as eu bien raison de ne plus la reprendre, Mamms. Il faut que chacun regarde pour soi et vive sa vie, du mieux qu’il peut. Ah, mais combien j’aimerais parler avec vous tous, avec les garçons qui ont encore la vie devant eux, la vie est si complexe, elle peut être si profonde dans ces conditions d’existence. Oh, ce que j’aimerais que les garçons puissent venir ici ! où l’on remarque si bien l’atavisme de chaque race, aussi de la race blanche.
Ainsi la Rötteli a été au club anglais !
J’ai bien reçu les journaux de Max avec le tank renversé et mon Nögg élégant comme un « sauhüngli » (sale type) qu’il est !
Le rêve que tu as eu de moi est sans doute la conséquence du cours de tes pensées à un moment donné.
Merci pour la photo de mon frangin Charlot, l’encyclopédie et les découpes de journaux sur les autos. Oscar les a lues avec intérêt, et je vais en faire autant. J’ai bien reçu une longue lettre de lui en réponse à la mienne. Sa lettre est datée du premier août, est-ce que ce serait celle qui était enfermée dans la 168 ? Alors je l’aurais bien reçue et elle est vernuschet (égarée). Si je n’ai pas répondu à Charlot, ni remercié pour sa lettre (pourtant il me semble que j’ai écrit à ce sujet dans une des tiennes) il faut mettre cela sur le compte de notre accident, des suites et du déménagement etc.
Nous allons recevoir un piano que nous devons garder pour quelqu’un pendant quelques mois. Oscar s’en réjouit énormément. Hier soir Mily nous a appris à jaser (jeu de cartes suisse), c’était tellement heimelig d’entendre le Buby dire « stöck » (point) ici à Tjilatjap. Hier, Mily et moi avons été en auto à Poerwegerto rendre visite à une Bernoise mariée à un hollandais. Elle a eu un immense plaisir, et demain elle viendra ici pour manger une Bärnerplatte (plat bernois) avec des rösti et du café. On va aussi jasser. C’est une femme qui est déjà ici depuis 17 ans, elle a deux enfants en Hollande, c’est quelque chose à la Fanny Leuenberger, un peu moins buurig (paysanne) mais tout aussi grosse. So, je te quitte car j’ai encore tant à écrire.




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