Tjilatjap
25 octobre 1937
J’ai bien reçu ta 172 et te remercie de tous les
compliments que tu me fais. C’est même Buby qui a trouvé qu’il devait prendre
le parti de sa femme, il a dit, oui, mais si toi tu écris 2 fois les mêmes
choses, la Mothere les écrit bien 6 fois !!! Hein ? qui est-ce qui
perd le filon ? Mais tu as raison, tu peux bien te moquer de moi, c’est
salutaire et j’en ai besoin quelque fois. J’avoue que les derniers temps à
Batavia je vivais trop en l’air, toujours j’avais du monde qui venait me
déranger, toujours je partais, je sortais, je gondlais (flâner en ville), c’était fantastique. Ici je commence aussi déjà,
mais je vais tout de même me prendre en main un peu plus.
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Nelly le 8.8.1937 |
Pour le
moment j’ai encore toujours la visite de
Mily et j’en profite pour aller baigner tous les matins. Nous partons à 7
heures de la maison pour faire une demi-heure de marche sur la plage, on
pourrait y marcher pendant des heures et des heures, toujours sur du beau sable
noir, ensuite baigner une demi heure, déjeuner, fumer une cigarette (qui ? Nelly ou Mily ?) et puis
rentrer. Vers les 10 heures nous sommes généralement à la maison où mes devoir
de ménagère m’attendent. Quant à engager encore 3 Minas (l’aide de ménage de Rose) quand je viendrai, il y aura peut être
bien quelque chose de vrai là-dedans, mais sûrement pas pour plus d’une
semaine. J’y pense toujours ici aussi et on m’a déjà souvent fait la remarque
combien moi j’étais restée européenne, que je m’attelais toujours avec beaucoup
d’énergie à mes tâches.
Maintenant
pour en venir à John et Jans.
Premièrement ils ne demeurent pas à
Bandoeng, c’est seulement la mère de
John qui y demeure, et c’est une si
vieille vache que je ne tiens plus à la voir de toute ma vie. John a
maintenant quitté Solo et a trouvé
une place dans une fabrique de sucre aux environs de Solo. Je ne sais pas si je
t’avais écrit que Jans devait tellement souffrir, qu’il était méchant avec
elle. Il y a 1 année et demie que j’ai écrit toute l’histoire à Kitty. Ces
deux, John et Jans donc, retombent lentement dans la vie javanaise. Vous savez
qu’ils sont les deux des demi-sangs,
Jans a commencé à faire des dettes et à emprunter de l’argent partout, partout,
parce qu’elle n’arrivais pas avec l’argent que John gagnait à payer leur train
de vie. Par cela John a commencé à perdre confiance en elle, à la soupçonner, à
la détester et à aller avec d’autres femmes. Maintenant il est dans les mains
des femmes javanaises, il vit avec une ancienne baboe de Jans et une fois qu’un
homme commence ainsi, il est presque perdu pour la vie européenne. C’est un tas
de problèmes que je ne peux pas bien vous expliquer par lettre, il faut avoir
vécu ici pour tout comprendre les pour et les contre. Nous avons fait tout
notre possible pour tâcher de les relever, mais je ne crois pas que ce soit
encore possible, vu qu’ils ont eux-mêmes du sang javanais dans les veines. Il
faut plutôt avoir pitié de ces demi-sang, car ils ont en eux un combat
continuel entre leurs deux races. J’ai assisté à des scènes entre ces deux qui
m’ont rendue malade. D’ailleurs je crois te l’avoir écrit, Mamms. Depuis Jans
m’a aussi trompée, en me demandant de l’argent, etc. et Oscar a trouvé qu’il
valait mieux nous retirer. J’écris encore à Jans de temps en temps, mais John
lui-même ne tient plus à venir chez moi, il ne se sent plus à la maison chez
nous avec ses manières de kampong (village indigène).
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rizières inondées (1937) |
Pourtant je vais
leur écrire de nouveau, ils ne savent pas encore que nous sommes ici, et
d’ailleurs je n’oublie pas ce que Jans a été pour moi au commencement.
J ‘ai
bien ri en lisant l’histoire de Mies (fille Engelhart) et comme elle a pu se dépêcher d’écrire.
Je vous comprends, elle n’était rien pour vous, elle ne peut pas se faire à
notre genre suisse, welsche, mais moi connaissant aussi les gens ici et tant de
choses dont vous n’avez aucune idée en Europe, je la comprends aussi, et tu dis
toi-même, tout comprendre c’est tout pardonner. Toutefois comme en sont les
choses tu as eu bien raison de ne plus la reprendre, Mamms. Il faut que chacun
regarde pour soi et vive sa vie, du mieux qu’il peut. Ah, mais combien
j’aimerais parler avec vous tous, avec les garçons qui ont encore la vie devant
eux, la vie est si complexe, elle peut être si profonde dans ces conditions
d’existence. Oh, ce que j’aimerais que les garçons puissent venir ici ! où
l’on remarque si bien l’atavisme de chaque race, aussi de la race blanche.
Ainsi la
Rötteli a été au club anglais !
J’ai bien
reçu les journaux de Max avec le tank
renversé et mon Nögg élégant comme un « sauhüngli » (sale type) qu’il est !
Le rêve
que tu as eu de moi est sans doute la conséquence du cours de tes pensées à un
moment donné.
Merci pour
la photo de mon frangin Charlot, l’encyclopédie et les découpes de journaux sur
les autos. Oscar les a lues avec intérêt, et je vais en faire autant. J’ai bien
reçu une longue lettre de lui en réponse à la mienne. Sa lettre est datée du
premier août, est-ce que ce serait celle qui était enfermée dans la 168 ?
Alors je l’aurais bien reçue et elle est vernuschet (égarée). Si je n’ai pas répondu à Charlot, ni remercié pour sa
lettre (pourtant il me semble que j’ai écrit à ce sujet dans une des tiennes)
il faut mettre cela sur le compte de notre accident, des suites et du
déménagement etc.
Nous
allons recevoir un piano que nous
devons garder pour quelqu’un pendant quelques mois. Oscar s’en réjouit
énormément. Hier soir Mily nous a appris à jaser (jeu de cartes suisse), c’était tellement heimelig d’entendre le
Buby dire « stöck » (point) ici à Tjilatjap. Hier, Mily et
moi avons été en auto à Poerwegerto rendre visite à une Bernoise mariée à un
hollandais. Elle a eu un immense plaisir, et demain elle viendra ici pour
manger une Bärnerplatte (plat bernois)
avec des rösti et du café. On va aussi jasser. C’est une femme qui est déjà ici
depuis 17 ans, elle a deux enfants en Hollande, c’est quelque chose à la Fanny Leuenberger,
un peu moins buurig (paysanne) mais
tout aussi grosse. So, je te quitte car j’ai encore tant à écrire.
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