Keboemen
20 janvier 1936
Haha !
la bonne semaine ! Mais commençons par le commencement.
Lundi j’ai
écrit. Mardi, mercredi buché mon javanais. Jeudi j’ai circulé par
toute la maison et fait un cake. Vendredi vers 1 heure Elout et Bigot sont arrivés. Ils sont
passé chez nous pour demander où se trouvait la « caserne », puis
sont allés chez Visser. Vers 2 heures Elout s’amène pour dîner. Ensuite Buby
est allé au bureau et Elout a dormi. Après le thé il est allé chez Bigot qui loge
dans le pavillon chez Visser. Pendant ce temps là, Buby et moi avons été faire
quelques pas avec les chiens. Mon petit Bonzo est tombé dans de la merde, je
suis rentrée pour le laver. Oscar aussi. A un moment donné, justement quand
j’étais le plus sale, Oscar vient m’appeler et me dire que Bigot était ici pour faire connaissance. J’ai fini de laver mon
chien, j’ai mis de l’ordre dans ma toilette, à du 50 à l’heure, puis j’ai été
rejoindre ces messieurs. Entre Bigot et moi la sympathie a dû naître presque instantanément.
C’est un grand type, une figure bien marquée, ferme, jeune encore mais le plus
important c’est qu’il ressemble à Charlot
dans ses manières, c’est fou tout simplement. La manière dont il remercie pour
quelque chose, dont il plaisante, enfin, je ne peux pas bien vous décrire en
quoi cela consiste, mais en lui j’ai retrouvé Charlot, beaucoup de Charlot
enfin. J’ai naturellement tout de suite été à l’aise avec lui, et lui qui, en
dedans est d’une certaine timidité, s’est immédiatement trouvé à l’aise chez nous
On a bien ri, les quatre. Vers 9 heures il est parti chez les Visser pour
souper. Cela je vous le raconterai après. Le samedi, les hommes ont eu des
conférences avec des chinois pour arriver à une entente concernant le marché,
au lieu de se manger les uns les autres par une concurrence acharnée. Pour cela
Erkelens est arrivé de Tjilatjap et a dîné chez nous. Cette conférence a duré
jusqu’à 5 heures du soir. Alors Erkelens vient me demander s’il pouvait passer
la nuit ici. Je lui ai fait faire un lit sur la chaise-longue au salon. Un peu
après Oscar et Elout viennent du bureau pour une tasse de thé. En arrivant
Elout me prend à part (imaginez-vous bien la scène !!!) derrière une porte
et me demande en chuchotant si j’avais assez à manger pour une personne de
plus, parce que Bigot lui avait dit qu’il trouvait stierlyk verveelend (cela
veut dire stieremässig längwylig ou excessivement rasant) de passer la soirée
là chez les Visser avec madame et sa sœur, et qu’il n’y tenait plus s’il devait
encore souper avec ces têtes !!! S’il n’y avait pas moyen qu’il puisse
venir chez nous, qu’il était content avec une schnitteli (une tartine) et rien d’autre ! Mes chers, j’ai presque poussé
les hauts cris, je n’osais presque pas regarder Elout de peur qu’il voie mon
plaisir dans les yeux, et d’une manière calme et posée je lui ai répondu que
Bigot était naturellement le bienvenu chez moi s’il se contentait de la fortune
du pot et Oscar a ajouté : à condition de ne pas froisser les Visser.
D’ailleurs Bigot avait fait dire par Elout qu’il se chargeait bien d’arranger
les choses pour ne froisser personne. Une demi heure plus après qu’Elout, avec
l’excuse de lui apporter une lettre, lui eût dit qu’il pouvait venir, il
arrivait, tout content et joyeux comme un gamin d’école. Naturellement personne
n’a fait les semblants, mais moi intérieurement je n’y tenais presque plus et
de temps en temps j’allais dans notre chambre à coucher pour laisser libre cours à mon fou rire. Oscar aussi
a fait les hauts cris quand il le sut et Elout rigolait et disait que c’était
compréhensible. D’abord on a parlé ensuite les 4 hommes ont joué au bridge et
moi…. Je voyais toujours un Charlot de 35-40 ans devant moi. L’ambiance était
bonne de toutes parts et vers 10 heures, comme ces hommes ne voulaient jamais
se déranger pour venir souper, j’ai été remplir 4 assiettes que j’ai fait
apporté à la voorgalery par le djongos. J’avais commandé une cervelle pour en
faire un ragoût mais comme je n’avais pas assez pour 5 (ayant compté pour 3 le
matin) j’ai vite fait tuer une poule avec laquelle j’avais fait une sorte de
soufflé avec des champignons, et des pommes de terre, le tout cuit au four. Ces
hommes ont mangé cela sur le pouce, plus des sandwiches que j’ai fait faire au fur et à mesure qu’ils
disparaissaient. Ensuite j’ai pelé des pommes et l’assiette pleine de schnitz (quartiers) a disparu en quelques
minutes. Enfin, il était minuit quand Bigot est parti, après quoi Elout,
Erkelens et Oscar on encore discuté, discuté, mais moi j’ai été au lit, j’ai du
moins été me déshabiller, surtout pour les laisser seuls. A plusieurs reprises
aussi dans le courant de la soirée je les ai laissé seuls afin qu’ils puissent
se raconter des witz librement. Oui, oui, j’ai bien suivi tes leçons,
Moederli !
L’après-midi
en m’habillant je ne sais pas pourquoi, j’ai mis ma robe bois de rose donc
celle de la photo, et le soir, à un moment donné Elout me demande devant tout
le monde : Dis donc, où diable as-tu acheté cette robe, elle est rudement
bien. Quand j’ai dit que je l’avais faite moi-même, il a di : daar steckt
wat in ! En d’autres mots cela veut dire que la robe avait un certain
cachet. Cela m’a fait bien plaisir aussi, vous pouvez comprendre, car je crois
que c’était un compliment vraiment sincère.
Je suis
contente que Buby aime bien Bigot aussi et je crois que ce dernier nous trouve
tous deux à son goût. Cela facilitera bien des choses. Avec Elout aussi
l’entente a de nouveau été très cordiale et franche et amicale. Bigot partait
hier pour Djocja, il allait loger chez des amis. Elout aurait dû aller aussi
puisque ce matin ils continuaient leur route tous deux à Soerabaya, mais Elout
a préféré revenir de Djocja hier soir et passer la nuit ici au lieu de passer
la soirée seul à Djocja.
Il est
revenu hier soir à 8 heures, il était très fatigué parce qu’ils avaient discuté
avec des chinois pendant toute la journée et cela demandait beaucoup de
concentration. Nous avons alors décidé d’aller au lit immédiatement après
souper, mais il a commencé par philosopher, un mot a donné l’autre et nous nous
sommes mis à table à 11 ½ heures seulement. Ce matin il est parti avec l’auto
de la fabrique rejoindre Bigot à Djocja. Je lui ai fait des sandwiches, et lui
ai donné toute une boîte de nougat que lui et Bigot aimaient bien l’autre soir.
C’est du nougat japonais qui ne me coûte pas cher, et cela lui a fait bien
plaisir.
Dimanche
soir, après que les trois hommes avaient discuté et que moi j’allais au lit,
Elout dit à Erkelens : et penses-y, tu ne dis rien de tout cela à
n’importe qui, je te défends aussi d’en parler à ta femme ! Ce n’est pas à
Buby qu’il dirait jamais une chose pareille, et pourtant la petite Erkelens hm !
hm ! hm ! avec lui.
Et
maintenant nos projets. Ils ont adopté une forme plus précise et aussi changé
un peu. Nous allons donc à Batavia pour
9 mois, le temps de congé de Bigot, après quoi il est bien possible que
nous allions à l’une ou l’autre des fabriques de nouveau. Batavia est donc un
temps d’essai pour voir si Oscar est capable pour des postes plus élevés. Elout
nous a conseillé de laisser nos meubles ici et de louer un flat meublé avec pension complète au centre de la ville pour ces 9
mois. Il dit que cela nous reviendra bien meilleur marché que d’installer une
maison avec tout le patati et patata. Nous aurons donc Fl. 400.- ce qui n’est
pas beaucoup pour Batavia, car la vie y est beaucoup plus chère qu’ici, et
Elout doute que nous puissions nouer les deux bouts. D’ailleurs dans la lettre
qui nous concerne, Amsterdam laisse la question ouverte, de sorte que si cela
ne va pas, nous pourrons demander une augmentation. On verra donc. A moi cela
me sourit assez de ne pas avoir de ménage pendant quelques mois. Cela me
donnera juste le temps de suivre des cours de cuisine, etc, des cours de
couture et un tas d’autres choses. Elout nous conseille cet arrangement
principalement pour éviter des visites. Demeurant ainsi dans un flat de deux
chambres, on n’a pas besoin de recevoir, et c’est justement recevoir qui
revient si cher à Batavia. Si j’avais une maison, il faudrait que tout soit
correct et cela revient cher. La Banque a des hypothèques sur deux immenses
bâtiments de flat qui sont administrés par un hôtel. Ainsi j’aurai peut être
une toute petite cuisine où je pourrai faire le déjeuner et le souper moi-même,
tandis que le dîner on le fait venir de l’hôtel. On a également des domestiques
de l’hôtel. Je me demande ce que vous en pensez, mes chers ?
Merci pour
ta bonne lettre 121. Je ne l’ai pas
sous la main, ayant caché toute ma correspondance avant la visite d’Elout. Je
ne l’ai pas encore retiré de sa cachette, et maintenant je n’ai pas le temps de
le faire, car nous attendons les Koesnoen pour la soirée. Demain j’aurai de
nouveau tante Engel pour la journée, et je pense qu’à la fin de la semaine
j’aurai les v.Tinteren pour le weekend. J’ai une maison comme une ruche, mais cela me plaît et je m’arrange bien
pour que cela ne revienne pas trop cher. Elout m’a aussi demandé : mais
comment fais-tu donc pour nous offrir tant de bonnes choses avec ta paye ?
Anne (Mme Elout) n’y arrive pas…, je
crois que tu sais mieux faire qu’elle. Qu’il ajoute en vraie bêtise masculine,
oh ! les hommes ! Je lui ai répondu qu’il ferait mieux de se taire
que de raconter un quatsch pareil. Voilà pour les nouveautés de la semaine.
Quant à madame Visser, je suis bien contente de partir bientôt, car elle doit
fulminer de jalousie sur la totok
européenne. Ici on les appelle des totok
ou des singkeh, les européens purs. Ce sont les Indos qui emploient des
noms, c’est comme Tschingg pour les Italiens.
Je pense
que mes frères sont à Londres, je pense souvent à eux et souhaite de tout mon
cœur qu’ils aient du succès dans leur entreprise. Je n’arrive pas encore à vous
écrire, garçons, mais vous ne m’en voudrez pas, hein ?
Mes bien
chers, à la semaine prochaine.
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