mercredi 29 juin 2016





Keboemen

16 avril 1936

Mes bien chers
Merci mille fois pour ta lettre 131. A moi aussi il me semble qu’il y a des éternités que je ne vous ai pas écrit. Je n’y suis pas encore habituée, à ne pas vous écrire chaque semaine, c’est comme si je manquais quelque chose d’important ! Avec ce nouveau système, il me semble que les jours, les semaines passent encore plus vite. C’est fou !
Le 4 avril nous sommes donc partis pour Tjilatjap, Buby-Bubinette dans leur Pucette. Nous avons, comme d’habitude, été bien reçus par Wies, mais quand j’ai vu sa maman, une belle dame avec les cheveux blancs, coiffée comme toi, alors cela a été trop fort, je n’ai pas pu me retenir de pisser de l’œil pendant une seconde ou deux. On voit si peu de gens âgés ici ! Vous pouvez penser, je me suis tout de suite bien entendue avec cette mamma. Le papa est moins sympathique, et je ne sais pas si cela ira bien avec lui, ici, il va s’ennuyer, n’ayant aucun hobby pour se passer le temps agréablement. Les trois jours que nous avons passés là ont été agréables. Lundi, la fête de Does, j’ai aidé à Wies à préparer son petit dîner. Nous avons fait une tourte au mokka entre autre, et nous étions en train de la décorer avec la douille quand une visite est arrivée. Wies et moi sortons de l’office pour aller la saluer, en ne prenant pas la peine de fermer la porte. Un moment après, nous y sommes retournées. Wies, en pénétrant la première se met à pousser des hauts cris. Moi, qui arrivait derrière elle, je croyais vraiment qu’elle voyait le diable mais…. Ce n’était qu’une poule ayant volé sur la table qui picotait dans la tourte tout en étant plantée dans l’assiette contenant la crème au mokka. Outre la tourte il y avait un tas de vaisselle sur la table, aux cris de Wies cette poule s’est effarouchée et je vous laisse imaginer le drame ! Cela me donne le fou-rire quand j’y pense : plus Wies criait, plus la poule piétinait dans la crème, sur la tourte etc. A la fin on a réussi à la chasser et elle est allée, d’un air fier, promener ses pattes au mokka dans la cour. Wies s’était tellement énervée qu’elle ne voulait plus rien faire à cette tourte, mais moi je ne m’en faisais pas pour si peu. Mon premier soin a été de regarder si la poule avait lâché un caca dans la crème, heureusement ce n’était pas le cas. Alors tout tranquillement j’ai ramassé ce qui restait et je l’ai giclé sur la tourte qui a eu beaucoup de succès auprès de tous les invités !
Le mardi matin nous sommes rentrés, et une demi-heure avant Keboemen, la Puce a fait pif-paf, et nous voilà arrêtés sur la route déserte, en plein soleil de midi. Malgré tout la panne ne m’effrayait pas autant que la colère, l’énervement et les jurons de Buby, et ce soleil qui tapait ! Après une heure environ, Buby ayant trouvé la faute et l’ayant réparée, nous avons pu repartir.
Mardi soir j’ai déballé et mercredi j’ai refait nos valises.
Jeudi après dîner nous sommes repartis pour Semarang.


vue de Semarang

Semarang 

Semarang, la Banque !
Arrivés près de Premboen, la Puce a fait couac, couac,  et une fois de plus nous étions au bord de la route. Après plusieurs essais, elle a remarché, mais rendait son souffle environ tous les 200 m. Cahin-caha, nous arrivons chez les Wilson à Premboen. Après une nouvelle demi-heure de recherches, on constate que les deux centimètres de benzine se trouvant encore dans le réservoir, étaient insuffisants !
Depuis-là nous sommes arrivés sans encombres chez Frans et Anne. Nous avons eu bien du plaisir à nous revoir. Vendredi-Saint, ils attendaient le meilleur ami de Frans, qui devait venir depuis Buitenzorg (depuis 1945 Bogor) avec sa femme. L’ami s’amène avec sa femme, sa belle-mère, son beau-frère et sa belle sœur ! Anne et moi avions préparé le dîner pour 6 personnes, mais il a fallu vite ajouter un plat froid de saumon, mayonnaise etc. que j’ai préparé pendant que Anne s’occupait de son monde. Le dîner a été très gai. Ces gens ont vécu en Suisse pendant deux ans, au-dessus de Vevey et en gardaient le meilleur souvenir. Nous avons parlé français aussi.Le samedi nous avons été en ville faire des commissions. En rentrant voilà notre Puce qui crève de nouveau. Cette fois c’était la magnéto dont quelque chose a fondu à l’intérieur, parce qu’elle avait été mal montée. C’était samedi soir, tous les garages etc étaient déjà fermés et personne ne connaissait un bon mécanicien. Alors je me suis rappelé l’ami de John, qui dirige aussi un de ces ateliers d’auto pour jeunes gens sans travail. Nous avons été lui rendre visite et lui demander son aide. Sa femme est une Polonaise, née et élevée en Suisse, à Zurich, où elle a fait ses études de langues modernes. Il n’y a que deux moi qu’elle est arrivée ici aux Indes avec son petit garçon qui ne parle encore que Zuritütsch Ils sont pauvres et ne sont pas encore installés. Elle a un peu des allures d’artiste et trouve difficile de s’adapter au goût général d’ici. Elle a naturellement encore la tête pleine de belles idées et veut tâcher de les réaliser. Comme je ne pouvais plus parler Bärntütsch (Bernois) ! (si elle avait été bernoise, ce serait allé, mais son Zuritütsch (Zurichois) me faisait toujours retomber dans le hollandais) nous avons donc parlé français et nous sommes très bien entendues, pendant que les hommes parlaient auto. Elle n’a pas encore l’ennui, mais une terrible envie de journaux suisses !!! Tu penses bien Tatali, que je n’ai pas mis longtemps avant de lui promettre de lui envoyer les miens. Tu aurais dû voir ce plaisir ! surtout les Näbelspalter (équivalent du Canard Enchaîné en Suisse) qu’elle trouve si bon, et lui aussi. Ainsi tes journaux, après les avoir lus, iront toujours à Semarang, où ils seront encore une fois appréciés 100%.
Le jour de Pâques, nous avons été dans la montagne où les amis de Frans et Anne avaient loué un chalet. Nous avons joué au tennis et baigné, mais malheureusement vers 2 heures il a commencé de pleuvoir, ce qui nous a obligé à rester dedans. Nous avons fait une petite bombe en buvant du Chianti Ruffino et en chantant des chants d’étudiants etc. Ils nous avaient invités à coucher là-haut, mais moi je n’ai pas voulu. Cela aurait été très primitif et j’avais peur d’attraper des rhumatismes. Alors à 1 heures du matin nous sommes rentrés en taxi. Ces amis demeurent à Buitenzorg, il est aussi avocat au Secrétariat du Gouverneur Général. Ils nous ont chaudement invités quand nous serons une fois à Batavia. Ce qu’on fait de connaissances ici, c’est fou !
Le lundi de Pâques nous avons fait les paresseux, Buby a réparé la Puce avec ce monteur, le soir nous avons été au cinéma voir K. Hepburn dans Break of Hearts. Oh ! j’oubliais presque de vous dire que le samedi soir, cet ami, s’appelant Tim est redescendu des montagnes, tout seul pour voir Frans, et ainsi ces deux avec Buby sont sortis faire la noce. Ils nous ont demandé d’aller avec, mais nous avons eu le tact de refuser. Ils sont rentrés vers 5 heures du matin. Anne était furieuse. Moi en me réveillant je vois un Buby qui m’assurait tous les grands dieux qu’il n’était pas rond, avec cela il m’a raconté au moins 50 fois la même histoire, et une fois au lit, il s’écrie : Nelly, qu’est-ce qu’il y a, mon lit tourne ! Il a dû aller vomir 5-6 fois, à mon grand plaisir !

Le mardi nous sommes repartis pour Keboemen où nous sommes arrivés à une heure, sans encombres. A 5 heures Mme Peddemors  (épouse du nouveau médecin) est venue voir si j’étais bien rentrée. Elle doit se trouver très isolée ici, elle vient aussi souvent qu’elle peut. Hier soir nous avons été chez eux et avons passé une très gentille soirée. Nous jouons au tennis quand nous pouvons. Notre départ est remis vers fin mai maintenant. Il te faut donc continuer d’envoyer tes lettres ici à Keboemen jusqu’à ce que je te le dise. Maintenant que c’est connu que nous partons, il y a beaucoup de Javanais aussi bien au bureau qu’à la fabrique qui viennent demander à Oscar de les prendre avec, s’il n’y avait pas moyen de travailler pour lui à Batavia, parce qu’ils n’aimeraient plus le quitter ! C’est pourtant gentil et bon signe aussi !

Oh ! mes chers, ce que mes deux robes sont jolies, j’en suis folle de joie. La rose surtout est un rêve, et cette couleur qui vraiment tire dans le cyclamen, comme tu l’as dit Tatali, me va d’une façon exquise. Elle est arrivée juste avant que je parte et je vais la faire cette semaine. Vous en aurez des photos, mais patience encore un peu svp.
Mes bien chers tous, toujours mes meilleures pensées


Semarang 2013


Semarang Dutch old town



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