jeudi 23 juin 2016

Avec mes excuses, cette lettre a filé entre les gouttes chronologiques.....


Keboemen

9 février 1936

Mes bien chers
Il y a des éternités que je vous ai plus écrit, environ une semaine et demie. J’espère que tu ne te seras pas fait de soucis, Mamali, car si c’était le cas, rassure-toi, tout va très bien Si je n‘ai pas écrit c’est qu’il y avait de nouveau des circonstances qui m’en ont empêchée.
D’ailleurs depuis ta lettre 123 je n’ai plus eu de tes nouvelles. Nous attendons du courrier demain, il a été retardé parce que l’avion a eu une panne de moteur à Jodhpur (Indes britanniques), je crois, ce qui a sensiblement retardé son arrivée ici. Je vous écris déjà ce soir une partie au moins parce qu’on ne sait jamais ce que demain apportera qui pourrait de nouveau m’empêcher de vous écrire.
Lundi passé nous avons été à Poerworedjo voir un variété javanais. C’est M. Engelhart qui avait mis en train la chose et nous étions tout une bande de Keboemen, plus Premboen, plus Poerworedjo. Le spectacle  se donnait dans la salle de cinéma de Poerworedjo. C’était tordant. Des artistes javanais, indo et autres mélanges donnaient un programme de variété selon les spectacles européens. Des girls demi nues, attifées tant bien que mal, des boys, des danseurs acrobatiques, imitant Maurice Chevalier avec un vieux chapeau de paille et un blazer rayé rouge et bleu, une grosse négresse à tempérament qui faisait trembloter son lard en lançant des yeux doux aux messieurs de la salle, tout cela dansait jouait chantait des songs anglais tels que le Ukulele, la Valencia, le Yes, we have no bananas, et tant d’autres succès vieux comme le monde. C’était tordant, et pour des gens qui ne voient souvent rien pendant longtemps, c’était un spectacle réjouissant. Moi, en tous cas, je me suis bien amusée, car c’était la première fois que j’assistais à un Stamboul, comme on appelle ces spectacles. Ils sont bien sur la scène, les javanais, vous savez leur corps, malgré qu’ils soient bronzés, sont beaux, bien proportionnés et élégants, leurs cheveux de jais, leurs dents magnifiques et leurs grands yeux brillants sont toujours attirants. L’orchestre aussi aurait sûrement beaucoup de succès au Fantasio (dancing de Bienne), tous ces types exotiques feraient tourner la tête à bien des pimbêches. Moi je me suis bien amusée, malgré que j’étais assise à côté de ma chère et tendre, la Rick, qui elle, ne comprenait rien à mon plaisir, et crevait de jalousie parce que la grosse négresse faisait les yeux doux à son vieux. Cela c’était encore le plus tordant ! Tante Engel n’est pas venue avec nous, parce que son Spotty (son chien) était malade et en effet il est mort dans le courant de la soirée. Sa Typie aussi est morte, en l’espace de trois semaines elle a perdu trois chiens auxquels elle tenait beaucoup. Imaginez-vous son chagrin !
Nous sommes rentrés de Poerworedjo à 2 heures du matin, dans l’auto avec les Röhwer. Il avait été décidé que nous partagerions les frais. Alors un matin que la Rickshaw venait me demander un bout de soie à coudre, j’avais justement un chien malade, ce qui m‘excusait de ne pas aller vers elle, je lui demande combien je lui dois pour cette sortie. Alors elle me dit qu’elle n’en savait rien et qu’il fallait laisser les hommes liquider cette affaire, que mon mari pouvait une fois donner un bon de benzine au sien. Je lui ai dit : combien de litres, car ayant le livret de bons ici, je peux tout de suite l’écrire et ainsi l’affaire est liquidée.  – Ach non, laisse donc les hommes faire cela ! Je n’ai pas insisté, mais quand j’ai raconté la chose à Buby il en a été bien fâché, car le trajet de Keboemen à Poerworedjo, retour, demande 6 litres de benzine. Il nous faut donc payer la moitié, soit trois litres, et l’on ne peut pas faire un bon de benzine de moins de 5 litres ! Je vous dis, elle peut être pire que la Rackere. Oscar ne veut pas que je lui donne un bon, mais que je paye mon dû, toutefois je vais lui donner un bon, car il vaut mieux donner un os à un mauvais chien et je ne serai pas ruinée pour ces deux litres de benzine, mais avouez qu’elle a du toupet, cette vache ! Aussi, nous n’allons plus renouveler l’expérience.
Mardi c’était l’anniversaire de M. Engelhart et je l’ai oublié. Mercredi matin, je reçois un billet de tante Engel, me demandant de venir passer la journée avec elle. J’ai reçu le billet à 7 heures et à 8 heures j’allais à Premboen. Tante Engel était encore toute triste pour son Spotty, mais elle voulait tout de même faire une petite fête pour M. E. Elle a donc été inviter les Hartong et les Wilson, les employés de Premboen, et à 5 heures Buby est venu avec l‘auto de la fabrique que Visser lui avait offerte. Nous avons passé une soirée agréable avec un tas de bonnes choses à manger, et de la bowle que nous avions faite le matin tante Engel et moi. On a bien ri, car on essayait toujours si elle avait bon goût ! Nous avons aussi fait des petits fours qui n’ont pas réussi. Dans le courant de la soirée nous recevons un téléphone de Visser annonçant à Buby que c’est lui qui devait faire la tournée d’huile le lendemain matin, vu que Niecke (fille de Visser) était malade et que lui, Visser ne voulait pas quitter la maison. J’ai immédiatement décidé de partir avec Buby, à minuit, en revenant de Premboen, j’ai encore vite fait ma valise et le lendemain, donc jeudi matin, à 7 heures, nous quittions la maison. Nous avons été à Semarang d’abord où j’ai tout de suite été. Vous auriez dû voir sa surprise ! Oscar a d’abord été à ses affaires, puis il nous a rejoints, un peu après que Frans soit rentré. Nous avons tous été luncher à l’hôtel Bellevue où ils sont en pension. Justement le soir avant, les Gerbens avaient reçu la nouvelle que Frans avait eu sa requête accordée. Il est donc libéré de faire ses trois semaines au clou, et ne doit payer aucune amende non plus. Leur joie était très grande et il fallait la fêter. A midi nous avons trinqué avec du Rheinwein, puis les hommes ont été au jardin, causer, et Anne et moi avons été dormir. Vers le soir, après avoir pris notre thé, baigné, nous avons commandé Joesoef (Jousouf, chauffeur) et sommes allés faire un tour par la ville par un clair de lune fantastique. A 8 heures nous allions souper au « Chien qui fume », un petit restaurant français tenu par un ancien garçon de Paris. J’ai naturellement parlé français avec lui, et toute de suite il m’a fait le compliment que je parlais bien le français pour une Hollandaise !!! on a bien ri, et bien bu. Le manger était bon aussi. Un petit bouillon froid, du kakap (poisson d’ici) au vin blanc à la française, et un morceau de tourte comme dessert, le tout pour 90 cents, par personne. A 10 heures nous avons été au cinéma, voir Broadway Melody, 1935, avec Eleanor Powell, qui est fantastique comme tapdancer. A minuit nous sommes rentrés. Nous logions dans une petite pension tout près de celle des Gerbens qui était pleine.
Le vendredi matin à 7 heures nous étions de nouveau en route pour Solo et Djocja. Nous n’avons passé qu’une heure chez John et Jans qui a eu beaucoup de plaisir à nous voir. Ils viennent le 23 de ce mois  nous amener notre Puce.
Tante Engel est tellement impatience que j’aie ma Puce, parce qu’alors j’irai encore plus souvent à Premboen, surtout le soir avec Buby.
Peut être qu’ils partent en Europe déjà au mois d’avril, et pendant leur séjour en Europe, il passeront aussi une fois par la Suisse pour vous dire bonjour. Ils vont soit par l’Amérique, soit par le Cap de Bonne Espérance, car ils veulent faire le tour du monde.
Ce soir dimanche, ce matin plutôt, nous avons eu la visite volante de van Tinteren qui s’en allait à Djocja avec un ami, dans sa belle voiture. Wies n’était pas avec, ayant une invitation à Tjilatjap.
Lundi 10 février 1936
J’ai attendu une lettre avion ce matin, mais il n’est rien arrivé de sorte que cette lettre-ci partira ainsi, sans que je puisse répondre à cette 124 comme je l’espérais.
Il fait très chaud aujourd’hui, je n’ai pas envie de faire quoi que ce soit, et pourtant j’ai tellement à faire. J’ai été faire une longue promenade ce matin, il a fait beau, mais je crois que je me suis fatiguée un peu.
Buby a reçu ton beau porte-monnaie, il en a eu grand plaisir et l’a inauguré pour aller à Semarang. Il est très joli, ce porte-monnaie et pratique aussi. Il me semble qu’ils deviennent toujours plus beaux et plus perfectionnés. Et le Einerli (1 centime rouge), j’espère bien qu’il nous portera bonheur ! Oui, oui, vous le gâtez, Buby !
Pendant que j’y pense, Tatali, j’ai lavé la belle cravate que tu lui as envoyée. Tu m’avais pourtant écrit qu’on pouvait la laver, et d’ailleurs cela pouvait se deviner d’après la confection de la cravate, qu’elle était lavable. Eh bien, comme Buby ne porte que celle-là depuis qu’il l’a reçue, elle était sale, et j’ai fait une petite eau de savon, avec du Lux et de l’eau froide. J’y ai trempé la cravate et immédiatement l’eau est devenue rouge, rouge-violet, la couleur des petits pois. Moi, je ne savais pas ce qui m’arrivait, j’ai même eu peur de la remettre dans l’eau de savon, je l’ai immédiatement sortie et rincée dans le grand évier. Grâce à cette précaution la cravate est restée sans taches, seulement une teinte rosée sur le gris, de sorte que Buby peut encore très bien la porter, il y tient tant. Je t’écris cela Tatali, parce qu’il ne me semble pas juste qu’on te vende des cravates lavables quand elles ne le sont pas et l’acheteur ne peut pas se rendre compte dans le magasin si on l’attrape ou pas.
Hurra ! je viens d’apprendre par une carte d’Ir, que Kitty a un fils, né le 7 février. Elle désirait tant un fils. Tout est bien allé, je suis si contente pour elle. Je vais encore vite lui écrire.
Voilà mes chers, je crois que j’arrive au bas de ma lettre pour cette semaine…


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