dimanche 12 juin 2016




Keboemen

16 février 1936

Mes bien chers
A la bonne-heure, cette semaine j’ai reçu deux lettres en même temps, les 124 et 125 pour lesquelles je vous remercie de tout cœur. Elles ont été lues avec plaisir et avidité. L’une n’était pas affranchie, de sorte que je vais vous retourner les timbres, vous pourrez les employer encore une fois. Une petite économie. Merci aussi de tout cœur pour les Caotonic, mais hélas, l’expédition n’est plus à renouveler, car l’expérience n’a pas été bonne. J’ai dû payer Frs. 1.35 par paquet, plus le port, Frs. 0.80 que vous avez payé, cela revient à 2.15, sûrement plus cher que le contenu. Non, à l’avenir je me contenterai de la poudre de cacao hollandaise qu’on a ici. Peut être qu’à Batavia je les trouverai aussi ces Caotonic. Merci pour l’envoi. Buby le trouve très bon et moi aussi.
Alors vous avez donc une nouvelle Ge ! Eh bien cela me fait bien plaisir et je souhaite bien qu’elle réussisse un peu à me remplacer, ou pour m’exprimer de façon plus juste, qu’elle réussisse à faire revivre pour vous un peu du temps de la Ge…. Le bon vieux temps quand mon Father était fier de moi, hein, papali, jusqu’au jour où la Ge… s’est laissé tourner la tête par des lettres d’une espèce de zigue de Hollande !!! A partir de ce moment-là elle a eu le cœur ailleurs qu’aux affaires du bureau ! C’est la vie, qu’est-ce qu’on veut. Faaather, tu m’écris que les garçons doivent refaire du service, 3 mois, est-ce bien possible ? N’ont-ils pas encore fini ? Maman ne m’en dit rien.
Papa Woldringh nous a enfin écrit de nouveau, et nous dit qu’il avait eu la visite des garçons who were on business and splendid looking. Cela m’a fait plaisir. (Est-il besoin de le dire !!!)
Nous pensons de plus en plus à Batavia. Je regrette que dans mes lettres précédentes, je n’aie pas été assez claire et précise concernant notre déplacement à Batavia. Il ne faut pas que ce soit un désappointement pour vous si nous n’y allons que pour 9-10 mois. C’est déjà une belle chance ainsi qui est offerte à Buby. Quant à nos meubles et mon trousseau que je laisse ici, c’est Wies qui en prendra soin. Je lui laisse le tout avec un inventaire et elle se charge de faire nettoyer chaque semaine, et aérer. Pour cela je payerai une journée par semaine à un de ses domestiques ou à mon ancien kebon qui est au courant des nettoyages. Ils se chargeront aussi de l’emballage des meubles si nous ne revenons plus ici, pour cela je leur nettoie leur maison maintenant et leur fais leur jardin pour que tout soit bien et propre quand ils arriveront. Ici on est habitué à s’aider ainsi. Je n’emballerai que ma vaisselle, l’argenterie, les verres, etc, toutes ces choses qui ne gâtent pas. Mr. Bigot est plus haut que Elout, c’est son patron direct. Bigot est directeur d’une société de la Banque qui comprend l’administration de la Mexolie, plus 7-10 autres entreprises industrielles. Bigot est en quelque sorte le directeur industriel des entreprises de la Banque, sauf de celles du sucre et du caoutchouc. Après ces 9 mois, si nous ne restons pas attachés au bureau de Batavia, nous irons sur une des fabriques soit à Kediri, près de Solo, Banjoewangi près de l’île de Bali, Rankgasbitoeng près de Batavia, ou, ou…. Keboemen ! On ne sait jamais ! Visser approche bientôt de nouveau son congé en Europe. S’il le prend, il se pourrait qu’ils mettent Buby comme remplaçant de Visser à Keboemen. Mais vous savez, cela ne sont que de pures suppositions de notre part, il ne faut pas vous faire des illusions et surtout ne pas bâtir de châteaux en Espagne. N’est-ce pas? tu ne te laisseras pas emporter sur les ailes de ton imagination ! D’ailleurs il me semble que je vous ai tout bien raconté dans une de mes dernières lettres, avec tous les détails possibles. Probablement tu n’auras pas pris le temps nécessaire pour lire toutes ces nouvelles ! Enfin, je suis toujours à votre disposition pour vous donner tous les renseignements que vous puissiez désirer.
Il y avait hier soir, samedi, grande soirée à Keboemen, organisée par Koesnoen et Engelhart dans la maison du A.R. (régent) Ce devait être un bal pour la haute volée de Keboemen et environs, il fallait payer Fl. 5.- d’entrée par famille et encore le reste. Buby a trouvé cela trop cher pour le plaisir que cela nous aurait procuré. Moi aussi, du reste, mais si j’y étais allée, cela aurait plutôt été pour Koesnoen et Englehart, mais comme j’ai appris que l’affaire réussissait bien, qu’ils avaient assez d’argent pour la musique etc, je n’ai pas insisté vers Buby pour y aller. C’était une drôle d’organisation, il fallait payer ces Fl. 5.- trois semaines d’avance. C’était aussi une raison pour ne pas vouloir y participer, car qui peut  prévoir que dans trois semaines on ne sera pas empêché d’y assister. Enfin, il faut dire que si nous restions à Keboemen, nous y serions allés, mais comme on fichera bientôt le camp, on se fiche aussi du reste. Nous ne tenons plus à faire connaissance avec qui que ce soit ici, c’est tous des staufifres, (expression suisse pour des gens pas intéressants) ou alors des gens à la Rickshaw. Il n’y a que les Engelhart qui nous soient sympathiques. Entre parenthèse, j’ai été chez la Rick porter ce bon de benzine, ce n’est pas 5 l. que j’ai dû souscrire, mais 10 litres, sur lesquels il y en a 4 de trop. Ils l’on accepté comme la chose la plus naturelle du monde. Dans ma lettre précédente, je m’étais trompée, il nous fallait payer 6 litres, tout le voyage à Poerworedjo leur coûtait 12 litres, dont moi j’ai payé 10 litres. Est-ce que ce n’est pas un peu fort ? Je sais maintenant pourquoi les gens ne veulent jamais faire des arrangements avec eux.
Demain nous allons à une réception donnée par le Prince régent de Keboemen, à l’occasion de son entrée en fonction. Nous avons maintenant un nouveau Regent, le frère du précédent qui a pris sa retraite. Ce sera toute une cérémonie, les messieurs doivent être en grande tenue ou alors en frac, les dames aussi font beaucoup de toilette. Moi j’ai préparé ma robe d’organdi avec mon grand chapeau de la Danioth. Ce chapeau je ne l’ai mis qu’une fois depuis que je suis ici, demain ce sera la seconde fois. Il ne m’allait jamais bien, et maintenant j’ai essayé de le mettre à l’envers et il me va très, très bien. Tante Engel a dû rire quand elle a vu cela. Mardi passé elle était ici alors nous avons tenu une revue de mode. C’est elle qui m’a dit de mettre ma robe d’organdi, moi j’aurais mis celle en voile que Hedy m’a fait de cadeau, mais tante Engel m’a dit que j’étais bête de ne pas porter cette organdi Je lui ai prêté mes gants jaunes qu’elle mettra avec sa robe de soie brune. Elle n’a pas de goût du tout pour s’habiller. Elle porte bien des choses souvent jolies par elles-mêmes, mais elle ne sait pas les faire accorder entre elles. Elle a presque toujours un détail qui gâte le tout. J’essaie bien de la conseiller, mais elle n’écoute pas encore très facilement et moi je n’insiste pas, car après tout, ce n’est pas mon affaire. Si elle était une de mes vraies tantes, j’insisterais bien, car alors je l’aimerais assez pour le faire, mais pour des simples connaissances, je ne me donne pas cette peine. Vous comprenez la différence, mes Tantes ?
Les Engelhart viennent de recevoir l’avis que leur départ est certain maintenant. Ils quitteront donc au mois d’avril pour l’Europe, en faisant le tour du Cap de Bonne Espérance. Ils retourneront par l’Amérique. Je leur ai dit de te prendre avec, et ils en seraient enchantés. Donc Mamms, si… si… si… cela t’en dit ! Ils repartiront d’Europe au mois d’octobre 1936. Naturellement ils passeront aussi une fois par Bienne pour vous voir et … vous crier sur moi. Ils prendront mes montres et pendulettes avec eux pour les rhabiller, Faaatherli. J’ai également déjà acheté quelques petites nappes, tapis de table en dentelles etc, comme petits cadeaux. Plus tard je t’écrirai à qui il te faudra les donner Mamms. Si quelqu’un de vous a un désir spécial pour l’une ou l’autre chose d’ici, dites le, car c’est une bonne occasion. Des objets en argent ou en écaille etc. J’ai déjà ceux que je voulais donner à madame Voskuil pour prendre avec, ce sera tante Engel qui les prendra maintenant.
Voilà j’arrive au bout de mon bavardage. Les expériences de demain, je vous les raconterai dans ma prochaine lettre.



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