Keboemen
14 février 1935
Mes bien
chers,
Il y a 14
ans aujourd’hui que j’ai été malade (méningite)
et où commença pour toi, mamali, la période presque la plus difficile de ta
vie. J’ai beaucoup pensé à toi, à tout ce que tu as fait pour moi surtout en
maîtrisant des conflits intimes. Je te comprends tant et si bien, maintenant
surtout depuis que je suis mariée et connais un côté de plus de la vie. Aussi
mon Faaather, mon cher macaroni à toi aussi revient une bonne part de tendre
reconnaissance pour m’avoir soignée avec tant de dévouement. Et mes petits
frères, eux qui se sont tenus si gentils et depuis ont toujours gâté leur
petite sœur, mes chers vieux mistons.
Nous
sommes jeudi aujourd’hui, donc un peu tôt
pour vous écrire, mais aussi je ne vais que vous lancer un bout de lettre ce
soir, et surtout pour vous raconter ma visite à Tjilatjap, pendant qu’elle
m’est encore fraîche dans la mémoire. Nous sommes assis au salon, près du
radio, sous la lampe, avec la leesetrommel
(la caisse de lecture) les deux en pyjamas. Nous venons d’écouter un concert
magnifique et maintenant un journaliste donne un compte rendu de la situation
en Europe. Je préfère ne pas écouter, avec toutes ces histoires de guerre,
c’est pour vous ficher la frousse et je préfère faire l’autruche et garder ma
paix aussi longtemps que possible.
Nous
sommes rentrés de Tj. Hier matin à 10 heures, bien contents de notre visite qui
a été agréable, mais aussi contentes de nous retrouver dans notre home, moins
joli et moins grand que la maison des v.Tinteren, mais notre home, enveloppe
paisible de notre bonheur.
A
Tjilatjap je n’ai rien fait de spécial. Etant chez les v.T. j’étais moins libre
de disposer de mes matinées, c’est à dire que madame v.T. tenait beaucoup à ma
compagnie. Comme moi aussi j’ai joui de la sienne d’ailleurs, je m’entends bien
avec elle. (Cela n’est guère possible autrement après mon école de diplomatie
ici !) J’ai été avec elle chez la couturière, nous avons parlé toilettes,
etc. tout un tas de sujets bien féminins, ce qui m’a pourtant fait un énorme
plaisir, vu que je n’en ai pas mon compte ici avec Buby. Il se donne bien de la
peine pour tout me remplacer, mais quand je lui demande son avis sur un détail
de toilette il me répond : Est-ce que je sais, moi ? à la manière des
garçons. Mais je continue à lui demander son avis, peut être apprendra-t-il à
s’y intéresser et à y voir clair un beau jour !
Madame
v.T. déteste aussi tellement la
petite madame Erkelens (une indo-européenne) alors je l’ai un peu calmée et
nous sommes allées ensemble lui rendre visite. Bah, elle est 100 fois mieux que
ma Rickshaw. Depuis des mois, la mère Erkelens loge chez eux, c’est donc la
belle-mère et belle fille qui doivent s’entendre comme chien et chat. En
sortant de là, la mère avec qui j’étais seule un instant, m’a pris le bras, en
me chuchotant qu’elle était si malheureuse là, que c’était si monotone, que la
belle fille ne pouvait causer de rien, absolument rien. J’en ai été toute
surprise, car ce n’était que la seconde fois que je voyais cette femme. Je vous
dis, je fais des conquêtes en un tour de main, ici !
Vendredi
soir. Nous attendons les Voskuil qui
peuvent arriver d’un moment à l’autre. Ils sont arrivés de Batavia ce matin,
vers midi. Ils logent à l’hôtel. Monsieur Voskuil a été au bureau cet
après-midi et a dit à Buby qu’ils nous rendraient visite ce soir. Nous
attendons donc. Nous sommes deux en blanc. J’ai mis ma robe de broderie all
over blanche qui me va toujours extrêmement bien. Mes cheveux sont bien grâce
aux bigoudis. Buby aussi est bien, il pue la brillantine. Il a nettoyé ses
ongles. Il s’est nettoyé les dents (elles étaient toutes jaunes, le c…..).
Enfin nous sommes en plein dans l’ambiance de fête. A la cucina, la baboecina
fait des sandwiches. Elle n’y a pas encore le coup comme Minna ! Attendez
un moment, il faut que j’aille voir si elle ne fait pas de bêtises !!! –
Bon, cela y est.
Samedi le
16 février. Oui, les Voskuil sont donc arrivés hier soir. Leur visite a été
agréable. Ils nous ont apporté le paquet de papa Woldringh, contenant le coffret à bijoux de Linette, avec la
plupart de ses bijoux et une de ses sacoches en cuir crocodile presque neuve.
Mais je vous énumérerai tout cela plus bas car il me faut procéder dans
l’ordre, sans quoi je n’en sortirai plus moi-même. J’ai tant à vous raconter.
Les Voskuil ont donc d’abord été chez les Visser, puis chez nous. Madame est
presque venue spécialement par ici pour me voir, nous voir, quoi, et nous
remettre ces bijoux. Aujourd’hui elle repart pour Kediri où se trouve sa fille
aînée, qu’elle n’a pas encore vue.
Nous avons
parlé de choses et autres, de Hauterive, de Flock, de vous surtout. C’était
très heimelig de les avoir ici, il nous semblait être en Hollande. J’ai eu
beaucoup de plaisir surtout à voir madame Voskuil. Elle m’a montré beaucoup de
sympathie et surtout beaucoup de compréhension pour les difficultés que je
devais avoir au commencement, et je crois bien qu’ils sont un peu surpris comme
nous nous en sommes bien tirés. Ils ne sont pas restés trop longtemps, car M.
Voskuil devait partir ce matin à 6 heures pour visiter Tjilatjap. Elle ne
l’accompagnait pas alors je me suis tout de suite offerte pour aller lui tenir
compagnie à l’hôtel ou l’avoir chez moi. Elle a accepté avec plaisir car ils
avaient promis à M. Röhwer, qu’elle irait visiter sa fabrique, une sorte de
compensation parce qu’ils ne leur ont pas rendus visite, mais sont venus chez
nous ! Ce matin j’ai donc marché à l’hôtel où je l’ai retrouvée, prête et
souriante, toujours bien sympathique. Elle a été comme une maman pour moi vu
qu’elle a aussi sa fille mariée ici, et j’ai bien pu lui raconter un peu de
tout à cœur ouvert. Je ne vous
cacherai pas que j’ai pissé de l’œil deux secondes quand elle m’a parlé de toi
et de sa visite à Sutz. Alors elle m’a dit : oui, oui, jeune femme, nous,
femmes aux Indes, nous y passons toutes par là, mais cela passe aussi. Pourtant
elle a pu se rendre compte que je n’avais pas l’ennui et je vous dit, ils ont
les deux été surpris de voir comme tout allait bien avec nous. Avec elle, ce
matin, j’ai donc été visiter la fabrique, ensuite nous sommes venues ici, chez
moi, pour boire quelque chose de rafraîchissant. Elle est restée une heure de
nouveau et nous avons bien pu bavarder. Tout l’intéressait, elle comprend tout,
ayant aussi fait ses débuts ici, et aussi avec des Indischen.
Hier soir,
après le départ des Voskuil nous avons ouvert le coffret, Buby et moi, devant
le portrait de Linette. C’est un beau coffret en cuir fauve, contenant aussi
une sorte de compartiment secret. Le dedans est en velours vert sombre. Mes
chers, je ne peux pas vous décrire en tous détails tous les bijoux que j’ai
reçus.
Naturellement
que je vais les porter, selon qu’ils s’accordent avec mes robes, et malgré tous
les regards de jalousie du monde. Nous l’avons dit ici que j’en avais reçus, en
partie pour justifier la visite des Voskuil, donc c’est compréhensible que je
les porte. Les plus beaux, je les porterai à la maison, seulement pour nous
deux, comme cet après midi aussi j’ai mis ma belle robe imprimée chaudron de
Max, avec mon grand médaillon et un des bracelets de Linette, qui s’accorde. Alors
quand M. Visser est venu demander à Oscar de jouer au tennis il a fait de gros
yeux quand il m’a vue aussi bien habillée, lui qui ne voit sa femme qu’en kimono
toute la sainte semaine. Lui, comme tout le monde qui voit ce médaillon, n’a
pas pu s’empêcher de me dire qu’il était merveilleux. Oui, il fait un effet fou
avec cette robe, ils se complètent si bien l’un l’autre.
Demain
soir il y a repartage du match Hollande-
Allemagne (football), à
Amsterdam. Tante Engel m’a écrit un billet pour demander s’ils pouvaient venir
écouter, ils amèneront encore une autre famille avec eux. Des gens que nous ne
connaissons pas encore. Probablement que les Visser viendront aussi, à moins
qu’ils ne veuillent pas rencontrer tant de monde. J’aurai donc toute une
compagnie demain soir. Je vais faire en sorte d’avoir une assiette de nassi
goreng pour chacun, et quelques sandwiches, 1-2 bouteilles de bière, du sirop
au citron et finie l’affaire. Heureusement qu’ici on ne fait pas tant
d’histoires que chez nous en Suisse, sans quoi, maintenant déjà je commencerais
à me faire du souci !
Mais vous
voyez que je n’ai pas le temps de m’ennuyer, il y a toujours du mouvement, soit
d’un côté soit de l’autre.
Monsieur
Voskuil ne nous a rien dit, mais diable, il se pourrait bien que nous ayons à
déménager, nous sentons quelque chose dans l’air. En ce moment, la Mexolie est en effervescence, cela
mijote dans tous les coins à cause des nouvelles mesures prises, avec
lesquelles presque personne ne se trouve d’accord. Nous non plus, nous ne
pouvons pas y voir de bon côté et croyons que la Banque (Banque des Indes
néerlandaises) est en train de faire un faux pas, mais enfin, nous ne
pouvons envisager les choses que d’un coin, tout de même. C’est sûr que nous ne
laissons rien voir, il n’y a qu’à papa Woldringh (un des directeurs) qu ‘Oscar écrit ouvertement son opinion, mais si à ses
prochaines visites M. V. lui demande son opinion, c’est sûr qu’il la donnera
aussi, très prudemment. C’est aux gens d’ici que nous ne laissons pas trop
voir.
Les
Voskuil ont presque poussé les hauts cris lorsqu’ils ont vu Buby, comme il
avait bonne mine et engraissé. Ils n’en pouvaient croire leurs yeux. J’en suis
bien contente d’un côté, mais de l‘autre, je le mets un peu au régime
maintenant. Il n’a plus son porridge le matin, c’est d’ailleurs son propre
désir, et autant que possible je remplace les farineux par des légumes ou des
fruits, tout en n’allant pas trop loin et en tenant compte des calories,
vitamines etc. Moi, quant à la grosseur, madame Voskuil ne m’a pas trouvée
changée, c’est aussi la seule chose qu’elle ait pu juger, ne m’ayant connue que
pendant une demi-heure en Hollande, à notre visite d’adieu.
Cette semaine,
j’ai fini de couper et faufiler ma robe de piqué blanc. Est-ce que je vous en
ai déjà parlé ? Je ne m’en rappelle plus. J’ai eu assez de peine avec
cette robe, mais cela vient surtout de ce que je n’ai jamais pu y travailler
tranquillement, toujours une demi heure, puis j’étais dérangée et quand je
reprenais le travail, je ne savais plus à quoi j’en étais. Bref, j’ai fini par
en avoir marre et un soir j’ai même eu les bleus à cause de cette charrette de
robe. Le lendemain je me suis dit : ou bien ou bien, soit je la finis soit
je la fiche aux pattes, et avec un reste de courage j’ai fini de la faufiler
pour l’essayer, et… bonheur, elle n’allait pas mal du tout excepté 2-3 petits
changements. Ils sont faits maintenant, et la robe « fit » très bien,
elle a même beaucoup de ligne !!! Maintenant je n’ai plus qu’à la coudre
et la terminer, ce qui demandera bien encore quelques jours, car je veux faire
du travail propre. Après je vais m’en faire une noire, toute simple, pour
certaines occasions, que je pourrai porter avec beaucoup de garnitures
différentes, entre autre aussi avec des manches en tulle de ma vieille robe
orange, etc.
Si la
chose s’arrange que nous puissions aller à Tjilatjap pour cette réception chez
le Regent, je dois encore filer à Semarang pour ma permanente. Il se peut donc que vous receviez ou une lettre très
courte ou pas de lettre du tout, la semaine prochaine. Vous ne vous en ferez
pas et penserez que je m’amuse.
En
rentrant de Tjilatjap nous avons donc trouvé vos lettres du 28 janvier avec la
deuxième série de photos. Je n’ai pas d’expression assez forte pour les
CRITIQUER, il vaut donc mieux que je me taise, et vous en penserez ce que vous
voudrez. Les petits chiens sont vraiment jolis ! Faaatherli est bien sur
la photo, seul avec toi mamali. Toi, tu as l’air un peu raide, mais je crois
que c’est l’effet du col de ton manteau, un effet qui n’est pas
photogénique !
Ce mois
nous ne recevrons pas de koprah geld,
(voir lettre du 30.12.1934) peut être
Fl. 15.--, pas plus. Gare, il faudra serrer les freins !
Mon kebon
aujourd’hui vient vers moi, me dire que sa femme avait accouché d’un gosse, il
m’a demandé congé pour aller nettoyer le tout et m’a aussi demandé une avance.
Comme il a déjà Fl. 4.--, d’avance, je n’ai pas voulu lui en donner plus, mais
à la fin, j’ai quand même eu pitié de la femme, et je lui ai donné Fl. -.50
comme cadeau. Avec cela, je ne peux plus le voir par moments, et je me demande
quel événement de famille il va encore avoir. En ces 4 mois qu’il est ici, il a
eu deux décès, 1 naissance et tout le diable à quatre ! Est-ce que je vous
ai une fois écrit que ma baboe a aussi perdu sa maman. Elle a pleuré en me
l’annonçant. Naturellement j’ai aussi dû avancer Fl. 5.--, pour payer les frais de l’enterrement. Mais
c’est fou, ces gens, comme ils savent garder pour eux tous leurs sentiments.
Jamais on ne s’apercevrait de quoi que ce soit, chez elle, elle reste toujours
la même, avenante, faisant son travail toujours d’humeur égale, et pourtant
elle en a beaucoup de chagrin.
Buby a fiché
en l’air sa raquette. Il vient d’en
acheter une neuve chez un chinois, un client, pour Fl. 15.-. Moi, je vais dépenser Fl. 15.--, pour ma
permanente, ainsi cela fera le compte !
Les
souvenirs de nos amours sont comme des papillons de velours !
Depuis
quelques jours, nous avons grande guerre, Buby et moi. Il a pris la mauvaise
habitude de toujours garder la cigarette
aux lèvres, et cela lui arrive de même parler à une dame avec la cigarette
à la bouche. Cela alors, c’est un crime à la politesse que je ne peux pas
laisser passer. Pour le punir, chaque fois qu’il le fait, je vais prendre 10 cents de son compte privé, et les
verser dans le mien, (elle a toujours été bonne à ces sortes de transactions,
la Ge… !) J’espère que cela le guérira de cette déplorable habitude et
surtout que cela le punisse. Mais je ne suis pas trop sûre de ce dernier fait.
Nous
sommes lundi soir. Hier soir dimanche, nous avons donc eu les Engelhart avec
les Lenzink. L’émission a été très bonne, dommage que les Kaaskoppe (hollandais) aient
perdu. Ils sont restés jusqu’à passé minuit. Mon nassi goreng était bon, et
a été bouffé avec plaisir.
Aujourd’hui
j’ai écrit à papa Woldringh, et dormi tout l’après midi, pour me rattraper de
hier, et heureusement que je l’ai fait, car à 5 heures Oscar m’annonce qu’il
doit faire la tournée pour monsieur V. demain à Solo et Djocja. La petite Hanny
va plus mal et ses parents s’adonnent au pire désespoir et découragement.
Visser ne partira donc pas demain et moi j’accompagnerai Buby. Je verrai Jans,
car naturellement nous allons manger chez eux. Vendredi, si la petite ne va pas
mieux, Oscar ira à Semarang, alors j’en profiterai pour aller au coiffeur.
Samedi ou dimanche prochain, il nous faudra de nouveau aller à Tjilatjap. Vous
voyez que nous avons une semaine en l’air, une fois de plus. Je ne vais donc
plus faire long, car Buby est déjà au pieu. Nous devons nous lever à 5 heures
demain.
Father,
aujourd’hui nous avons reçu de la direction de la poste à Bandoeng ce bout
d’enveloppe retrouvé dans la correspondance qui a pu être sauvée du désastre du Uiver, l’avion Douglas qui
a si malheureusement été détruit dans le désert de Syrie. D’après le Journal du Jura, vous n’en avez pas
entendu parler beaucoup, mais c’est un accident ou plutôt un drame qui a touché
presque le monde entier, en tout cas tous les pays qui avaient pris part à la course Londres-Melbourne. (voir lettre 29.10.1934). Quant à nous ici et en Hollande, on en a été
atterré. Enfin, bref, on a sauvé tout ce qu’on a pu de la correspondance à
bord. Ce bout d’enveloppe déchiré et brûlé est tout ce qui reste d’une longue
lettre de Noël de papa W. Nous voulions lui envoyer ce témoin de cette terrible
catastrophe mais Buby a décidé de l’envoyer à toi, puisque tu es si fou de
timbres, de nouveau. Comme tu vois, c’est un timbre spécial, et le tout
atteindra ou a déjà atteint beaucoup de valeur. Si ce n’était pas le cas en
Suisse, alors du moins dans les pays qui ont pris part au deuil. Tu en auras
bien soin, et j’espère que cela te fera plaisir, surtout encore que c’est Oscar
qui te l’envoie, pas même ta Ge…. !
Mes chers,
je vais filer au pieu, il est tard et Buby ne peut pas dormir en entendant ma
machine. Donc bonsoir, jusqu’à la semaine prochaine. Toutefois ne vous attendez
pas trop à des nouvelles, avec une semaine pareille !
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