18 novembre 1934,
Käpumän
(écrite avec le ruban rouge)
Rouge :
la couleur de l’amour ! Ta lettre du 6 courant, no 60, reçue hier au soir, m’a fait un bien énorme. J’ai eu un sale
jour, hier, rien ne marchait, tout allait mal. J’ai perdu mon temps, je me suis
fâchée, je n’ai rien foutu, et voilà que ce petit billet bleu ma apporté la
paix, le contentement, la gaîté, et surtout du courage.
Commençons
vite par la chronique : ou plutôt continuons celle de la semaine passée.
Nous sommes donc arrivés chez Margot, et à 10 heures du soir on nous sert un
bijou de souper sur une table bien polie et des napperons à l’américaine. Malheureusement
nous avions déjà mangé de la rijsttafel
chez l’oncle de Jans. Moi, je n’avais plus du tout faim, et Buby non plus, mais
il s’est exécuté de son mieux, tandis que moi j’ai tout laissé sur l’assiette,
ce qui n‘était pas fait pour faire plaisir à Margot ! Enfin nous sommes
restés à causer jusqu’à minuit, non sans que Margot m’ait proposé plusieurs
fois plusieurs de ses robes du soir pour aller danser, mais vraiment nous n’en
pouvions plus. Le lendemain, dimanche, nous étions mieux reposés, et après
déjeuner nous avons été au Golf Club où Maurice avait à participer à un
concours, ensuite nous avons fait une merveilleuse promenade par Tjandi, le
Zurichberg de Semarang.
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Semarang 1904, Oscar bébé et ses parents |
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rue de Solo |
Le même soir, après souper John était invité à un choppe par son patron qui fêtait je ne sais quoi. C’était une partie pour les messieurs seulement, une beuverie un peu. Naturellement John voulait y emmener Oscar, mais à ma surprise Buby a refusé, disant qu’il ne pouvait pas boire, devant travailler dur le lendemain. J’ai trouvé cela très sage et cela m’a fait plaisir, surtout que moi, je lui avais encore dit de profiter de l’occasion. Ainsi Jans, Oscar et moi avons passé notre soirée au cinéma, un film de rien du tout dont nous avons bien ri. Le lendemain, lundi, nous sommes partis de Solo à 11 heures du matin, non sans que moi j’aie encore été en ville avant, acheter des souliers et faire mes dernières emplettes de ma liste. Nous sommes arrivés ici à 3 heures, avons vite dîné et Buby a couru au bureau pendant que moi je reprenais possession de mon domaine que j’avais abandonné pendant 5 jours. Cette sortie m’a fait beaucoup de bien, à Oscar aussi, elle nous a donné une nouvelle dose d’élasticité, car j’ai vu qu’i y avait un danger de ne pas sortir souvent on perd son vernis. Nous avons réintégré notre palais avec beaucoup de plaisir, there’s no place like home, et plein de nouvelles idées, de vues plus larges, et je vous dis, en un mot, plus élastiques. Il y a une ombre à toute l’affaire, nous avons employé énormément d’argent. Les sorties reviennent très cher ici, seulement en train nous avons dépensé plus de Frs. 40.--, c’est que les distances sont énormes ici. J’ai acheté un ravissant petit chapeau en paille noire avec une garniture (voir lettre précédente, photo) qui ira très bien avec ma robe de laine jaune.
A propos,
j’ai bien reçu ma robe, n’ayant dû payer que 97 1/2 centimes de douane. Elle me
va comme un gant, aucune retouche à y faire, sauf la rallonger de 3-4
centimètres. J’aime bien porter les robes assez longues, parce que je suis le
plus souvent sans bas, et alors il faut que je cache mes poils aux jambes.
Tout le
reste de la semaine je n’ai pas fait grand’chose. J’ai surtout marroné les
domestiques du matin au soir, car pendant ces quelques jours d’absence ils se
sont visiblement relâchés. Il a fallu les reprendre, et je crois même que je
suis rentrée un peu plus difficile encore après avoir vu ce ménage soigné de
Margot. Enfin, je m’en suis rendue compte et maintenant je ne me fâche plus
avec eux. Mon djongos n’est pas encore loin, je désespère de jamais pouvoir le
mettre à la porte, je n’en ai pas
le cœur, il est si pauvre. Diable, c’est difficile.
Vendredi
Oscar a été en tournée avec M. Visser pour la première fois. Ils sont partis le
matin à 6 heures et revenus le soir à 6 heures, une journée bien chargée.
Chaque fois qu’un employé ou l’administrateur sortent ainsi tout un jour, la
fabrique accorde Fl. 5.--. Avec cet argent ils doivent manger, et Oscar m’a
rapporté une livre d’excellentes saucisses au foie faites par un boucher
allemand, à Solo, car il a aussi été par Solo etc.
Oui, nous
savions que Mr. Voskuil allait venir, mais sa venue n’est pas un heureux
présage, il vient pour de nouvelles mesures
d’assainissement ! Peut être subirons nous aussi une réduction de
salaire ! Pour nous, cela ne me fait pas grand’chose, je saurai toujours
tourner, pourvu qu’on ait du travail et que l’argent rentre régulièrement, si
peu que ce soit. Enfin, qui vivra verra.
A
Semarang, chez Andriesse, j’ai enfin acheté de l’étoffe pour couvrir notre
couch.
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vieux Semarang |
Comme je ne pouvais pas trouver le même tissu que nos fauteuils, j’ai,
sur les conseils d’un monsieur d’un certain âge (dont je crois que j’ai fait la
conquête ayant mon petit chapeau neuf sur la tête !) Hé, flûte, je radotte,
car je crois que je vous ai déjà écrit cela dans ma lettre précédente, mais
j’en ai un tel plaisir.
Merci
mille fois pour la liseuse !
C’est sûr qu’elle sera jolie, j’en aime bien la laine, mais stpl. ne te
fatigue pas, vois-tu rien ne presse, ne te dépêche pas. Les pluies sont
maintenant assez régulières de sorte que la température aussi est plutôt
stable. Je me porte très bien. Padreli, merci pour ta carte de Londres. Je ne
l’ai pas encore reçue, mais cela me fait déjà plaisir de savoir que vous avez
pensé à moi Je suis contente si tu as fait de bonnes affaires, mais sont-elles
vraiment bonnes ? Oui, tu sais maintenant que vous êtes à Bienne de
nouveau, tu pourras bien m’écrire de temps en temps, j’aime bien tes lettres
quand tu t’y mets pour me donner des nouvelles !
Merci pour
les conseils de la tourte, c’est en ordre. Hier j’ai voulu en faire une, alors
il se trouvait que je ne pouvais pas ouvrir le couvercle de mon verre à sucre,
il ne restait plus qu’un œuf, il a fallu en faire chercher et très peu de
farine. Enfin, je vous ai écrit plus haut, que tout allait mal hier, j’étais de
mauvaise humeur et finalement je n’ai pas fait de tourte, bien que la baboe a
complètement raté le dîner, parce qu’étant de mauvaise humeur, j’ai pris mon
parasol et suis allée marcher. C’est toujours mon remède. A midi je suis
revenue avec madame Visser que j’avais rencontrée en auto et voilà que le dîner
était brûlé. Il y a des jours je peux bien la laisser cuire toute seule, mais
d’autres, nom d’une pipe, c’est comme si elle faisait exprès. Enfin, c’est
passé et aujourd’hui le caneton était bon. Nous n’avons pas eu de riz, mais des
choux rouges, assez rares ici. Ce soir on s’est payé des filets de poisson,
pour 15 cents !
J’ai reçu
l’annonce d’un nouvel échantillon sans valeur que je pourrai faire retirer
demain. Il n’y a pas de douane à payer, je pense que ce sont les manches de la
robe, alors au revoir correspondance, je vais me mettre à coudre à toute
vitesse.
Eh, mes
chers, dirait-on que Noël est de nouveau devant la porte ? c’est à peine
croyable. Peut être que nous ne pourrons pas aller à Semarang, ne pouvant pas
prendre plus de deux jours de congé, et cela c’est trop court. Nous le
passerons donc bien tranquillement chez nous, pour nous deux, et nous penserons
à vous. Nous voulons tâcher d’avoir le radio pour Noël, ce sera bien et à
Sylvestre, nous écouterons les cloches de Big Ben à Westminster, tout comme
vous mais chez nous ce sera déjà Nouvel-An matin entre 7-8 heures.
C’est drôle,
pas ? Quels sont vos projets de Noël, comme toutes les années ?
Lundi
matin : j’ai presque oublié de te dire que j’ai lavé ma jupe grise, tu
sais celle du costume coton acheté chez Hedy. Un beau matin j’ai eu une rage de
laver tout ce que je trouvais sous la main comme toi, et tout a bien réussi,
j’en suis très contente. Demain, quand le courrier sera liquidé, je vais
m’attaquer à la jaquette, ainsi je pourrai épargner au moins Fl. 5.--, la jupe
n’a pas du tout rétréci elle est restée bien en forme sans repassage.
Ouf, mes
chers, il est bientôt midi. J’ai passé toute ma matinée à la cuisine à faire
une tourte à l’ananas et un soufflé avec mes restes de canetons. Je prends de
bonnes recettes dans le Jardin des Modes.
Ma tourte est une recette de Mme Engelhart, je doute que je l’aie réussie,
c’est la première fois et j’ai
toujours un peu de difficultés avec la cuisson au four, c’est pas nos fours des
beaux potagers à gaz, diable, c’est avec cela que ce sera facile de cuire plus
tard ! Avec mes charrettes de charbons
qui nous mettent en nage au bout de 5 minutes. Enfin, zut, c’est la vie et je
dois vite aller voir. Je viens de recevoir les manches et la ceinture en étoffe
et quelques restes de ma robe jaune. Je trouve le tout ravissant et me réjouis
de la terminer. Elle me va très bien.
Cochon,
tous mes ananas se sont enfilés,
enfoncés dans la pâte au lieu de rester dessus. J’aurais d’abord dû cuire la
pâte toute seule et ensuite y placer les ananas, mais ce n’était pas sur la
recette, alors j’ai cru essayer. Tant pis, Buby la bouffera quand même, pourvu
que ce soit doux, chez lui, tout est bon. Je crois qu’il est pire que Charlot.
Demain Buby
va à Semarang avec Mr. Visser, en tournée. S’il a le temps il s’informera pour
un radio, d’abord il voulait en construire un lui-même, mais je crois que cela
reviendrait aussi cher qu’un tout fait, mais pour son plaisir et se passer le
temps le soir quand il revient du bureau, il en construira un petit à courtes vagues (ondes courtes) pour attraper les conversation et les s.o.s. Cela
sera bien. Il a calculé qu’on peut et qu’on doit faire de meilleures économies
ailleurs. Je me réjouis demain toute la journée je vais coudre, j’aurai un bon
jour de libre sans personne qui me fait perdre mon temps à blaguer.
A la main :
Ma tourte
est excellente, j’en ai eu presque une indigestion. Nous avons presque oublié
d’écrire à papa Woldringh pour sa fête, c’est encore moi qui ai dû le faire…
Buby est incorrigible. Ge…