jeudi 13 juillet 2017




Batavia

6 juin 1940
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Ma chère petite Rötteli mia
Mon cher Padre, mes chers Charlou

Je viens de faire de l’ordre ans mon panier à ouvrage, et en voyant tous ces bouts de laine provenant des innombrables jumpers et blouses que tu as tricotés pour moi dans le courant des dernières années, je me suis dit : si seulement je pouvais l’embrasser ma Rötteli. Aussi je les garde bien précieusement tous ces beaux cadeaux  ! Oh, mes chers, vous lirez bien un peu entre les lignes que j’ai bien l’ennui de vous ce soir. J’aimerais tant et tant savoir comment vous allez tous. Oui, je le sais bien par tes dernières lettres Mamali, mais que voulez-vous, on n’est jamais content !!! Enfin, mes chers, ce n’est pas le moment de penser ainsi et de se plaindre, aussi je me reprends, ne vous en faites pas. D’ailleurs je puis bien me représenter que vous avez bien d’autres soucis en ce moment. Je vois par les journaux que les mesures sont prises pour la défense nationale, mais est-ce qu’en civils vous avez aussi pris toutes les précautions ? Au moins n’hésitez pas à employer cet argent, dont je vous ai déjà parlé, pour vous mettre en sûreté. Je ne veux pas entrer en détail quant aux mesures à prendre, vous les savez mieux que moi, je présume. En tout cas, Mamali, Papali, vous savez que vous aurez toujours un home chez nous, quoi qu’il arrive et malgré la grande distance, si c’est nécessaire et pas tout à fait impossible, venez-y, aussi bien Oscar que moi nous vous recevrons à bras ouverts, vous le savez bien. Quant à la place, il ne faut pas vous en faire, il y en a toujours. C’est ce qu’il y a de beau dans ce pays-ci, tout s’arrange, il n’y a pas de situation aussi compliquée ou aussi imprévue qui ne finisse pas par s’arranger. Et vous aimerez être ici, vous serez même enchantés du pays, j’en suis plus que certaine. Quant à la chaleur, on aura vite fait de vous trouver une petite bicoque dans les montagnes où Padre fera son élevage de canards etc et où le climat est comme en Europe. Mes chers, soyez persuadés que vous avez ici un home avec des cœurs tout pleins d’affection qui vous attendent. Je ne parle pas de mes frères, mais j’y pense d’autant plus ! C’est terrible, terrible cette guerre, toutes les choses affreuses, monstrueuses qui se passent. Et se trouver ici, ainsi impuissant à soulager toutes les misères. Je travaille tout ce que je peux et tant que je peux pour la Croix Rouge. Je ne puis pas quitter mon domicile pour aller travailler quelque part, mais ici à la maison, je puis travailler à confectionner des habits pour les réfugiés.
Je pense que Minna s’est aussi enrôlée dans les services complémentaires ? J’y travaillerais aussi si j’étais en Europe.
Aujourd’hui Conradli a ri pour la première fois, je dis bien ri, vraiment ri. Jusqu’à présent il nous faisait toujours de beaux sourires, mais cet après midi, quand je l’ai lavé et que je lui ai mis une belle petite chemise pour recevoir son pappie quand il rentrerait du bureau, il a eu un tel plaisir qu’il riait et poussait des cris de joie. C’était si joli d’entendre ce rire d’enfant. Je crois qu’il a eu du plaisir à la couleur de cette petite chemise qui est d’un beau bleu éclatant. Une fois que Boili était là et que j’aurais voulu que Conradli rie, il ne l’a pas fait !!! C’est toujours ainsi et je trouve si dommage que Boili n’en jouisse pas autant que moi.


L’autre soir, je lui donnais la bouteille et je parlais avec Boili. J’avais aussi mis la petite jaquette de lin de mon costume de Hedy, et dont le col se tenait contre mon cou au lieu d’être aplati. Enfin, à un moment donné, quand je regarde Schnucksibol, le voilà qui fait un pampeli (pampu, moue, petite moue) pour pleurer. Vite j’appelle Boili pour venir regarder, mais hélas, c’en était trop. Le pampeli s’est changé en cris et en pleurs. Conradli a été effrayé par ce col de jaquette et aussi il ne supporte pas ma voix qui est plus grosse que quand je lui parle spécialement à lui. Oscar a bien ri et ce Conradli qui avait un vrai chagrin ! Heureusement qu’il s’est vite consolé, mais quand je suis près de lui et que tout à coup j’appelle d’une voix forte, le pampeli se montre immédiatement.
Ce soir nous avons été en auto, voir quelqu’un vite, mais je suis arrivée 10 minutes en retard à la maison pour lui donner sa bouteille, alors monsieur criait et se lamentait comme si je l’avais eu au couteau. Oh, ce qu’il pouvait crier d’une façon lamentable, comme s’il était le plus malheureux et le plus mal soigné de tous les enfants. Il avait un vrai chagrin que sa mammie l’ait délaissé !!! Il était fâché aussi, car Oscar voulait un peu l’amuser pendant que je préparais la bouteille, et il n’en voulait rien savoir mais continuait de crier. Et il sait déjà stampfe (trépigner), vous devriez voir cela. Il commence à devenir tellement humain maintenant. Chaque jour apporte une nouvelle surprise. C’est un bel enfant, je puis le dire sans vouloir m’en vanter. Sa petite mèche de cheveux que je voulais t’envoyer dans ma dernière lettre, sera jointe à celle-ci, car la semaine passée, je l’ai oubliée. Il est tellement gentil aussi, toute la journée je ne l’entends pas, le matin dans son berceau il s’amuse tout seul avec ses doigts et quand je me montre, il me sourit, mais jamais il n’essaierait de bringuer. Peut être que cela viendra encore mais nous faisons maintenant déjà bien attention de ne pas le gâter. Et cela nous en coûte, je dois l’avouer.
Ce matin vers 5 heures par exemple, a éclaté un orage assez violent qui m’a réveillée. J’ai immédiatement pensé à mon Conradli dans la chambre à côté, mais voilà que Boili était déjà debout pour aller vers lui, alors nous avons pris l’excuse de l’orage pour le prendre dans notre lit où il est resté couché entre nous deux s’amusant avec un coin de drap pendant que nous deux essayions de dormir encore un peu. Je sais que je jouis d’un bonheur immense d’avoir notre petit enfant et de pouvoir en jouir ici tranquillement, alors qu’il y a tant de mamans en Europe qui voient leurs enfants souffrir. Je le sais que je suis privilégiée et j’en suis reconnaissante, croyez-moi. C’est bien ce petit enfant qui me donne une force et un courage moral inouïs. Comme je vous l’ai déjà dit, ne vous faites pas de souci pour moi.
Ce soir Boili est allé jouer au tennis. Nous avons loué un court pour un soir par semaine, avec les Fraay et plusieurs autres connaissances. Moi, je n’ose pas encore jouer, mais cela viendra sous peu. Ces derniers temps Oscar ne voulait plus y aller, mais je l’y ai obligé, car ici il faut faire du sport pour rester en forme et bien portant.
Dimanche soir, 9 juin 1940
Nous avons entendu aujourd’hui de l’accident survenu près de Bienne au lieutenant Homberger. Oui, mes chers, je puis bien m’imaginer dans quel état d’esprit chacun doit vivre, dans quel était d’énervement, de tension et de crainte, mais aussi avec quel courage et combien résolus à la défense de notre beau pays. Mes chers, comme notre général Guisan l’a dit, nous allons chacun faire attention de ne pas nous laisser gagner et nous laisser affaiblir par la psychose de guerre. Je fais donc aussi mon possible pour suivre son conseil et tenir mon courage à deux mains. Pour le reste, mes cher, je prie, je prie pour vous tous.
D’ici, je n’ai pas beaucoup de nouvelles à vous donner. Nous vivons calmement, comme d’ailleurs chacun ici. De temps en temps, nous faisons un petit tour d’auto et allons voir des amis, ou bien nous avons des visites. Moi j’ai repris mes occupations de ménage, car je suis tout à fait remise et me sens très fit.
mariage Koningsberger

Nous venons d’apprendre que Koo Koningsberger va se marier au mois de juillet. Ils ont demandé à Oscar d’être témoin et je pense que nous assisterons donc à la noce. Je suis en train de changer ma robe jaune en broderie de Leni, car elle va bien avec mon grand chapeau que j’avais acheté à St Gall avant de partir. J’ai bien soin de tous mes habits, car je cherche à économiser partout et sur tout.

Minnie Dozy Koningsberger et Oscar

Nous donnons beaucoup à la Croix Rouge. Conradli a de nouveau gagné 220 gr cette semaine. Il grandit tellement vite. Il s’amuse maintenant à toucher et tenir tout ce qui lui tombe sous la main, et surtout il veut toujours sucer sa chemise ou le coin d’un petit drap. Sans cela il est toujours content. Au mois d’août, nous allons louer un petit bungalow quelque part dans les montagnes encore avec une autre famille qui a 2 petits enfants. Ce sont les Hausermann, des Anglais d’origine suisse et qui ont rencontré René (frère du Padre) à Londres dans le temps. Je ne sais pas si Boili poura venir aussi, s’il aura congé, mais maintenant je ne peux plus l’attendre, il faut penser à Conradli qui doit aller à la montagne avant la saison des pluies.
Mes bien bien chers tous, je pense à vous presque jour et nuit et je prie pour chacun de vous. 




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