Batavia
1er octobre 1940
219
Je viens
de lire dans le journal qu’un avion
poste part demain et qu’on peut donner des lettres pour l’Europe, entre
autre aussi pour la Suisse, alors je m’empresse de vous taper une lettre. Il y
a si longtemps que je n’ai plus écrit de vraie lettre, car de ne pas savoir si
elle vous parviendrait vraiment m’ôtait toute envie d’écrire. Pourtant je sais
que c’était égoïste de ma part, car Rötteli doit être anxieuse d’avoir de nos
nouvelles.
Il y a 3
jours j’ai reçu ta lettre 241.
Quelle joie, quel immense plaisir ! J’ai aussi reçu une carte de Charlot
il y a quelques semaines, elle était tellement bien venue aussi. Et merci de
votre télégramme ainsi conçu : tout va bien, tous bonne santé et chez
vous, lettre 245 partie dernière lettre reçue datée 9 juin ; auquel Oscar
a répondu : trio santé excellente, vacances montagne avons écrit juillet à
tous, bonne fête.
Je
regrette qu’il n’ait pas mentionné la 245 que nous n’avons pas encore reçue.
Peut être qu’elle viendra encore. Je vous ai donc écrit assez régulièrement,
mais seulement des cartes postales, parce que pendant un certain temps on ne
semblait plus pouvoir correspondre avec l’Europe. Maintenant il semble qu’un
nouvelle route ait été arrangée, mais je ne sais pas combien de temps les
lettres vont mettre pour vous arriver, si elles arrivent, car elles doivent
passer tant de censure.
Nous avons
donc passé deux mois à la montagne,
cela nous a fait un bien énorme, surtout à Conrad. Il est bronzé comme un petit
nègre et il a fait des progrès fantastiques. Cette madame Hausermann avec qui
j’avais loué la maison était toute jalouse de voir Conrad tellement plus vif et
plus intéressé dans son entourage que son propre baby qui a déjà 10 mois et qui
ne veut pas encore s’asseoir. Conrad essaie de marcher, chaque fois qu’il est
sur mes genoux il se hisse sur ses jambes en se cramponnant à mon nez la
plupart du temps. C’est fou ce qu’il est gai et vif. Il touche tout, il regarde
tout, c’est une surveillance de tous les instants. Il pèse maintenant 7.6 kg.
Il a donc amplement doublé son poids à 6 mois. Depuis deux jours quand il
pleure il dit toujours mamamamama, et quand il voit quelque chose d’intéressant
c’est tatata-tetete-tatata. Oh, c’est fou le bonheur que cela donne un petit enfant !
![]() |
Oscar et son fils |
Oscar aussi en est tout fou. Je crois
qu’il a eu bien l’ennui pendant ces deux mois que nous étions loin. Il venait
toujours pour les week end, mais c’était bien court. Enfin, c’est passé maintenant
et je vous dis que j’ai été aussi contente de rentrer que de partir. Oscar nous
a souhaité la bienvenue à la maison avec un immense bol de roses merveilleuses,
il est si content de nous avoir de nouveau. Si j’avais été seule je ne serais
jamais partie aussi longtemps, mais maintenant avec Conrad, je vais aller à la
montagne au moins une fois par année et si possible deux mois.
Je vous
envoie une série de 26 photos qui vous raconteront mieux notre vie que la plus
longue lettre. J’espère que vous les recevrez toutes, car je ne sais pas ce que
la censure pourrait retenir.
Il ne faut
pas vous faire de souci pour nous ici, la vie est encore tout à fait normale,
nous ne manquons de rien. Il y a seulement les impôts qui ont augmenté, mais
voilà il ne faut pas se plaindre.
Si c’est
possible d’envoyer une ou deux photos en Hollande, tu le feras, n’est-ce pas?
Nous aimerions tellement que tu nous transmettes ce que Ans vous a écrit, et
aussi la lettre de Kitty. Pendant que nous étions à la montagne Ir et Bernard sont venus un dimanche
matin nous rendre visite. Ir a dit qu’elle voulait aussi t’écrire, je crois que
ce sera surtout pour te demander une copie de la lettre de Kitty. Sais-tu que
Kitty attend son deuxième enfant ? Si c’est possible, tu nous feras parvenir
la nouvelle stpl. Ir et Bernard vous sont tellement reconnaissants de tout ce
que vous ferez à ce sujet, car vous êtes les seuls intermédiaires entre eux et
Kitty. Quand ils sont venus nous rendre visite, Ir a apporté un immense Teddy
Bear à Conradli, son premier !
Si j’ai
l’air d’une souris mouillée sur toutes ces photos, il ne faut pas t’en faire
Mamali, c’est que j’ai perdu presque tous mes cheveux. On m’a dit que cela
venait toujours après la naissance d’un garçon. A un certain moment, j’étais
absolument chauve aux tempes, mais maintenant c’est plein de jeunes cheveux,
comme dans le temps après ma maladie. C’est seulement dommage que les jeunes
cheveux qui repoussent soient aussi gris, j’espérais tant qu’ils repoussent
dans la couleur originale, mais voilà on
devient vieille ! J’ai maintenant tout à fait ma taille d’avant la
naissance de Conradli, j’en suis bien contente. Oh, mais cela m’a tellement
fait du bien cette vie saine là-haut. Tous les matins j’allais faire ma
promenade avec notre chien dans les plantations de thé. Je me levais très tôt
et quand Conradli se réveillait, à peu près vers 6 ¼ heures, j’étais prête et
n’avais plus qu’à lui donner sa bouteille et le changer. Je le mettais dans son
box dans la chambre, car dehors le soleil était encore caché par les montagnes,
et je partais dans mes gros souliers, pour une bonne heure de marche. Une fois
j’ai rencontré un sanglier, il a
passé à environ 6 mètres de moi. J’ai eu une belle frousse. Une autre fois j’ai
perdu mon chemin et j’ai dû traverser toute une plantation en friche, alors en
rentrant j’ai eu des sangsues aux
bras et aux jambes, Brrr ! c’était dégoûtant à enlever, mais à part cela
j’ai immensément joui de cette belle nature.
Maintenant
que nous sommes de nouveau ensemble à Batavia, Boily et moi allons chercher une autre maison, car celle-ci
est vraiment trop petite. Ce n’est pas précisément la maison même qui est trop
petite, mais les alentours. Il n’y a pas de jardin et cela me manque beaucoup,
aussi pour Conradli. Nous allons donc nous mettre à chercher une maison qui
nous convienne et nous chercherons jusqu’à ce que nous aurons trouvé, car nous
ne nous attendons pas à pouvoir aller en Europe de sitôt.
![]() |
Batavia vie mondaine |
Batavia/Jakarta 1940 |
Du moins je n’ose pas
trop y penser l’envie de vous revoir est trop forte en moi. Des fois, j’ai des souvenirs tellement vivants de personnes,
de choses ou de places qui me viennent que je n’y tiens presque plus, mais ce
sont simplement des moments, et puis cela passe et heureusement que mon
Conradli ne me laisse pas beaucoup de temps pour penser. C’est un immense
bonheur de l’avoir, notre vie qui était déjà heureuse avant est devenue encore
plus riche, plus intense. Vraiment, Conradli est le poids qui nous tient en
équilibre ici d’avec nos pensées pour vous tous. J’ai été si contente d’avoir
votre télégramme. J’espère que tu as passé une bonne fête, Padreli. Alors tu
t’es remis à la jauge ? (terme technique horloger : instrument
de mesure pour calibres, mouvements, etc) Tu as bien raison. Je me le suis
demandé déjà souvent, mais je ne voulais pas vous le demander.
Ach, mes
chers, mes chers, au moins ayez bien soin de vous et toi, ne te fatigue pas et
surtout ne te fends pas en quatre avec toute la charité que tu exerces. Je sais
bien que quand on voit tant de misère, on ne peut pas faire autrement, surtout
toi qui a si bon cœur, mais pense
que tu as encore quelque part, une girlie pour laquelle tu dois te garder en
bonne santé ! Je sais bien que la girlie ne comptera pas quand elle
reviendra, il n’y aura de la place
dans ton cœur que pour un Conradli !!! J’espère qu’il vous fera bien plaisir,
déjà maintenant je fais la prière avec lui tous les soirs, et nous demandons à
Dieu de protéger les grands parents afin qu’il puisse faire leur joie une fois.
Si
possible vous nous donnerez des nouvelles de Fatherli W et vous lui en donnerez
des nôtres. Je ne sais naturellement pas si vous pouvez correspondre et je m’en
remets tout à fait à vous, mais vous prie de nous donner autant de nouvelles
que possible. Maintenant que nous sommes de nouveau en ville et que je vais
reprendre notre vie normale, je vais vous écrire plus souvent de nouveau. Mon
minimum c’est une lettre ou carte postale par mois. Sur cela vous pouvez
toujours compter, mais à partir de maintenant je vais écrire tous les 15 jours.
Seulement il ne faut pas vous faire de souci si les lettres n’arrivent pas
régulièrement et peut être pas du tout. Et si jamais il arrivait quelque chose
à l’un de nous, vous auriez toujours un télégramme, mais si nous sommes
longtemps sans avoir de vos nouvelles, nous allons aussi télégraphier, donc il
ne faut pas vous effrayer si vous recevez des télégrammes, hein ?
Je vais
vous quitter pour ce soir, il est déjà tard, car entre temps nous avons eu des
visites et je n’ai donc pas pu écrire autant que je le voulais.
Toutefois
vous savez que vous n’avez pas à vous faire de souci pour nous et les photos
parlent pour elles-mêmes des progrès que fait Conradli. Tu n’as pas besoin
d’avoir peur, nous ne le forçons pas, en rien. Nous avons beaucoup de très bons
livres concernant les enfants et je demande aussi toujours l’avis du docteur
pourquoi que ce soit.
Mon
affection toute spéciale à mes frères. Donne aussi mon affection à Banely, et pour
vous, tout mon cœur mes pensées et mes prières.
Votre Ge…
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