samedi 29 avril 2017




Kediri

26 juillet 1939


Vous ne saurez pas ce que vous verrez en recevant une nouvelle lettre de moi deux jours après la précédente. Mais voilà, il faut vite que je rectifie une erreur, une étourderie.
Je vous ai écrit que nous avions Frs. suisses 4-5000.- à disposition, ce n’est pas vrai. J’ai fait une faute en calculant les florins en francs. Je savais qu’un franc suisse valait 43 cents en monnaie d’ici, et dans ma lettre j’étais d’avis que c’était un florin qui valait 43 centimes suisses. Nous avons donc à notre disposition Fl. 1000.- ce qui fera environ Frs. Suisses 2500.-.
C’est une bien grande différence et je regrette l’erreur si vous vous êtes déjà fait des illusions quant aux « capitalistes » que nous sommes. C’est le soir, en le racontant à Boili, que je me suis aperçue de l’erreur, ou plutôt c’est lui qui m’y a rendue attentive. Il s’est bien moqué de moi et voilà.
Entre temps j’ai reçu la lettre 213 de Rötteli. Vraiment je me sens très gâtée d’en avoir reçu tant si vite les unes après les autres, mais je prends donc bien note qu’il n’y faudra pas compter pendant un certain temps, puisque Minna (aide de ménage de Rose)  part en vacances. Je comprends cela et ne me ferai aucun souci.
D’ailleurs moi non plus je ne vais plus écrire pendant un certain temps. Nous partons à Soerabaya demain pour 2-3 jours, ensuite ce sera la visite de Elout et peut être bien que la naissance du petit prince (enfant de la Reine Juliana, ce sera Beatrix) (espérons-le !) aura lieu ces jours-ci et alors ce seront de nouveau trois jours de fête nationale. Pourvu que cela n’arrive pas pendant que Elout est ici, il faudrait alors faire la noce et nous n’en avons pas du tout envie. Enfin, vous êtes maintenant avertis et vous ne vous ferez pas de soucis.
Nous nous portons bien tous les deux et ce tonique que je donne à Boili lui fait du bien. Nous sommes aussi pleins de courage et de bonne volonté ferme pour recevoir les différentes pluies et aussi louanges et faussetés d’une manière correcte, mais rien de plus.
Je suis contente que vous jouissiez ainsi de Sutz, même s’il ne fait pas toujours beau temps.
Naturellement, Rötteli mys, il ne faut pas écrire si petit si cela est pénible pour toi. Ecris donc comme cela te va le mieux, car il ne faut pas que je t’embête plus que nécessaire avec les lettres que tu m’écris.
écriture de Rose

 Quant à moi, ton écriture petite ne m’embête pas du tout, je m’en félicitais toujours car ainsi les lettres étaient bien remplies, ce qui est encore le principal pour moi, mais d’ailleurs la différence ne doit pas être si énorme, et si c’est plus commode pour toi d’écrire plus grand, alors fais-le.
Et bien oui, avec les Sossich (amis de Rome) cela ne va plus tout, pauvre elle, je la plains. Peut être qu’elle réussira quand même à refaire sa vie, j’ai l’impression que ce n’est pas la volonté qui lui manque. En bons catholiques ils ne vont naturellement pas divorcer, ces deux, mais je ne crois pas que Sossich arrivera encore une fois à se corriger. Enfin, à chacun sa vie, vous ne pouvez rien non plus pour les aider, vous en avez déjà tant fait.
Hier j’ai eu la visite de tante Engel avec Boy, et j’ai redit que tu n‘osais pas avoir de visites. Ils sont naturellement venus pour me demander de tes nouvelles. Je crois que cela leur joue un sale tour que Boy ne puisse pas venir car à ce que j’ai deviné, il comptait débarquer à Marseille, prendre le train, passer par la Suisse et rester environ une semaine encore avant de reprendre ses études en Hollande. Ils n’ont pas dit tout cela mais j’ai été assez adroite pour leur tirer les vers du nez et voilà ma conclusion. J’ai immédiatement conseillé à Boy de faire le tour par l’Espagne en bateau, de s’arrêter à Tanger etc, et j’ai chanté les louanges de cette ville comme si j’y avais passé ma jeunesse ! Ah, bien non, cette fois, cela ne leur réussira pas de plier les circonstances et les gens à leur intérêt. J’ai aussi conseillé à Boy d’aller passer une semaine à Paris, s’il débarquait à Marseille, mais il n’y tient pas, vu qu’il serait tout seul. Ah oui, c’est au Chalet chez la famille Marchand qu’il aurait encore fait beau passer une petite semaine et se laisser gâter. Seulement moi, il faut que je fasse attention de ne pas m’embrouiller dans mes blagues. Hier j’ai encore dit que les garçons n’amenaient même plus leurs amis à la maison. Là-dessus ils n’ont plus rien dit, et moi aussi j’ai sauté sur un autre sujet.
Je vais offrir à Boy un petit dîner d’adieu, samedi ou dimanche prochain. Il y a longtemps que je dois une revanche aux Engelhart qui n’ont encore jamais mangé ici depuis que nous y sommes. C’est donc une bonne occasion mais cela m’embête seulement que d’y penser !!! Enfin, il faut y mordre et ce sera fait.
En revenant de Batoe j’ai mis ma baboe à la porte. Elle était très bonne pour son travail mais elle avait un fichu caractère, elle ne s’entendait pas trop bien avec les autres domestiques, et puis je la soupçonnais d’être poitrinaire, car elle a un mari qui l’est au plus haut degré. Maintenant j’ai une petite baboe qui n’est pas aussi bonne encore, elle travaille et elle est de bonne volonté, alors que peut être je réussirai à en faire quelque chose, mais ce qui m‘a décidée à la prendre, c’est qu’elle s’appelle… Minah !!! Et vous ne vous représentez pas le plaisir que j’ai d’appeler « Minah », je le fais autant que je peux !!!
A propos, je souhaite de bonnes vacances à la bonne Minna, la vraie, qu’elle en profite !
Cette madame Lüdi que tu as eue en visite, est-ce la boulangère de la Rue Basse ? Si oui, tu lui diras une fois que je pense encore souvent à leur pain et que je promets bien d’en profiter quand je serai de retour en congé.
Je suis contente que Nögg (Loulou, son frère) ait eu du succès à ce rallye et suis encore plus fière de lui pour bien d’autres choses !!! As-tu ta moto, maintenant, mon vieux ?
J’ai bien peur que tu ne te fatigues beaucoup trop, quand Minna sera loin, car tu n‘as plus l’habitude de faire le ménage et tu en feras trop. Ne pourrais-tu pas demander à quelqu’un de venir t’aider un peu, si c’était seulement une gamine d’école pour courir de ci et de là. Hé, les hommes, vous surveillerez votre Rötteli de près pendant ce temps, hein, je compte sur vous puisque je ne suis pas là pour la gronder et lui aider moi-même.
Quant à moi, je crois bien que je suis devenue très paresseuse et il faudra sérieusement que je me mette à travailler quand je reviendrai. Ici, je travaille toujours, je suis toujours occupée mais pas aux choses du ménage.
La madame Mogendorff est de nouveau pas bien, elle est dans son 8ème mois maintenant et doit de nouveau un peu vomir, alors elle s’en fait et se croit malade à mourir. Je n’ai jamais vu quelqu’un de si peu raisonnable. Elle se laisse aller à cent et retour, elle n’essaye pas de se distraire, toujours elle pense à cela et fait des tititi (tirer les cartes), elle est même en correspondance avec une femme en Hollande pour cela et elle croit tout savoir. Moi, je la laisse me raconter toutes ces choses d’elles, mais jamais je la laisse m’approcher à ce sujet je suis réservée autant que possible. Tu n’as pas besoin d’avoir peur, jamais je ne laisse faire de tititi. C’est arrivé une fois, mais plus jamais. Je tiens à garder mes pensées propres et saines surtout, et d’ailleurs j’ai d’autres idées de la vie qu’elle. Par exemple, elle a de nouveau vu qu’ils ne resteraient pas longtemps ici à Kediri, alors maintenant elle s’en fait déjà et tout cela l’empêche de bien vivre dans le présent. Oh, c’est tellement malsain, des choses pareilles, et vraiment il faut que je fasse un effort pour elle, lui rendre visite. J’observe la politesse, mais autrement je me retire où je peux.
Et voilà mes chers, je suis au bout de ma feuille, et j’ai encore beaucoup à faire ce matin.
Boili est à Semarang et revient ce soir. Voilà 15 jours qu’il n’a été à la maison qu’un jour entier. J’ai un peu l’impression d’être une femme de marin !


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