mercredi 26 avril 2017






Kediri

23 juillet 1939


Je crois que je ne vous ai plus écrit depuis Batoe, et voilà 15 jours aujourd’hui que je suis revenue. Oscar était venu me chercher un peu plus tôt parce que la visite de Elout (son supérieur de Batavia) était annoncée et je tenais à être à la maison. Il n’est pas resté longtemps, seulement 2 jours, pendant lesquels il a été tout ce qu’il  a de plus gentil, presque mielleux, et il nous a abreuvé de compliments sur les capacités de Boili et sur les beaux résultats obtenus ici à Kediri depuis que nous y sommes. Nous deux, on se tenait coi sous cette pluie d’éloges, se demandant ce qui était vrai et cherchant à démêler les motifs. Un peu plus tard, il m’a demandé d’une manière très affectueuse et insistante que j’étais pourtant bien souvent malade et que ce serait notre désir d’aller en congé d’Europe au plus vite, qu’il était disposé à faire l’impossible pour nous en demandant un congé d’urgence pour cause de santé. Vraiment c’était charmant, mais heureusement j’ai senti le fromage à temps. Elout a promis à Sayers, (collègue de Oscar, un intrigant) bien que ce ne soit pas absolument en son pouvoir, de le placer à Kediri à son retour. Vous comprenez, Kediri est la meilleure fabrique, ici on gagne plus que sur les autres car les affaires marchent mieux ici, alors monsieur Sayers veut bien revenir ici et Elout, son ami, lui a fait cent milles promesses je pense, comptant bien que Boili ne pourrait en faire un succès puisqu’il trouverait des bâtons dans les roues tout partout. Mais une fois de plus, on peut dire : l’homme propose et Dieu dispose. Il a fallu que cela arrive avec Hoekman et que nous ayons la chance d’avoir ici Mogendorff. Ce dernier déteste Sayers et à côté de sa sympathie et sa bonne entente avec Oscar, il fera encore son possible pour empêcher que Sayers ne revienne ici à Kediri et qu’il doive travailler sous lui. Enfin, tout n’a pas marché comme Elout et Sayers le prévoyaient. Sayers a cherché à nuire à Oscar à Amsterdam et Elout mettait les bâtons dans les roues depuis Batavia, mais heureusement que Boili, avec l’aide de Mogendorff, a réussi à les déjouer, chaque fois qu’il sentait un piège. Cela a réussi, mais au prix de quels efforts ? Cela personne ne s’en rendra compte jamais. Oscar est à bout, je vous l’ai déjà écrit quelques fois, et Mogendorff aussi, car bien souvent il a eu la malaria et a tout de même été travailler. Elout, n’ayant pas d’excuses telles que la mauvaise marche des affaires pour faire revenir Sayers ici, l’unique chouchou, essaye d’y arriver par un autre moyen : soi disant notre mauvaise santé. Nous pourrions ainsi partir d’ici au mois d’octobre-novembre ! Pardi ! Sayers revient à fin septembre !
Je vous avouerai que c’est bien tentant, mais à aucun prix nous n’acceptons un congé d’urgence. Premièrement ce n’est pas nécessaire et cela reposerait sur un mensonge qu’une fois ou l’autre on pourrait servir comme arme contre nous et puis, nous voulons bien notre congé, mais pas dans des conditions pareilles. Moi, j’ai été et je serai peut être encore souvent malade, Oscar est à bout, mais cela ne provient pas de son état de santé mais bien des soucis et de l’effort fourni, et cet état de santé peut facilement s’améliorer par un séjour dans les montagnes ici et du repos.
Elout ne semble pas encore se rendre compte que nous le voyons ainsi et que nous voyons à travers ses plans et ses intentions. Il s’agit maintenant de jouer à malin, malin et demi. Il va revenir dans une semaine environ et restera 2-3 semaines. J’en ai déjà marre maintenant, mais voilà, il faudra bien y mordre, seulement on est bien décidés de ne plus nous laisser faire comme s’il était le bon Dieu.
Quant à nous, nous aimerions bien rester ici encore quelques temps, la fabrique marche bien et je trouve Kediri bien sympathique, près de Soerabaya etc. Enfin, qui vivra verra.

maison de Kediri

Ce matin à 10 heures Oscar est subitement parti à Soerabaya. Il s’agit d’un embarquement de boengkil (des gâteaux de fourrage pour le bétail fais de déchets de coprah pressé) qui ne correspond pas aux prescriptions et qui peut coûter Fl. 1000.- à la fabrique. Oscar n’en a pas pu dormir cette nuit. C’est plutôt une faute de Mogendorff, mais c’est pourtant Buby qui tient la responsabilité. J’ai tant pensé à mon Padre, quand j’entendais Oscar remuer, se tourner et se retourner dans le lit, en cherchant une solution à cet embêtement !!! Je lui ai conseillé d’aller, malgré que c’est dimanche, et de courir de Ponce à Pilate pour tâcher de sauver la chose, car dans des situation pareilles on a meilleur temps de ne compter que sur soi-même. Il est parti avec Mogendorff et ils ne reviendront que demain dans la journée, en attendant je me tiens le pouce pour lui comme je le faisais dans le temps pour mon Macaca… !
J’ai reçu cette semaine des journaux de Banely, de la Landi (l’Exposition Nationale). Elle doit vraiment être très intéressantes et je regrette de ne pas pouvoir la voir, enfin j’étudie les journaux en conséquence et je réussis ainsi à me former une idée de l’ambiance de l’Expo.



Que pensez-vous de la Seva (lotterie créée en 1935 par l’Etat) en Suisse ? Est-ce une bonne lotterie ? Y jouez-vous quelques fois ? Si vous la trouvez sérieuse, alors Loulou pourrait une fois prendre un billet, ou plutôt une série de dix billets pour nous. Oscar a encore tant d’illusions qu’il prend ici un billet de loterie chaque mois. Cela revient à Fl. 10.- et jamais nous ne gagnons quoi que ce soit, alors autant une fois essayer à la Seva. Je vous enverrai de l’argent à cet effet au commencement du mois prochain. Il faut aussi que je te paie les beaux souliers, Rötteli, et l’égouttoir, etc.

Pendant que nous parlons argent, je voulais encore vous dire ceci : nous avons de nouveau un peu d’argent de côté, que j’ai épargné sou par sou sur nos payes et en parlant avec Boili j’ai une fois suggéré l’idée de placer de l’argent dans du terrain par exemple. Et voici : si jamais vous avez une bonne occasion d’acheter du terrain adjacent à celui du Chalet, soit un pré chez Margot, soit du Strandboden, soit de la Hohle (terrains à Sutz), il ne faudrait pas rater une bonne occasion par manque d’argent. Sachez que vous pourriez compter sur nous pour Frs.s. 4-5000.- (quatre à cinq milles francs suisses). Naturellement qu’il ne s’agit que d’acheter du terrain capable d’augmenter la valeur du Chalet. Je ne sais pas les prix de terrain en Suisse mais je m‘en rapporte à votre bon sens. En vous faisant cette proposition, c’est que de plus en plus j’ai l’impression qu’une fois de retour en Europe, plus tard quand nous serons vieux, Boili aimerait bien se fixer au Chalet, et alors pourquoi pas déjà maintenant y mettre de l’argent. Sachez bien que c’est d’un placement qu’il s’agit et il faut que la question soit foncièrement bien étudiée avant de s’y lancer. Une fois que nous reviendrons en congé, nous pourrons toujours nous entendre en détail.
Maman écrit dans sa dernière lettre que vous allez repeindre le Chalet cet automne ou l’année prochaine. Je ne peux pas bien vous offrir de l’argent pour ce but, cela j’espère bien que vous le comprenez, s’en m’en vouloir. Si l’un de vous a le temps, qu’il m’écrive une fois à ce sujet.
Il y a deux ans, quand j’avais épargné une certaine somme, nous avons acheté un papier d’ici qui est très bon et qui rapporte jusqu’à 8 % par année, mais les choses sont si terriblement instables ! J’ai peur de faire un nouvel achat pareil.
Enfin, vous le savez maintenant, si jamais il se présente une bonne occasion ne la laissez pas passer sous prétexte que vous manquez d’argent. A la rigueur nous pouvons disposer de plus que la somme indiquée, mais pour le moment seulement : à la rigueur ! Vous savez, je suis heureuse de pouvoir vous écrire cela, car cela prouve que malgré mon mariage je n’ai pas à me détacher du Chalet, notre beau patrimoine, hein mon Macacacaroni et mys Rötteli ? Et je crois bien qu’entre les garçons et moi il y a assez de bonnes raisons pour que nous réussissions à nous entendre.
Et maintenant je vous dis à une prochaine fois. Mamali m’a informée de tes nouveaux projets Charlot, et je te souhaite toute la réussite possible, comme je souhaite aussi tout le succès possible à Loulou dans les affaires de l’ELEM, hein, mon vieux ? Quant à Padre, j’ai un peu l’idée qu’il se plaît dans la contemplation de ses efforts se continuant en ses fils !!! et ma foi, bien un peu aussi dans sa Ge… qui vous embrasse chacun de tout son cœur.




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