Batoe, 27
juin 1939
Partie 2
Mamms,
Rötteli, depuis que j’ai commencé d’écrire cette lettre j’hésite de te confier
quelque chose et pourtant je me dis que c’est toi la première qui doit partager
cela avec moi. Rötteli, mon schnyder (règles mensuelles) est déjà
3 jours en retard. Qu’est-ce que tu
en penses ? Je n’ose pas y croire,
mais malgré moi tout chante en dedans de moi à la pensée que…. ! Ce
sera peut être une déception pour toi, car alors cela retarde notre venue en
Suisse, mais d’un autre côté, je ne sais pourtant pas quand nous pourrons
venir, et peut être qu’il faudrait tout de même attendre encore 1-2 années,
qu’est-ce qu’on sait. Enfin, ne faisons pas de plans ni de projets, mais
acceptons les choses comme Dieu nous les envoie. Oh ! si cela était !
Je me défends bien de me faire des illusions, mais je ne peux pas m’empêcher de
faire de beaux rêves ! Pense donc, si cela était, comme cela, simplement,
normalement. Boili n’en sait encore rien, tu es donc la toute première à tout
partager avec moi tu es la première après Dieu avec qui je parle de cela.
Oh ! Seulement fais-moi le plaisir de garder le secret, de ne rien dire et
surtout de ne pas le chanter à Padre encore, car Oscar ne le sait pas encore
non plus et d’ailleurs moi non plus, n’est-ce pas ?
La Vola, (madame Mogendorff, d’Lismete)
m’avait bien dit une fois en me faisant le tititi (prédire l’avenir) que j’aurai ce bonheur, mais naturellement je
n’y croyais pas, car Bernhard m’avait pourtant dit qu’il faudrait probablement
faire faire cette petite opération. je ne sais pas si j’ai bien fait de te
l’écrire, car après tu auras aussi une déception si dans ma prochaine lettre je
dois t’écrire que cela a été une fausse alerte, mais d’un autre côté je me dis
que tu as le droit de vivre cela avec moi depuis le commencement. Seulement
Mamali, il ne faut pas te faire du souci pour ta Ge, et surtout ne jamais me
plaindre si vraiment la chose arrive comme je l’espère.
So,
maintenant je te l’ai confié mon secret. Depuis trois jours je vis dans les
nuages et ici je ne veux rien dire. Demain Boili viendra ici, car c’est un jour
de congé, la fête du prince Bernhard, alors je vais le lui dire. Oh, le plaisir
qu’il aura mon Boili, seulement on n’ose pas encore se faire trop d’illusions. Oh
Mamms, mais sache encore te taire stpl. C’est un secret et une espérance entre
toi et moi seulement, n’y mêle pas encore d’autres personnes stpl. Attends
encore un mois ou deux, que ce soit plus certain stpl. Accorde-moi ce désir.
Vois-tu,
maintenant que je t’ai confié ce secret, à toi, mynes Mamali unique au monde,
je ne peux presque plus penser à autre chose, toujours cette pensée revient en
moi et chante dans mon cœur.
Cela ne
peut pourtant pas avoir une autre cause que le Schnyder ne vienne pas ? Je
veux bien que les premiers jours
que j’étais ici j’ai beaucoup marché avec Hoekman, mais cela n’est pourtant pas
une cause que le schnyder ne vienne pas, au contraire pourtant, n’est-ce
pas ? J’ai bien toujours un peu mal au ventre comme s’il allait venir mais
je n’ai pas encore eu de nausées ou eu mal aux dents ou quoi que ce soit.
Maintenant je reste toute la journée dehors sur la terrasse à écrire ou à
broder et je me porte bien, donc je ne sais pas encore ce qu’il faut penser.
Mamms, si
je t’ai dit que peut être une fois je t’enverrais des boucles d’oreilles ou des
bijoux chinois tels que ceux donnés à Hedy, ce ne sera pas pour les vendre mais
pour en faire cadeau. Penses-tu, ce n’est pas moi qui t’enverrais quelque chose
à vendre, je connais ma Rötteli et je ne veux pas lui causer un ennui pareil.
Ce Brero
continue donc à faire des victimes avec ses affaires merveilleuses qui doivent
toujours s’agrandir mais qui ne rapportent jamais rien. Je suis sûre que Padre
s’est encore occupé à lui trouver du crédit, ainsi Padre se fera des ennemis
pour ce type. Brero est intelligent pour entamer des affaires mais pas pour les
faire rapporter. Il en a déjà dupé des gens, ce type, et je suis bien contente
que Charlot ne soit pas avec lui, mais qu’il ait trouvé une autre affaire. Je
n’ai rien voulu dire quand tu me l’as écrit mais maintenant que Charlot semble
trouver un autre débouché, je suis bien contente.
Et
maintenant réponse à ta 210 pour laquelle aussi je te remercie. Je suis
contente que tu aies enfin découvert ce joli coin du Chalet entre les grands
sapins sur le sentier d’en haut! Moi aussi je l’avais découvert et j’allais
souvent lire là-haut, te rappelles-tu ? Seulement dommage que tu sois
souvent dérangée par la femme Racine, cette vieille chipie. J’ai bien peur que
de faire des pic-nics pareils ne soit pas bon pour ta pression de sang. Je ne
crois pas que tu arrives à être sage, d’un côté tu fais bien attention, tu
tiens ton régime, puis à une occasion pareille losch alles fahre und füfi lo
grad sy, alors à quoi cela sert-il. Sache donc qu’un pic-nic pareil avec jambon
et beaucoup de bière, cela te détruit au moins un mois de régime sévère. Enfin,
tu dois le savoir toi-même, mais je n’ai pas trop grande confiance en ta
sagesse.
Je suis si
contente de tous les figaros que tu m’as faits et de toutes les belles petites
blouses. Je les mets journellement ici et je suis ainsi toujours bien habillée.
Oui, j’avais bien reçu ce figaröttli jaune, je le mets le soir au lit.
Merci pour
les souliers bruns que tu m’as acheté, je me réjouis de les recevoir. Tu
donneras aussi mes salutations à Mottet, en attendant que je lui écrive.
En lisant
toutes les bonnes choses que tu promets d’offrir à Boili quand il sera en
Suisse, je crains que tu ne seras déçue, car il ne tient pas tant à ces choses
grasses, et puis on ne vient pas que pour manger ! Je sais que je peux
bouffer aussi, car j’ai toujours bon appétit et j’aime aussi bien les bonnes
choses, mais il me semble que tu ne comptes que sur cela. C’est peut être que
j’ai changé, je n’en sais rien, mais je ne voudrais pas que vous soyez déçus et
que vous pensiez que Boili n’apprécie pas la manière dont vous entendez le
gâter.
Tu me
demandes si les Mogendorff habitent près de chez nous ? Oui, très près
mais dans une autre rue. Ils doivent toujours passer devant chez nous quand ils
ont à la fabrique ou au bureau.
Je suis
contente que Charlot ait fait cette excursion à l’Axenstein, mais quand est-ce
qu’il fera son examen ? Ou est-ce qu’il n’a pas l’intention de le
passer ? Il serait fou alors ! et bête aussi, après toutes ces années
d’études. Qu’il pense à Oscar, lui regrette encore à l’heure qu’il est de ne
pas avoir fini ses études à Delft.
Pas moyen
d’écrire cette lettre tranquillement, la Oma ou le Opa trouvent toujours une
excuse pour venir me raconter une histoire. La Oma est assise près de la
fenêtre dans la chambre et raccommode des bas, tandis que moi je suis assise
sur la belle terrasse. Voilà déjà la deuxième matinée que je passe à t’écrire !
Flock m’a
écrit qu’elle passerait l’été à Hauterive. Je sais bien qu’elle t’énerve, mais
tu pourrais quand même lui écrire une fois pour répondre à sa lettre, car elle
t’aime bien. Et peut être que tu pourrais une fois aller à Hauterive, ainsi tu
n’auras pas sa visite au Chalet.
Je suis
contente que madame Huber ait eu du plaisir à ce petit plat mais dis-lui donc
que je lui ai donné pour la remercier de votre voyage en Allemagne, elle
voudrait naturellement que je lui écrive moi-même, mais je n’en ai pas le
temps, c’est devenu très difficile pour moi d’écrire une lettre en allemand
correctement, cela ressemble trop au hollandais.
J’aimerais
bien savoir comment est devenu le Chalet. Est-ce que le jardin a encore un peu
gardé son cachet distingué après tous les stages Brero et Moser, etc ?
Comment est l’étang, encore si pittoresque et romantique, ou est-ce que Padre
en a fait une marre aux canards ? Fais aussi une photo du Chalet
maintenant que le grand tilleul est loin, j’aimerais voir l’air que cela a. Car
tu sais notre Chalet est très beau, surtout le jardin a été tracé d’une manière
très artistique que j’apprécie de plus en plus. Tu te rappelles bien comme je
la défendais dans le temps, contre toutes
les pétouilleries du Padre.
Maintenant
que je suis ici chez Opa et Oma, qui ont à peu près votre âge, à papa et toi,
je remarque de nouveau un tas de choses et d’habitudes telles que vous aussi
devez les avoir prises. Raconter 20 fois la même chose et danser en rond sur le
même sujet pendant des heures de temps !!! Et dire que moi aussi une fois
je ferai exactement la même chose, oh oui, c’est la vie, pourtant si je sens
que ma destinée de femme s’accomplit je n’ai pas peur de vieillir.
Oh, j’ai
beau me donner de la peine de ne pas y penser, cela chante toujours en
moi !!!
Je suis si
contente pour Nögg qu’il se paye une
moto, c’est comme (interruption de la Oma, et maintenant je ne sais plus ce
que je voulais dire !) Ah oui, je voulais dire que Nögg (Louis) était un
vrai jeune homme. Avoir une moto, faire du sport, bien travailler, cela me
plaît beaucoup et je trouve sa manière
de vivre extrêmement sympathique. Beaucoup plus sympathique que Charlot,
mais tu ne diras rien, mais je trouve que Charlot est un peu trop salonfähig,
un peu féminin. Est-ce que mon impression est juste ? J’admire et
j’apprécie Nöggu de plus plus en plus.
Chic, que
tu reçoives ces Frs. 1000.- du grand père, ce serait de nouveau le moment
d’aller au « si fa ma non si dice ! ». Tu as raison, payes-toi
du plaisir avec, tu as eu assez de chagrins dans le temps. Mais stpl ne te
fatigues pas trop. Je lis toujours tous les articles sur l’Exposition (l’exposition nationale Landi, Zurich 1939)
dans le Journal du Jura, ainsi je suis assez bien à la hauteur de tout ce que
tu vois.
Est-ce que
Banely a déjà une place maintenant ? Ou est-ce qu’elle est encore toujours
chez la Giggerli ? Est-ce que tu as envoyé ce peigne à la Banely ?
Est-ce qu’elle en a eu du plaisir ? ou est-ce que tu l’as peut être
oublié ? Je n’aimerais pas que tu le donnes à quelqu’un d’autre, car je
l’ai destiné à la Bänggu. Quand je serai de retour à Kediri, j’en enverrai
aussi un pour la Giggerli puisque maintenant la Bänggu loge chez elle. Est-ce que
tu en voudrais un aussi ?
Ah, ce que
l’air est bon, tu n’en as aucune idée comme je jouis d’être ici, si seulement
mon Boili pouvait en jouir aussi. L’harmonie est si belle entre nous
maintenant. Mamms, n’est-ce pas que tu es heureuse avec moi, malgré notre
séparation ? Tu es heureuse de me savoir heureuse avec mon Boili ? Tu
m’écriras vite, hein, un tas de choses et de bons conseils, si tu ne reçois pas
de nouvelles contraires( !) à ce que j’espère ! Oh, tu vois je
reviens toujours à stämpere là-dessus cette pensée ne me quitte plus et je suis
sûre que Boili en aura aussi tellement de plaisir ! Il regrettera peut
être que le congé soit remis d’un peu plus longtemps qu’il n’espérait, mais
tant pis. Il fera aussi beau revenir à … non je n’ose pas encore écrire ce que
je pense !!!!
C’est
rigolo, Oma a ici un petit chien qui s’appelle Schnuggsi, alors elle le gâte terriblement.
Je peux si bien m’imaginer comment tu es avec les tiens de petits chiens. Nous
en avons ici aussi un grand, un chien loup qui m’aime beaucoup, alors ces deux
chiens sont toujours sous ma chaise quand j’écris.
J’ai un
peu mauvaise conscience que je n’écrive pas plus à mon Macacacaca mais j’espère
qu’il ne m’en veuille pas. Tu lui diras que je me porte bien ! Je pense
qu’il jouit aussi du Chalet de nouveau, Padre moi. Je lui ai commandé un beau
cadeau pour le cinquantenaire de l’ELEM,
(la fabrique familiale) mais il n’est
pas encore prêt. Je vous l’enverrai peut être au mois d’août seulement, mais il
ne faut rien en dire et lui laisser la surprise.
Je me
demande si nous resterons à Kediri ou s’ils nous feront déménager je pense que nous le saurons à fin août.
Je suis
contente que tout le monde soit si gentil avec toi, te porte les filets (filets pour les achats) etc, mais
pourquoi le font-ils ainsi ? Est-ce que tu as si mauvaise mine ? Il
faut bien me comprendre, je suis très contente qu’ils soient avenants les gens,
et si c’est par simple politesse alors cela me fait vraiment plaisir.
Et
maintenant je ne sais vraiment plus que stämpere, ma chère. Tu es de nouveau
bien au courant de ma vie et de mes faits et gestes … and how ! … alors je
vais te dire addio, jusqu’ à la prochaine fois.
Profitez
tous du beau Chalet, de l’été, du beau temps, de l’Expo, enfin de tout.
Tu
m’écriras vite ce que tu en penses, hein ? Car je n’en parle encore à
personne qu’à toi, toi seule mon unique Rötteli !
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