dimanche 16 avril 2017

Batoe, 27 juin 1939
Partie 2

Mamms, Rötteli, depuis que j’ai commencé d’écrire cette lettre j’hésite de te confier quelque chose et pourtant je me dis que c’est toi la première qui doit partager cela avec moi.  Rötteli, mon schnyder (règles mensuelles)  est déjà 3 jours en retard. Qu’est-ce que tu en penses ? Je n’ose pas y croire, mais malgré moi tout chante en dedans de moi à la pensée que…. ! Ce sera peut être une déception pour toi, car alors cela retarde notre venue en Suisse, mais d’un autre côté, je ne sais pourtant pas quand nous pourrons venir, et peut être qu’il faudrait tout de même attendre encore 1-2 années, qu’est-ce qu’on sait. Enfin, ne faisons pas de plans ni de projets, mais acceptons les choses comme Dieu nous les envoie. Oh ! si cela était ! Je me défends bien de me faire des illusions, mais je ne peux pas m’empêcher de faire de beaux rêves ! Pense donc, si cela était, comme cela, simplement, normalement. Boili n’en sait encore rien, tu es donc la toute première à tout partager avec moi tu es la première après Dieu avec qui je parle de cela. Oh ! Seulement fais-moi le plaisir de garder le secret, de ne rien dire et surtout de ne pas le chanter à Padre encore, car Oscar ne le sait pas encore non plus et d’ailleurs moi non plus, n’est-ce pas ?
La Vola, (madame Mogendorff, d’Lismete) m’avait bien dit une fois en me faisant le tititi (prédire l’avenir) que j’aurai ce bonheur, mais naturellement je n’y croyais pas, car Bernhard m’avait pourtant dit qu’il faudrait probablement faire faire cette petite opération. je ne sais pas si j’ai bien fait de te l’écrire, car après tu auras aussi une déception si dans ma prochaine lettre je dois t’écrire que cela a été une fausse alerte, mais d’un autre côté je me dis que tu as le droit de vivre cela avec moi depuis le commencement. Seulement Mamali, il ne faut pas te faire du souci pour ta Ge, et surtout ne jamais me plaindre si vraiment la chose arrive comme je l’espère.
So, maintenant je te l’ai confié mon secret. Depuis trois jours je vis dans les nuages et ici je ne veux rien dire. Demain Boili viendra ici, car c’est un jour de congé, la fête du prince Bernhard, alors je vais le lui dire. Oh, le plaisir qu’il aura mon Boili, seulement on n’ose pas encore se faire trop d’illusions. Oh Mamms, mais sache encore te taire stpl. C’est un secret et une espérance entre toi et moi seulement, n’y mêle pas encore d’autres personnes stpl. Attends encore un mois ou deux, que ce soit plus certain stpl. Accorde-moi ce désir.
Vois-tu, maintenant que je t’ai confié ce secret, à toi, mynes Mamali unique au monde, je ne peux presque plus penser à autre chose, toujours cette pensée revient en moi et chante dans mon cœur.
Cela ne peut pourtant pas avoir une autre cause que le Schnyder ne vienne pas ? Je veux bien que les premiers  jours que j’étais ici j’ai beaucoup marché avec Hoekman, mais cela n’est pourtant pas une cause que le schnyder ne vienne pas, au contraire pourtant, n’est-ce pas ? J’ai bien toujours un peu mal au ventre comme s’il allait venir mais je n’ai pas encore eu de nausées ou eu mal aux dents ou quoi que ce soit. Maintenant je reste toute la journée dehors sur la terrasse à écrire ou à broder et je me porte bien, donc je ne sais pas encore ce qu’il faut penser.
Mamms, si je t’ai dit que peut être une fois je t’enverrais des boucles d’oreilles ou des bijoux chinois tels que ceux donnés à Hedy, ce ne sera pas pour les vendre mais pour en faire cadeau. Penses-tu, ce n’est pas moi qui t’enverrais quelque chose à vendre, je connais ma Rötteli et je ne veux pas lui causer un ennui pareil.
Ce Brero continue donc à faire des victimes avec ses affaires merveilleuses qui doivent toujours s’agrandir mais qui ne rapportent jamais rien. Je suis sûre que Padre s’est encore occupé à lui trouver du crédit, ainsi Padre se fera des ennemis pour ce type. Brero est intelligent pour entamer des affaires mais pas pour les faire rapporter. Il en a déjà dupé des gens, ce type, et je suis bien contente que Charlot ne soit pas avec lui, mais qu’il ait trouvé une autre affaire. Je n’ai rien voulu dire quand tu me l’as écrit mais maintenant que Charlot semble trouver un autre débouché, je suis bien contente.
Et maintenant réponse à ta 210 pour laquelle aussi je te remercie. Je suis contente que tu aies enfin découvert ce joli coin du Chalet entre les grands sapins sur le sentier d’en haut! Moi aussi je l’avais découvert et j’allais souvent lire là-haut, te rappelles-tu ? Seulement dommage que tu sois souvent dérangée par la femme Racine, cette vieille chipie. J’ai bien peur que de faire des pic-nics pareils ne soit pas bon pour ta pression de sang. Je ne crois pas que tu arrives à être sage, d’un côté tu fais bien attention, tu tiens ton régime, puis à une occasion pareille losch alles fahre und füfi lo grad sy, alors à quoi cela sert-il. Sache donc qu’un pic-nic pareil avec jambon et beaucoup de bière, cela te détruit au moins un mois de régime sévère. Enfin, tu dois le savoir toi-même, mais je n’ai pas trop grande confiance en ta sagesse.
Je suis si contente de tous les figaros que tu m’as faits et de toutes les belles petites blouses. Je les mets journellement ici et je suis ainsi toujours bien habillée. Oui, j’avais bien reçu ce figaröttli jaune, je le mets le soir au lit. 
Merci pour les souliers bruns que tu m’as acheté, je me réjouis de les recevoir. Tu donneras aussi mes salutations à Mottet, en attendant que je lui écrive.
En lisant toutes les bonnes choses que tu promets d’offrir à Boili quand il sera en Suisse, je crains que tu ne seras déçue, car il ne tient pas tant à ces choses grasses, et puis on ne vient pas que pour manger ! Je sais que je peux bouffer aussi, car j’ai toujours bon appétit et j’aime aussi bien les bonnes choses, mais il me semble que tu ne comptes que sur cela. C’est peut être que j’ai changé, je n’en sais rien, mais je ne voudrais pas que vous soyez déçus et que vous pensiez que Boili n’apprécie pas la manière dont vous entendez le gâter.
Tu me demandes si les Mogendorff habitent près de chez nous ? Oui, très près mais dans une autre rue. Ils doivent toujours passer devant chez nous quand ils ont à la fabrique ou au bureau.
Je suis contente que Charlot ait fait cette excursion à l’Axenstein, mais quand est-ce qu’il fera son examen ? Ou est-ce qu’il n’a pas l’intention de le passer ? Il serait fou alors ! et bête aussi, après toutes ces années d’études. Qu’il pense à Oscar, lui regrette encore à l’heure qu’il est de ne pas avoir fini ses études à Delft.
Pas moyen d’écrire cette lettre tranquillement, la Oma ou le Opa trouvent toujours une excuse pour venir me raconter une histoire. La Oma est assise près de la fenêtre dans la chambre et raccommode des bas, tandis que moi je suis assise sur la belle terrasse. Voilà déjà la deuxième matinée que je passe à t’écrire !
Flock m’a écrit qu’elle passerait l’été à Hauterive. Je sais bien qu’elle t’énerve, mais tu pourrais quand même lui écrire une fois pour répondre à sa lettre, car elle t’aime bien. Et peut être que tu pourrais une fois aller à Hauterive, ainsi tu n’auras pas sa visite au Chalet.
Je suis contente que madame Huber ait eu du plaisir à ce petit plat mais dis-lui donc que je lui ai donné pour la remercier de votre voyage en Allemagne, elle voudrait naturellement que je lui écrive moi-même, mais je n’en ai pas le temps, c’est devenu très difficile pour moi d’écrire une lettre en allemand correctement, cela ressemble trop au hollandais.
J’aimerais bien savoir comment est devenu le Chalet. Est-ce que le jardin a encore un peu gardé son cachet distingué après tous les stages Brero et Moser, etc ? Comment est l’étang, encore si pittoresque et romantique, ou est-ce que Padre en a fait une marre aux canards ? Fais aussi une photo du Chalet maintenant que le grand tilleul est loin, j’aimerais voir l’air que cela a. Car tu sais notre Chalet est très beau, surtout le jardin a été tracé d’une manière très artistique que j’apprécie de plus en plus. Tu te rappelles bien comme je la défendais dans le temps, contre toutes les pétouilleries du Padre.
Maintenant que je suis ici chez Opa et Oma, qui ont à peu près votre âge, à papa et toi, je remarque de nouveau un tas de choses et d’habitudes telles que vous aussi devez les avoir prises. Raconter 20 fois la même chose et danser en rond sur le même sujet pendant des heures de temps !!! Et dire que moi aussi une fois je ferai exactement la même chose, oh oui, c’est la vie, pourtant si je sens que ma destinée de femme s’accomplit je n’ai pas peur de vieillir.
Oh, j’ai beau me donner de la peine de ne pas y penser, cela chante toujours en moi !!!
Je suis si contente pour Nögg qu’il se paye une moto, c’est comme (interruption de la Oma, et maintenant je ne sais plus ce que je voulais dire !) Ah oui, je voulais dire que Nögg (Louis) était un vrai jeune homme. Avoir une moto, faire du sport, bien travailler, cela me plaît beaucoup et je trouve sa manière de vivre extrêmement sympathique. Beaucoup plus sympathique que Charlot, mais tu ne diras rien, mais je trouve que Charlot est un peu trop salonfähig, un peu féminin. Est-ce que mon impression est juste ? J’admire et j’apprécie Nöggu de plus plus en plus.
Chic, que tu reçoives ces Frs. 1000.- du grand père, ce serait de nouveau le moment d’aller au « si fa ma non si dice ! ». Tu as raison, payes-toi du plaisir avec, tu as eu assez de chagrins dans le temps. Mais stpl ne te fatigues pas trop. Je lis toujours tous les articles sur l’Exposition (l’exposition nationale Landi, Zurich 1939) dans le Journal du Jura, ainsi je suis assez bien à la hauteur de tout ce que tu vois.
Est-ce que Banely a déjà une place maintenant ? Ou est-ce qu’elle est encore toujours chez la Giggerli ? Est-ce que tu as envoyé ce peigne à la Banely ? Est-ce qu’elle en a eu du plaisir ? ou est-ce que tu l’as peut être oublié ? Je n’aimerais pas que tu le donnes à quelqu’un d’autre, car je l’ai destiné à la Bänggu. Quand je serai de retour à Kediri, j’en enverrai aussi un pour la Giggerli puisque maintenant la Bänggu loge chez elle. Est-ce que tu en voudrais un aussi ?
Ah, ce que l’air est bon, tu n’en as aucune idée comme je jouis d’être ici, si seulement mon Boili pouvait en jouir aussi. L’harmonie est si belle entre nous maintenant. Mamms, n’est-ce pas que tu es heureuse avec moi, malgré notre séparation ? Tu es heureuse de me savoir heureuse avec mon Boili ? Tu m’écriras vite, hein, un tas de choses et de bons conseils, si tu ne reçois pas de nouvelles contraires( !) à ce que j’espère ! Oh, tu vois je reviens toujours à stämpere là-dessus cette pensée ne me quitte plus et je suis sûre que Boili en aura aussi tellement de plaisir ! Il regrettera peut être que le congé soit remis d’un peu plus longtemps qu’il n’espérait, mais tant pis. Il fera aussi beau revenir à … non je n’ose pas encore écrire ce que je pense !!!!
C’est rigolo, Oma a ici un petit chien qui s’appelle Schnuggsi, alors elle le gâte terriblement. Je peux si bien m’imaginer comment tu es avec les tiens de petits chiens. Nous en avons ici aussi un grand, un chien loup qui m’aime beaucoup, alors ces deux chiens sont toujours sous ma chaise quand j’écris.
J’ai un peu mauvaise conscience que je n’écrive pas plus à mon Macacacaca mais j’espère qu’il ne m’en veuille pas. Tu lui diras que je me porte bien ! Je pense qu’il jouit aussi du Chalet de nouveau, Padre moi. Je lui ai commandé un beau cadeau pour le cinquantenaire de l’ELEM, (la fabrique familiale) mais il n’est pas encore prêt. Je vous l’enverrai peut être au mois d’août seulement, mais il ne faut rien en dire et lui laisser la surprise.
Je me demande si nous resterons à Kediri ou s’ils nous feront déménager je pense que nous le saurons à fin août.
Je suis contente que tout le monde soit si gentil avec toi, te porte les filets (filets pour les achats) etc, mais pourquoi le font-ils ainsi ? Est-ce que tu as si mauvaise mine ? Il faut bien me comprendre, je suis très contente qu’ils soient avenants les gens, et si c’est par simple politesse alors cela me fait vraiment plaisir.
Et maintenant je ne sais vraiment plus que stämpere, ma chère. Tu es de nouveau bien au courant de ma vie et de mes faits et gestes … and how ! … alors je vais te dire addio, jusqu’ à la prochaine fois.
Profitez tous du beau Chalet, de l’été, du beau temps, de l’Expo, enfin de tout.
Tu m’écriras vite ce que tu en penses, hein ? Car je n’en parle encore à personne qu’à toi, toi seule mon unique Rötteli !








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