Kediri
24 juillet 1939
A sa maman
Nous
sommes donc le 24 aujourd’hui, il y a plus de deux mois que je n’ai plus eu le Schnyder ! (règles
mensuelles). Alors qu’est-ce que cela veut dire ? Je me porte bien, je
me sens mal quelques fois et voilà. Il me semble que maintenant il n’y a plus
de doute, et toi, qu’en penses-tu ? En tout cas, je ne peux pas penser que
cette absence de Schnyder, comme cela tout d’un coup soit due à une autre
raison, et toi ? Peu à peu je commence par y croire fermement et à me
réjouir de tout mon cœur. Et toi ? N’est-ce pas que tu te réjouis aussi si
tu deviens grand’maman ? Tu pourras pouponner et garder, et moi j’en
profiterai pour gondle (aller se balader)
quand nous serons en congé en Suisse.
Le bonheur
que cela me donne, tu ne peux pas te l’imaginer. Combien de fois je me
désespérais déjà, en me voyant vieillir, de ne pas avoir le plaisir d’avoir des
enfants à moi, car l’instinct de mère a de tout temps été très fort en moi. Oh,
et tu devrais voir le Boili ? Monté, on ne le reconnaît plus, et les
cadeaux qu’il me fait ! Non, il est vraiment déjà un peu fou de joie. A
chaque tournée il revient avec quelque chose, et l’autre jour je regardais avec
plaisir un collier de perles qu’un chinois venait offrir, alors quand je me
suis absentée un moment il l’a vite acheté. C’est fou, je n’ose plus rien dire
et laisser voir que quelque chose me plaît, ou je l’ai. Il m’a rapporté une
« encyclopédie pour mamans » donnant des conseils sur la manière
d’élever les enfants jusqu’à l’âge de la puberté. C’est un livre merveilleux,
qui traite de tous les sujets imaginables concernant les enfants. Oh ! Je
t’ai déjà souvent écrit comme On était bon pour moi et comme je me sentais
heureuse, mais ce n’était encore rien à côté de ce que c’est maintenant. Oh, et
toujours ce plaisir, cette espérance au fonds de ses yeux quand il me
regarde ! Aussi je n’ai aucune difficulté à avoir de bonnes et belles
pensées, car je suis comblée d’amour. J’ai presque peur de mettre tout cela sur
le papier, aussi cette lettre n’est
absolument que pour toi et après l’avoir lue, tu la déchireras.
J’ai aussi
été si heureuse de recevoir tes deux lettres
211 et 212, merci mille fois. Je n’ai pas encore répondu parce que j’ai eu
un « djait », c’est à dire un homme qui sait coudre, en journée. Je
me fais faire quelques robes neuves, et déjà des robes à transformations !!! Ne te moque pas de moi, mais je me
suis dit autant être prête à temps. Maintenant je me sens encore assez bien,
mais j’ai, le soir, souvent une fatigue énorme, pas normale, alors je vais au
lit à 8 heures. Je n’ai pas encore vomi mais j’ai bien souvent un dégoût des choses, de la viande par exemple, je n’en
mange presque plus, seulement si elle n’est pas saignante. Nous n’avons pas
encore eu l’occasion d’aller au docteur, car pour cela nous devons aller à Soerabaya et Boili n’a pas encore eu le
temps. Nous irons chez le meilleur docteur qu’il y ait à S. Oh, je vis dans un tel rêve qu’il m’est
difficile de t’écrire une lettre convenable.
Le jeune
Cochius a enfin été placé ici et il loge chez nous depuis environ 10 jours.
Quand Elout viendra, il devra déménager à l’hôtel. Il venait déjà chez nous à
Tjilatjap, c’est un gentil garçon et il joue
merveilleusement du piano, alors Boili et lui vont louer un piano à queue
que nous placerons dans notre salon. Ce sera joli et ainsi j’aurai toujours de
la bonne musique, ce dont je me réjouis. J’en suis aussi contente pour Boili,
car maintenant que nous ne sortirons plus tellement, nous chercherons plutôt
notre plaisir à la maison et Boili pourra passer ses soirées à jouer seul et à
quatre mains avec Cochius.
Avec cette
soie rose de Banely, je me fais un merveilleux
déshabillé, genre 1900, je t’en enverrai une photo quand il sera prêt. Cet
homme en journée sait très bien coudre, alors je n’ai qu’à couper mes robes,
lui expliquer un peu et voilà, c’est lui qui fait tout le reste et ainsi je n’ai
pas à me fatiguer à coudre des journées entières. Il ne me coûte que 70 ct. par
jour, ainsi ce n’est pas un luxe ! Je réussis maintenant à me couper de
petites robes ravissantes, même madame Fraay ne trouve plus rien à critiquer,
et pourtant elle n’était pas facile comme professeur.
Si tu
reçois cette étoffe de la Leni, envoie-la moi ainsi. Je ne la trouve pas chère
et si je ne l’emploie pas pour une robe, ce sera toujours pour autre chose ou
alors je pourrai facilement la vendre. Tu peux même m’en envoyer pour deux
robes. Quand Boili a vu la soie rose de Banely, il l’a trouvait tellement jolie
qu’il a tout de suite dit : ce
serait beau pour le berceau !! Je te dis, il ne pense qu’à cela.
Est-ce que tu penses que Max se fendra un peu pour m’envoyer quelque chose de
sa fabrique si je lui annonce la chose ? Naturellement je ne veux pas
écrire avant d’avoir consulté le docteur, et de pouvoir être sûre, comme cela
dans un mois environ. Qu’en penses-tu ? Ce serait drôle si cela donnait
quelque chose avec Ida et lui. C’est sûr que quand je serai en Suisse, j’irai
aussi lui rendre visite, si c’est seulement pour aller sur la tombe de Tatali.
J’ai rêvé
d’elle l’autre nuit, mais je ne me rappelle plus bien le rêve. La nuit passée
j’ai rêvé du Dr Rummel, je ne pense pas que je le reverrai, je ne sais pas
pourquoi j’ai cette idée.
![]() |
grande gentiane jaune(médicinale) |
Ces tiques
que les Tip & Top (chiens de Rose)
ont sur le dos et entre les pattes, il faut les enlever avec une pincette et
les noyer dans du pétrole. Moi je fais cela tous les jours à nos chiens, car
ici ils en ont beaucoup.
Tu m’écris
dans ta 212 que tu as dû boire 3
gentianes (eau de vie locale et
médicinale, 50% d'alcool)
et 2 kirsch.
Voyons, qu’est-ce que tu fais d’avoir des indigestions pareilles ? Je
crois que tu ne sais pas encore ce que c’est de suivre un régime. Eh bien,
attends seulement, je pourrai te l’apprendre.
Merci
mille fois pour les beaux souliers.
Ils me vont bien, seulement ce n’est pas
le talon que je porte habituellement. Celui-ci est beaucoup plus haut qu’aux autres souliers, ce qui
fait que je ne pourrai pas les porter pour aller en ville, car je ne peux pas
marcher longtemps avec un talon si haut. Je les porte haut de 5 cm
habituellement, et c’est aussi la hauteur de ceux des souliers que tu m’as
envoyés jusqu’ici. Seulement cette dernière paire est autrement.
Je suis
contente que les Charlou puissent profiter de jouer au tennis, nous aussi quand
on viendra, gare !
Cette
photo du Sukiyaki a été prise derrière la maison et la robe que j’ai mise est
en effet une copie de celle que je portais dans le temps. Elle m’avait toujours
plu et comme j’avais des lacets et que je ne savais pas qu’en faire, je les ai
cousus sur un col. C’est une robe en lin gris clair avec des lacets bleus et
rouges.
Ne
m’envoie plus de souliers pour la Oma (Mme van Gelder à Batoe), elle en a
assez. J’ai quand même augmenté de 1 kg à Batoe et au mois d’août nous y
retournerons. Au mois de septembre ce seront les Mogendorff qui prendront des
vacances, car elle attend son bébé vers le 17 septembre environ.
J’ai suivi
ton conseil et je mange beaucoup de schlymsüppeli (soupe à l’avoine). Je suis contente que tu feras en sorte de ne
pas avoir de visites quand nous serons en Europe, j’avais déjà peur que je
devrai trop partager mon temps précieux avec des gens qui ne m’intéressent pas
beaucoup, sûrement pas autant que toi. Seulement j’avais peur que tu penserais
que nous sommes devenus comme Max et Tata dans le temps, qui ne voulaient
jamais voir personne. Ce n’est pas le cas avec nous, seulement notre temps sera
tellement mesuré, que nous préférerons le passer strictement en famille afin de
profiter autant que possible les uns des autres. Mais ne te fais pas
d’illusions, les gens seront assez curieux et chacun essayera de toutes ses
forces de venir au Chalet et d’entendre raconter des histoires de Java, de
sorte qu’il faudra presque nous cacher pour être seuls un peu, à moins que tu
ne prennes tes précautions déjà à l’avance.
J’ai suivi
ton conseil et je donne maintenant à Boili du Tonikum Roche, de la maison
Hoffmann La Roche de Bâle. Cela semble lui faire du bien.
Je suis
contente que le jardin du Chalet ait gardé son cachet comme avant et j’espère
que nous aurons la chance d’en profiter quand nous viendrons, mais si nous venons en automne alors tant
pis, on restera à Bienne.
Pauvre
Mottet, j’ai bien pitié de lui avec sa femme. Je pense souvent à lui en voyant
Mogendorff qui lui ressemble. Mogendorff a aussi une grande amitié pour moi et
sa pflunze (péjoratif, sa femme) en
est jalouse, en tous cas elle téléphone souvent quand il est ici, de sorte que
je ne lui dis plus de venir. Oh, c’est une « lismete », c’est
fantastique. De dire que j’en suis au même point qu’elle, quand elle est venue
ici à Kediri et qu’elle se laissait tellement aller seulement parce qu’elle
pensait qu’elle allait avoir un gosse. Chez moi, personne ne soupçonne rien,
sauf madame Fraay à qui je l’ai dit, car j’aime bien avoir une femme avec qui
causer un peu. Quand je suis mal et que j’ai envie de vomir, alors je cherche à
me distraire et cela passe, tandis que la lismete, il fallait que tout danse
autour d’elle. Naturellement cela n’ira pas toujours ainsi avec moi, je ne me
fais pas d’illusions, mais en attendant on peut beaucoup soi-même en ne se
laissant pas aller. Je fais bien attention de ne pas trop me fatiguer etc, mais
sans cela je vis comme avant.
Oscar
n’est pas encore revenu de Soerabaya, il paraît que cela ne marche pas comme il
l’espérait, pauvre Boili. Il reviendra ce soir. A midi à table, Cochius m’a dit
à un moment donné que nous deux, Boili et moi, nous étions une grande exception
dans le mariage. Il a peut être bien raison !
Mamms, je
ne peux plus écrire longuement, il faut que la lettre parte à la poste. Il est
déjà 3 heures et il faut que j’aille faire ma sieste, sans quoi je serai trop
fatiguée ce soir et je fais toujours en sorte d’être bien pour recevoir Boili
quand il rentre. J’ai environ répondu à tout dans tes dernières lettres, mais
j’aurais encore beaucoup à te dire, j’ai tant de choses dans la tête. Une autre
fois je te parlerai de tous mes plans, oh, tu sais j’y ai déjà bien pensé et
tout est prêt dans ma tête comme j’arrangerai les choses quand… !
![]() |
Fabrique de Bienne |
Nous avons
fait faire une belle boîte à cigarettes en argent pour Padre, mais je ne sais
pas encore comment je vais l’envoyer. Je n’ose pas le faire par petit paquet
parce que cela a trop de valeur. J’ai bien trouvé que c’était un peu cher, mais
Boili a tenu à donner quelque chose de bien au Padre pour les 50 ans de l’ELEM, alors !!!
Heureusement que c’est moi qui administre un peu nos sous, sans quoi on
n’aurait pas encore un seul centime de côté, je crois. Boili ne sait pas
économiser, mais il aime bien que je le fasse.
Maintenant
Rötteli, c’est le dernier moment pour la poste.
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