samedi 1 avril 2017




Kediri

21 mai 1939

Voilà juste 15 jours que je vous ai écrit je suis donc exacte pour une fois ! Je vous écris de manière à vous envoyer le double, car mon ruban n’est plus très bon, et ainsi vous n’aurez pas de peine à lire !!! (J’avoue qu’il y a des trais d’économie du Padre en moi, dont je ne peux pas facilement me défaire, tels que d’user les rubans de machine à écrire jusqu’à la corde!!!) Vois-tu Macacaroni, je suis et je reste ta Ge…
Comme d’habitude ta lettre 208 est arrivée à propos. Oscar était loin et j’avais des démêlés avec mon djongos. A tout bout de champ il était soi disant malade d’abord il disait qu’il ne pouvait pas venir travailler parce qu’il avait mal au ventre. Je l’ai gobé une fois et la seconde fois quand il est venu me demander la permission de rentrer parce qu’il avait mal à la tête  et mal au ventre, je lui ai dit :  mais oui tu peux rentrer, mais la njonja (la maîtresse de maison, ou Madame) va te donner un bon remède et j’ai été chercher la bouteille à huile de ricin et il a dû en avaler tout un verre devant moi !!! Il n’a plus jamais eu mal au ventre depuis ! Mais ces gens, quand ils ont les côtes en long, trouvent toujours des excuses, et ainsi il m’a fait dire il y a environ 10 jours qu’il était tombé du vélo et ne pouvait pas venir parce qu’il avait mal au pied. Comme je ne le croyais pas, j’ai envoyé le jardinier dans un dogcart (voiturette tirée par un cheval, nos taxis) pour le chercher, mais il a fait dire qu’il ne pouvait pas venir car il avait aussi mal au dos. Enfin, je me suis mise à contrôler mes choses, car ma patience était à bout. Il me manquait une petite cuillère de celles que Banely m’avait données. J’ai eu la preuve qu’aucun des autres domestiques ne l’avait prise. Le djongos non plus ne l’a pas volée, mais je suis presque sûre qu’il l’a jetée dans la caisse à ordure ensemble avec des pelures de fruit qu’on mange avec.  Enfin, ma patience était à bout, mais je n’ai rien laissé voir aux autres domestiques pour qu’ils ne puissent pas aller l’avertir. Ainsi quand un beau matin, monsieur djongos s’amène, tout souriant et bien rasé, la bouche pleine d’excuses et de sourires, la njonja lui a ordonné de chercher cette petite cuillère qui manquait. Il a fait semblant de chercher puis il a dit qu’il devait pourtant d’abord faire cuire le lait et ouvrir les fenêtres, j’ai dit, non, cherche cette cuillère d’abord. Alors monsieur a commencé de raconter une histoire qui ne tenait pas debout, je l’ai écouté avec un calme angélique et il croyait déjà que la njonja y mordait et qu’il s’en tirait à bon compte, quand je lui a mis la moitié de son mois (de salaire) dans la main. Je n’ai jamais vu quelqu’un de si éberlué. Pendant un bon moment il est resté avec l’argent dans la main, puis il m’a demandé : alors, il faut que je quitte ? Boili est arrivé et comme un vrai gosse il n’a pas pu se retenir de lui donner une bonne engueulée.
D’un côté j’étais bien contente de m’en être débarrassée mais d’un autre cela m’embêtait bien d’être sans djongos, enfin, ta lettre est arrivée, et comme toujours elle a été vraiment la bienvenue. J’ai donc été un certain temps sans djongos et je m’informais partout où je pourrais en trouver un bon. J’avais écrit à Wies van Tinteren, pour lui demander le sien quand elle serait loin, mais entre temps le chauffeur de madame Fraay est venu raconter qu’il avait un ami qui était très bon djongos et qu’il était justement rentré de Soerabaya. Je lui ai dit de venir se présenter. Il avait deux certificats très bons, alors je l’ai engagé et jusqu’à présent j’en suis très contente. Il ressemble un peu à celui de Tjilatjap. Il ne sait ni lire ni écrire car il est déjà un peu vieux, mais il s’y entend pour conduire une maison, et j’ai bien le sentiment que je puis compter sur lui. D’un coup tous les autres domestiques travaillent mieux aussi, car ils ont vus que la njonja ne fait pas de longues histoires pour les mettre à la porte.
Cette semaine j’ai reçu l’égouttoir, merci infiniment. C’est bien ce que j’entendais et je vais le faire copier ici et cela va me rendre bien service. Mais tu ne me dis pas encore ce qu’il coûte ?
Oscar est toujours beaucoup en tournée, la semaine passée entière, il n’a pas été à la maison un seul jour, même pas samedi et dimanche. C’est très très fatiguant et il a vraiment des jours où il n’en peut plus. Demain il repart pour 2 ½ jours.
Il y a longtemps que nous désirions nous acheter un ciné-kodak, mais après bien des réflexions nous y renonçons parce que cela est encore au-dessus de nos moyens. Et puis, avec ces films on ne peut pas toujours tout prendre ce qu’on veut. Alors Boili a résolu la question d’une façon magnifique… pour lui, le filou ! Il s’est dit que puisque nous ne pouvions pas encore nous payer un ciné-kodak et tout ce qui s’en suit, qu’il s’achèterait en attendant un bel appareil photographique. Et nous l’avons, l’appareil ! C’est un Ikoflex de Zeiss, quelque chose de tout à fait bien et ingénieux et moderne etc. etc. N’en demandez pas le prix ! Il nous faut « la » serrer d’un cran ou deux pendant trois mois de suite, si nous voulons payer sans retirer du carnet ! Je vous dis, c’est un miston, ce garçon, mais je suis contente tout de même que nous ayons cet appareil maintenant, car c’est moi le modèle en titre et maintenant je ne crois pas  que la Rötteli pourra encore se plaindre de ne pas assez recevoir de photos. En voilà déjà inclus du premier film que nous avons fait.
Le jour de l’Ascension Boili a eu droit à des vacances et nous sommes partis à Batoe, rendre visite aux parents de Wies van Tinteren, chez qui j’irai en vacances au mois de juin. Inclus également quelques photos de notre visite. Leur maison est vraiment un bijou, pas directement de l’extérieur, mais à l’intérieur. C’est petit, il y a une grande chambre, living-room, 3 chambres à coucher, une terrasse tout autour, mais le plus chic, c’est une petite cuisine toute blanche et dont tout une paroi est vitrée, ce qui donne une vue merveilleuse sur les montagnes d’alentours. 
Batoe, la maison blanche est celle des van Tinteren

J’en ai été tellement enchantée, que je me suis immédiatement mise à cuire avec la « oma » (diminutif de groot mam). Elle est, la cuisine donc, tout en catelles blanches, avec une cuisinière électrique, des armoires dans le mur où chaque objet est à sa place, et un guichet passe-plats communiquant avec l’office, tout blanc également. L’Oma cuit elle-même avec une petite baboe pour lui aider. 
la cuisine blanche

Enfin, je ne puis pas assez vous raconter le charme de cette cuisine et surtout de la paroi vitrée devant laquelle se trouve l’évier. Relaver devient ainsi un plaisir sans pareil. Enfin, vous comprenez déjà comment je passerai une partie de mes vacances ! surtout qu’un autre côté de la cuisine est ouvert, simplement ouvert, de sorte que l’on est toujours à l’air frais. Leur living room aussi a 6 grandes vitres plus grandes que celles du Chalet, de sorte qu’on se croit toujours dehors. J’ai même voulu passer à travers une de ces vitres, pensant que c’était une porte conduisant sur la terrasse !!! Et la vue qu’on a depuis chaque coin de la chambre ! Oh, je m’imagine toujours ce que serait le Chalet bâti ainsi de façon moderne et intelligente !
L’emplacement de la maison m’a un peu déçue, car elle est presque au milieu du village de Batoe. J’espérais être plus en dehors dans la libre nature, maintenant il faut d’abord faire une bonne marche avant d’arriver dans la forêt et les pâturages. Enfin, mais il y a la belle terrasse sur laquelle je vais me reposer comme en son temps à Château d’Oex, en admirant les montagnes.
Je prends ma koki avec, comme baboe et aussi pour être libre de manger ce que je veux et comme je veux. Il y a des légumes et des fruits merveilleux là-haut, des salades, des choux-fleurs, des fraises, des mûres, enfin de tout ce qu’on veut. Je vais en profiter pour faire de la confiture aux fraises et du sirop aux mûres qu’Oscar prendra avec lui à Kediri chaque fois qu’il rentrera.
Et maintenant, last but not least, je viens te chanter les louanges de vos dürre Bohnen (haricots secs, spécialité). Nous les avons enfin dégustés. Ah, ce qu’ils étaient bons, tu n’as aucune idée comme j’en ai joui. Je les avais gardés aussi longtemps parce que je voulais toujours avoir une bonne occasion de les manger. Quand je les ai reçus, j’avais les Mogendorff ici et je ne voulais pas les manger avec eux, puis je suis tombée malade et enfin, pour l’Ascension, on allait nous payer ce bon dîner, seulement nous sommes partis, alors c’est le jour après. J’en ai bouffé, bouffé et cela ne m’a rien fait. Le lendemain, comme Boili était loin, je les ai fait réchauffer et vive la fête !





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