Kediri
26 juillet 1939
Vous ne
saurez pas ce que vous verrez en recevant une nouvelle lettre de moi deux jours
après la précédente. Mais voilà, il faut vite que je rectifie une erreur, une
étourderie.
Je vous ai
écrit que nous avions Frs. suisses 4-5000.-
à disposition, ce n’est pas vrai. J’ai fait une faute en calculant les
florins en francs. Je savais qu’un franc
suisse valait 43 cents en monnaie d’ici, et dans ma lettre j’étais d’avis
que c’était un florin qui valait 43 centimes suisses. Nous avons donc à notre
disposition Fl. 1000.- ce qui fera
environ Frs. Suisses 2500.-.
C’est une
bien grande différence et je regrette l’erreur si vous vous êtes déjà fait des
illusions quant aux « capitalistes » que nous sommes. C’est le soir,
en le racontant à Boili, que je me suis aperçue de l’erreur, ou plutôt c’est
lui qui m’y a rendue attentive. Il s’est bien moqué de moi et voilà.
Entre
temps j’ai reçu la lettre 213 de
Rötteli. Vraiment je me sens très gâtée d’en avoir reçu tant si vite les unes
après les autres, mais je prends donc bien note qu’il n’y faudra pas compter
pendant un certain temps, puisque Minna (aide
de ménage de Rose) part en
vacances. Je comprends cela et ne me ferai aucun souci.
D’ailleurs
moi non plus je ne vais plus écrire pendant un certain temps. Nous partons à
Soerabaya demain pour 2-3 jours, ensuite ce sera la visite de Elout et peut être bien que la naissance du petit prince (enfant de la Reine Juliana, ce sera Beatrix) (espérons-le !)
aura lieu ces jours-ci et alors ce seront de nouveau trois jours de fête nationale. Pourvu que cela n’arrive pas pendant
que Elout est ici, il faudrait alors faire la noce et nous n’en avons pas du
tout envie. Enfin, vous êtes maintenant avertis et vous ne vous ferez pas de
soucis.
Nous nous
portons bien tous les deux et ce tonique que je donne à Boili lui fait du bien.
Nous sommes aussi pleins de courage et de bonne volonté ferme pour recevoir les
différentes pluies et aussi louanges et faussetés d’une manière correcte, mais
rien de plus.
Je suis
contente que vous jouissiez ainsi de Sutz, même s’il ne fait pas toujours beau
temps.
Naturellement,
Rötteli mys, il ne faut pas écrire si
petit si cela est pénible pour toi. Ecris donc comme cela te va le mieux,
car il ne faut pas que je t’embête plus que nécessaire avec les lettres que tu
m’écris.
![]() |
écriture de Rose |
Quant à moi, ton écriture petite ne m’embête pas du tout, je m’en
félicitais toujours car ainsi les lettres étaient bien remplies, ce qui est
encore le principal pour moi, mais d’ailleurs la différence ne doit pas être si
énorme, et si c’est plus commode pour toi d’écrire plus grand, alors fais-le.
Et bien
oui, avec les Sossich (amis de Rome) cela
ne va plus tout, pauvre elle, je la plains. Peut être qu’elle réussira quand
même à refaire sa vie, j’ai l’impression que ce n’est pas la volonté qui lui
manque. En bons catholiques ils ne vont naturellement pas divorcer, ces deux,
mais je ne crois pas que Sossich arrivera encore une fois à se corriger. Enfin,
à chacun sa vie, vous ne pouvez rien non plus pour les aider, vous en avez déjà
tant fait.
Hier j’ai
eu la visite de tante Engel avec Boy, et j’ai redit que tu n‘osais pas avoir de visites. Ils sont
naturellement venus pour me demander de tes nouvelles. Je crois que cela leur
joue un sale tour que Boy ne puisse pas venir car à ce que j’ai deviné, il
comptait débarquer à Marseille, prendre le train, passer par la Suisse et
rester environ une semaine encore avant de reprendre ses études en Hollande.
Ils n’ont pas dit tout cela mais j’ai été assez adroite pour leur tirer les
vers du nez et voilà ma conclusion. J’ai immédiatement conseillé à Boy de faire
le tour par l’Espagne en bateau, de s’arrêter à Tanger etc, et j’ai chanté les
louanges de cette ville comme si j’y avais passé ma jeunesse ! Ah, bien
non, cette fois, cela ne leur réussira pas de plier les circonstances et les
gens à leur intérêt. J’ai aussi conseillé à Boy d’aller passer une semaine à
Paris, s’il débarquait à Marseille, mais il n’y tient pas, vu qu’il serait tout
seul. Ah oui, c’est au Chalet chez la famille Marchand qu’il aurait encore fait
beau passer une petite semaine et se laisser gâter. Seulement moi, il faut que
je fasse attention de ne pas m’embrouiller dans mes blagues. Hier j’ai encore
dit que les garçons n’amenaient même plus leurs amis à la maison. Là-dessus ils
n’ont plus rien dit, et moi aussi j’ai sauté sur un autre sujet.
Je vais
offrir à Boy un petit dîner d’adieu, samedi ou dimanche prochain. Il y a
longtemps que je dois une revanche aux Engelhart qui n’ont encore jamais mangé
ici depuis que nous y sommes. C’est donc une bonne occasion mais cela m’embête
seulement que d’y penser !!! Enfin, il faut y mordre et ce sera fait.
En
revenant de Batoe j’ai mis ma baboe à la porte. Elle était très bonne pour son
travail mais elle avait un fichu caractère, elle ne s’entendait pas trop bien
avec les autres domestiques, et puis je la soupçonnais d’être poitrinaire, car
elle a un mari qui l’est au plus haut degré. Maintenant j’ai une petite baboe qui n’est pas aussi bonne
encore, elle travaille et elle est de bonne volonté, alors que peut être je
réussirai à en faire quelque chose, mais ce qui m‘a décidée à la prendre, c’est
qu’elle s’appelle… Minah !!! Et
vous ne vous représentez pas le plaisir que j’ai d’appeler « Minah »,
je le fais autant que je peux !!!
A propos,
je souhaite de bonnes vacances à la bonne Minna,
la vraie, qu’elle en profite !
Cette
madame Lüdi que tu as eue en visite, est-ce la boulangère de la Rue Basse ?
Si oui, tu lui diras une fois que je pense encore souvent à leur pain et que je
promets bien d’en profiter quand je serai de retour en congé.
Je suis
contente que Nögg (Loulou, son frère)
ait eu du succès à ce rallye et suis encore plus fière de lui pour bien
d’autres choses !!! As-tu ta moto, maintenant, mon vieux ?
J’ai bien
peur que tu ne te fatigues beaucoup trop, quand Minna sera loin, car tu n‘as
plus l’habitude de faire le ménage et tu en feras trop. Ne pourrais-tu pas
demander à quelqu’un de venir t’aider un peu, si c’était seulement une gamine
d’école pour courir de ci et de là. Hé, les hommes, vous surveillerez votre
Rötteli de près pendant ce temps, hein, je compte sur vous puisque je ne suis
pas là pour la gronder et lui aider moi-même.
Quant à
moi, je crois bien que je suis devenue très paresseuse et il faudra sérieusement
que je me mette à travailler quand je reviendrai. Ici, je travaille toujours,
je suis toujours occupée mais pas aux choses du ménage.
La madame
Mogendorff est de nouveau pas bien, elle est dans son 8ème mois maintenant et doit de nouveau un peu vomir, alors elle
s’en fait et se croit malade à mourir.
Je n’ai jamais vu quelqu’un de si peu raisonnable. Elle se laisse aller à cent
et retour, elle n’essaye pas de se distraire, toujours elle pense à cela et
fait des tititi (tirer les cartes),
elle est même en correspondance avec une femme en Hollande pour cela et elle
croit tout savoir. Moi, je la laisse me raconter toutes ces choses d’elles,
mais jamais je la laisse m’approcher à ce sujet je suis réservée autant que
possible. Tu n’as pas besoin d’avoir peur, jamais je ne laisse faire de tititi.
C’est arrivé une fois, mais plus jamais. Je tiens à garder mes pensées propres
et saines surtout, et d’ailleurs j’ai d’autres idées de la vie qu’elle. Par
exemple, elle a de nouveau vu qu’ils ne resteraient pas longtemps ici à Kediri,
alors maintenant elle s’en fait déjà et tout cela l’empêche de bien vivre dans
le présent. Oh, c’est tellement malsain, des choses pareilles, et vraiment il
faut que je fasse un effort pour elle, lui rendre visite. J’observe la politesse,
mais autrement je me retire où je peux.
Et voilà
mes chers, je suis au bout de ma feuille, et j’ai encore beaucoup à faire ce
matin.
Boili est
à Semarang et revient ce soir. Voilà 15 jours qu’il n’a été à la maison qu’un
jour entier. J’ai un peu l’impression d’être une femme de marin !