Batavia
19 janvier 1937
A sa maman
Il est
inutile de te dire combien ta lettre 151
m’a de nouveau fait plaisir. Je vais faire de mon mieux pour t’écrire un peu
plus souvent de nouveau. Je sais que je vous ai négligé bien des fois, mais
c’est la vie ici qui m’en a empêchée au commencement. Maintenant que je sais
que très probablement nous y resterons, je ne suis plus si anxieuse de sortir et aller jouir, tu
comprends. Maintenant je passe au moins deux-trois matins par semaine à la
maison.
Ma
Röttelio, ce que tu es de nouveau jolie dans ta belle robe ! Zum frässe (à bouffer), et les rides, tu n’en as
pas tant. Attends quand tu me verras ! j’en ai presque plus que toi. J’ai
beaucoup vieilli ces derniers temps, je pense que c’est surtout ces troubles
d’estomac qui ont fait cela. Enfin, zut, on ne peut pas toujours avoir 20 ans.
Je suis
contente que vous ayez eu la Giggerli et qu’elle ait eu du plaisir. Je pense
bien qu’elle est toujours la même, mais que veux-tu, on ne peut plus la
changer. Comme je peux bien me représenter le temps qu’il faisait quand vous
avez marché à Sutz. Un bel hiver est quelque chose de beau aussi, et j’en
jouirai bien quand j’y serai de nouveau, mais pour le moment je n’en ai pas
l’ennui. Mais non, car je suis heureuse ici. Pourvu que tu ne te sois pas trop
fatiguée en marchant à Sutz et que cela n’ait pas eu de mauvaise conséquence.
Là sur la
photo où vous êtes les trois, on voit pourtant bien la différence d’une robe
bien faite. Je trouve celle de la Bänggu pas belle du tout, est-ce qu’elle l’a
faite elle-même ? Ah, tu es bien, toi.
Je ne
savais pas non plus que la Raball avait eu une fille, vu qu’il y a plus d’une
année que je ne lui écrit plus. Je pense bien que cela lui aura fait de la
peine, pas parce qu’elle m’aimait, mais surtout parce qu’elle tenait à gaggle
avec une amie à Java. Bi mir isch wieder ds röteli, es isch es donners züg dass
es nie wot ufhöre mit cho, i hätt ou gärn nes chlyses (j’ai de
nouveau mes règles, c’est une sale affaire qui ne veut pas arrêter, j’aimerais
bien moi aussi un bébé….)
Est-ce que
tu as déjà reçu les étoffes de Max ? Demain avec Mimi j’irai aussi m’en
acheter quelques-unes pour des petites robes toutes simples, surtout pour
rapprendre à couper sur mon mannequin, car j’ai un peu oublié depuis mes leçons
chez la Lenderli, mais je pense bien que cela reviendra. Il faut que je m’exerce.
Maman, je
te quitte vite pour aller surveiller mon dîner. J’ai une soupe à la farine
brune avec les restes du poulet de dimanche, deux têtes de salade en sauce, des
patates, des Wienerschnitzel et des fruits. C’est fou ce que j’aime cuire avec
ces nouveaux livres.
Voilà, ma
soupe à la farine est faite, sans grumeaux, parce que je l’ai passée au tamis.
J’aime tellement cuire maintenant, encore plus parce que je puis le faire avec
tellement de sûreté, grâce à ce livre. Si jamais tu vas une fois chez Maegli (librairie à Bienne, aujourd’hui disparue),
tâche de pouvoir y jeter un coup d’œil, il te le permettra bien. Tu verras et
comprendras pourquoi j’en ai tellement de plaisir. Et tout partout il y a des
images qui te montrent mieux que n’importe quelle description comment il faut
t’y prendre. Et le livre ne dit pas : il faut prendre tant et tant, mais,
prenez telle quantité, faites cela comme ceci etc ; c’est comme si
quelqu’un te parle personnellement. C’est même Buby qui en a du plaisir, il lit
souvent là-dedans.
Je me suis
faite ma première robe sur mon mannequin
(le buste !!!), une petite robe
de piqué blanc qui me revient à Fl. 2.40, mais elle n’est pas trop bien
réussie, il lui manque encore le chic. D’abord j’étais très découragée et
abattue parce que j’étais désappointée, mais après réflexion je me suis dit que
cela ne pouvait pas réussir du premier coup et me suis rappelée que « en
couture l’expérience fait le maître ». Je veux bien le croire, c’est
pourquoi je vais m’exercer.
Ma baboe
va maintenant suivre un nouveau cours de cuisine, que je lui ai payé. Je ne le
fais pas tant pour lui apprendre à cuire que pour lui faire avoir du plaisir à
cuire, car je trouve que c’est une chose essentielle. Cuis avec amour ! Je
t’en garantis que la femme Bos, dimanche soir, était jalouse de moi parce que
j’allais ainsi faire du café pour ces jeunes gens, je crois qu’elle ne sait pas
même le faire, et elle ne veux pas l’apprendre.
Je suis
bien contente que tu m’aies toujours poussée à apprendre à coudre, et de tous
tes bons conseils que tu m’as donnés au cours des années. Papa a beau dire que
tu me gâtais, mais c’était de la bonne manière, car maintenant je me rappelle
surtout mos bonnes conversations, sur la vie etc. Pense ce que cela m’est utile
maintenant.
Je te dis,
je suis si contente que cela soit arrivé avec ces jeunes gens, car Oscar ne pouvait pas souffrir ce Schröder au début, et je crois
bien que Schröder n’aimait pas non
plus Buby, et maintenant cela semble bien aller, il faut seulement encore que
je soude un peu la chose. J’ai immédiatement rempli mon buffet de boîtes de
thon, sardines, asperges, petits pois, lait condensé etc, parce qu’après huit
heures on ne plus rien avoir ici,
et du lait je n’en achète que tout juste pour chaque jour vu qu’on ne
peut pas le conserver.
J ‘ai
tellement envie d’un fourneau à gaz avec
un four, un grill. Jusqu’à présent je cuis seulement sur deux flammes à
gaz. Peut être que le mois prochain je vais louer un fourneau à raison de Fl.
1.- par mois. Ce n’est pas trop cher pourtant. Je ne veux pas en acheter un,
quoiqu’il y en ait de très jolis, tout petits et bien comme prix, mais à quoi
bon dépenser tant, et ce serait toujours un meuble de plus à trimballer. Si je
savais que nous restions ici pour tout de bon, mais on est jamais sûr. Ce Bomas
par exemple est envoyé tout au nord de Bornéo le mois prochain, à Pontianac. Il
a déjà été à Bombay, Calcutta, Shanghaï et il s’attend à être envoyé au Japon
aussi. Ah vois-tu ces jeunes qui voyagent, c’est quand même beau. J’aimerais tant
que les garçons aient aussi cette chance tu sais, pas voyager pour vendre des
montres seulement, mais encore
aller travailler dans ces pays lointains chez Stern ou Bloch & Gerber, et
qu’ils soient soumis à cette discipline sérieuse du travail dans l’Orient. Hé,
Mamms, il est vrai que je suis séparée de toi, des miens, de la maison, mais il
fait si beau ici aussi, c’est une vie qui me va tellement, qui me rend heureuse
comme je n’aurais pas pu l’être à Bienne ou dans un petit patelin en Suisse.
Ici c’est large, cela a du Schwung (de
l’élan), de la jeunesse, de la vitalité.
Ecoute, je
vais terminer, je dois encore écrire à Papa Woldringh et aux Bigot qui sont en
Hollande maintenant. Ils ont aussi passé par la Suisse, mais je ne leur ai pas
dit de venir vous voir, ne voulant pas te donner du Gstürm (stress) de nouveau.
Ce matin,
en écrivant j’ai vu l’avion passer
au dessus de la maison, il était si joli et m‘a fait tant plaisir, mais après
réflexion je me suis dit qu’il ne pouvait tout de même rien apporter vu que je venais de recevoir ta lettre 151, mais voilà à 3 heures il y avait une lettre de la Rötteli.
Donc c’est
sérieux, ce départ pour Rome ? C’est de tout cœur que je te souhaite du
plaisir et de jouir autant que possible. Mais ne te fatigue pas trop. Comme je
voudrais être avec toi. Naturellement tu ne perdras pas ton temps à m’écrire,
profite et jouis bien de toutes ces beautés. Tu pourras toujours assez m’écrire
une fois de retour à la maison.
Merci pour
le conseil des bouillons Maggi. Je
ne les ai pas encore vu ici, mais cela ne tardera pas. Le temps d’exécuter les
commandes et de les expédier ici. Dans ces choses-là il faut toujours compter
2-3 mois de retard sur l’Europe. Tu n’as donc pas besoin de m’en envoyer. De
plus grâce à mon livre, je sais comment faire du bon bouillon maintenant, pour
30 cent j’ai un poulet, mais j’achèterai aussi ces Maggi car ils sont commodes
quand on veut faire vite.
Tu m’écris
encore que je ressemble à la Strittere, eh bien, je ne me considérerai plus
comme ta fille, de sorte qu’il ne sera plus nécessaire que je t’écrive !
hein ! tu es quand même une sale femme, plus méchante que je ne croyais,
vraiment c’est encore une illusion qui s’en va, Rötteli-mistonne ! (entre
nous on se comprend toujours, hein ? et je n’ai rien contre que tu te
moques de moi, j’en fais de même).
Comme je
suis contente que tu aies trouvé de si beaux souliers. Tu as raison, fais-toi
jolie, tu ne le seras jamais trop pour moi.
Oui, je
remercierai Max à l’occasion pour cette robe bleue. Je l’aime d’autant plus de
penser que c’est la Tatali qui la voulait pour elle. Je dois y penser de plus
en plus à la Tatali, c’est vraiment maintenant que je sens le plus fortement
qu’elle nous a quittés et je t’assure que cela me fait pleurer quelquefois, du
moins verser quelques larmes quand je pense à elle ou que quelque chose d’elle
me vienne à l’idée.
La semaine
passée j’ai fait des Chnöpfli pour la première fois avec ma jolie passoire et
j’ai tellement dû penser à la Tatali que cela m’a fait pleurer. Vous, vous
l’avez perdue d’un coup, d’un jour à l’autre elle n’était plus là, mais pour
moi c’était plus lent à réaliser Je comprends combien le coup a dû être terrible
pour toi.
Enfin, va
à Rome et jouis-en, mais ne tombe pas trop souvent amoureuse, car tu en verras
des beaux Tschingg (mâles italiens…). Tu les regarderas pour
moi et tu te rinceras l’œil, hein !
Et
maintenant je vais te quitter, c’est déjà tard et j’ai sommeil. Buby est assis
vis-à-vis et travaille.
Encore une
fois …et beaucoup, beaucoup de plaisir à Rome.
Mes chers
Je viens
de recevoir la lettre 152 de maman,
contenant le formulaire de procuration à signer, que je vous renvoie inclus puisque c’est pressant.
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Sutz 1936, l'église et le Chalet tout à gauche |
Je te
remercie aussi Loulou d’avoir eu l’idée de m’expliquer de quoi il s’agit et te
serais reconnaissante de m‘en laisser savoir plus long à ce sujet. Est-ce que
c’est nécessaire que vous vendiez ce terrain ? (parcelle à Sutz). Je croyais d’après une lettre de maman que vous
en aviez loué une partie. Quelle partie est-ce ? Et quelle partie voulez-vous
vendre maintenant ? Et où se trouve cette
plage (aujourd’hui la petite baie
publique) dont maman m’a parlé, mais hélas, jamais bien clairement ni surtout
suffisamment pour me permettre de me faire une idée nette des changements survenus à Sutz (le terrain allait du Chalet jusqu'au lac). Le fait
d’être mariée et expatriée n’est pas une raison pour que je ne m’intéresse plus
à Sutz et ce qu’il en devient. Au contraire, et comme déjà dit, je serais
reconnaissante à l’un de vous de me mettre au courant.
Sans autre
pour cette fois, je vous embrasse bien fort tous les deux.
P.s.
Charlot ne m’en veuille pas de mon long silence, patiente encore un peu et je
t’écrirai longuement aussi.