mercredi 3 août 2016




Batavia

12 novembre 1936


Mes biens chers,
J’ai beaucoup pensé à vous hier, anniversaire de l’armistice et 18 ans que nous avons notre Chalet, notre petit coin de patrie unique au monde et qui tient une si grande place dans nos cœurs à tous. 
Chalet, 1918

Je suis plus que contente que je n’en aie pas l’ennui, mais pour cela je l’aime mieux que tout autre coin au monde, mon Chalet et ce sera un bonheur immense de le revoir et d’en jouir, une fois !
Merci infiniment pour ta bonne longue lettre 146, avec toutes les nouvelles de Bienne et environs. J’attendais aussi un mot de toi, Faaather, concernant l’envoi de cette facture à ce Mizrahié. Ou bien n’aurais-tu pas compris ma lettre par avion ? Ou bien serais-tu fâché de ma franchise encore une fois ? Je souhaite de tout mon cœur qu’il n’en soit pas ainsi Si pourtant je t’avais fait de la peine, je te demande mille fois pardon, Faaatherli. Ecris-moi un petit mot, stpl.
Hier, le 11 novembre j’ai été à Tandjion Priok, le port de Batavia, accompagner Sœur ten Kate de Keboemen, qui est partie en congé pour une année. Elle était déjà arrivée le jour avant mardi, donc, et pendant toute la journée nous avons fait des commissions, acheté des souliers, des robes etc. Il me semblait que j’étais avec mon Bänggu (Fanny) et que je la préparais au voyage ! C’est toutefois Sœur ten Kate qui a profité de mon affection pour toi, chère Bänggu. Pendant les derniers temps que j’étais à Keboemen, Sœur ten Kate avait été très gentille pour moi, une vraie amie qui me remplaçait tante Engel. Maintenant aussi nous nous sommes retrouvées avec beaucoup de plaisir. Elle m’a a trouvé bonne mine et elle m’a donné un tas de bons conseils, pour ma diète etc. 
Marnix v.St Algedonde

Le 11 novembre donc à 9 heures du matin nous sommes allées à bord du Marnix v.St. Algedonde, le bateau que nous avions rencontré à Singapore. Il est immense et cela m’a fait assez d’impression, c’était un peu de terrain hollandais, d’Europe, qui était là. Concernant les formalités etc, tout a été sur des roulettes, c’était vraiment épatant. Il y a une organisation fantastique ici et tout le monde est aimable et serviable, c’est vraiment extraordinaire. La Katje, comme on appelle Sœur ten Kate, a une belle cabine de seconde classe, bien au milieu du bateau, enfin c’était chic de revoir tout cela. Après avoir rangé les bagages, nous avons été au salon qui était déjà rempli de monde. Chacun ici profite d’aller à bord pour boire de la bonne bière hollandaise et un tas de spécialités qu’on ne trouve qu’à bord. J’en ai bu aussi de la bière et j’ai dû me bien tenir pour ne pas avoir un schwips. Nous étions avec le Dr. Vonk et sa femme de Keboemen et encore d’autres connaissances. J’ai aussi été dans les premières serrer la main à cette jeune femme de Neuchâtel qui partait aussi pour un séjour de trois mois en Europe. Une petite poule de luxe ! J’ai bien eu un moment où j’aurais voulu être à sa place, mais voilà on ne peut pas tout avoir dans la vie, et mon tour viendra aussi. En attendant je suis heureuse ici avec mon Bi-ba-Buby.
Toute la semaine passée j’ai été chez les Elout. Mercredi passé Annie pouvait rentrer de la clinique, tout était prêt et j’avais envoyé un beau panier de fleurs et fruits. Moi-même j’étais chez madame Mastwyk, à une petite réunion de bridge avec un tas de femmes antipathiques surtout parce que chacune voulait être plus que l’autre, et chacune était jalouse de l‘autre. Cela se traduisait par des petits coups de griffes gantés de velours. C’était amusant de les observer. Chacune de ces femmelettes était « well to do » des maris avec Fl. 1000.- de paye etc. Moi, j’étais la plus pauvre soi-disant, mais tout de même loin d’être la moindre !!! Brrr ! Enfin, nous étions bien en train de jouer, moi cela me barbait, quand on me demande au téléphone. C’était Elout qui me demandait de venir lui aider. Juste avant qu’il parte pour chercher Annie, il s’était aperçu que le petit Fransje avait beaucoup de fièvre,  et le dr. appelé en hâte avait constaté une forte angine, de sorte qu’Annie et le baby ne pouvaient pas rentrer, de peur de la contagion. Elout a presque perdu la tête. A la fin, il a été décidé qu’Annie resterait en clinique, lui a pris des vacances et moi j’allais chaque matin surveiller le gosse. Pour comble, Annie, le lendemain, était couchée avec 40 de fièvre. On craignait le typhus, mais en fin de compte c’était une forte malaria. Elout tous les matins se rendait à la clinique pendant que moi je restais chez Fransje, et le soir entre 5-7 de même. Heureusement que maintenant tout est passé et hier Annie est rentrée. Elout, pendant ces tristes jours a été splendide, comme il a soigné le petit Fransje, comme il se fendait en quatre pour épargner le moindre ennui à Annie. Je l’ai admiré et il m’a fait penser à mon Faaatherli. Comme un malheur ne vient jamais seul, nous avons appris juste ces jours-là que pendant l’absence de Bigot, ce ne serait pas Elout qui le remplacerait mais un autre type, Wytkop, qui vient justement de rentrer de congé. D’après certains indices, Oscar, Bigot et Elout ont découvert que ce Wytkop avait profité de son séjour à Amsterdam pour décrier Elout et influencer ainsi, jusqu’à un certain point, la décision d’Amsterdam. On semble reprocher à Elout de trop faire la noce, d’être trop vif, un peu en l’air et à la fin du compte, on le dit trop jeune pour occuper ce poste, alors que c’est lui depuis bientôt deux ans, qui fait marcher toute la Mexolie et qu’il a atteint des résultats plus que satisfaisants. Il est très aigri à présent, le pauvre garçon. Un soir que nous étions là, chez lui, il a parlé très ouvertement à Buby, sur son travail, ses capacités etc. Elout est d’une grande droiture et il a parlé avec beaucoup de franchise, il a même critiqué Buby là où il trouvait cela nécessaire. En fin de compte il a avoué à Buby que probablement nous resterons à Batavia et que Buby serait appelé à prendre la place d’Elout, car celui-ci veut tâcher de retourner à la Banque. Le lendemain, c’est Bigot aussi qui a parlé dans ce sens à Buby, seulement il faut qu’Oscar se perfectionne encore en bien des points. Ils lui reprochent de ne pas avoir assez confiance en lui-même et il faut qu’il développe son initiative, mais Bigot a dit qu’il prévoyait pouvoir « get along very well » avec Buby comme son bras droit. Cette nouvelle perspective est encore un secret, il n’en faut parler à personne svpl. En ce moment même Buby est chez Elout. Il devait y aller pour apporter les nouvelles du bureau, car Elout n’est pas encore retourné au travail. Je n’ai pas voulu accompagner Oscar de peur d’encombrer Annie, de la retenir ou l’énerver. Aussi je profite de ce moment seule pour vous écrire. Je viens de souper, me suis chauffé du repas de midi, puis deux schnitteli (tartines) avec du Bündnerfleisch (viande séchée des Grisons) et encore une schnitteli
(mince, je viens par un mouvement maladroit de déchirer ma lettre en trois morceaux, de sorte que je dois vous envoyer la copie)
avec de la bonne confiture, et deux pommes. Justement Buby vient de rentrer.
Les Bigot, qui devaient s’embarquer à la fin de ce mois, ont dû remettre leur départ à fin décembre, parce que Mr. Mastwyk est tombé malade et doit se faire opérer aux reins. C’est la deuxième fois que Bigot doit remettre son départ, il n’a pas de chance. Enfin, espérons pour le mieux.
Papali, Oscar m’apporte fidèlement des timbres de son bureau et l’autre jour il me dit en grand sérieux : tu sais, j’ai bien envie de commencer à collectionner des timbres aussi. Sérieusement cela me fait envie et si ton papa m’aide à commencer, je suis sûr que j’en aurai beaucoup de plaisir. Moi, je me suis dépêchée de lui faire promettre qu’il ne me demanderait jamais de lui laver ses timbres ! à cette condition je n’ai pas d’objection à ce qu’il s’amuse ainsi. Mais ce serait drôle que ce soit ton beau-fils qui continue la tradition que tu as commencée !
Chic, demain nous avons congé à cause des courses de chevaux, ici à Batavia. D’abord nous voulions aller à Padalarang, mais la jeune femme attend son bébé dans 3 semaines, alors nous avons pensé mieux ne pas aller pour ne pas trop lui faire de tracas par notre visite. Nous allons profiter de nos deux jours de congé probablement en allant à Buitenzorg (Bogor) avec les Hausermann, passer la journée au Jardin des Plantes.
Il y aura 15 jours que nous avons été à la birthday party chez eux. Nous étions environ 20 personnes et c’était très bien, pas de luxe, mais simple and easy. Nous avons fait connaissance avec beaucoup de monde, dont aussi un jeune hollandais dont la mère est Suisse. Nous avons causé le Bärndütsch et bien ri. C’est un jeune homme qui est à la compagnie de bateaux Neederland, un type qui présente bien, parle bien ses langues, etc. Oscar de son côté s’est aussi bien amusé à discuter avec un type des Levers Soap Factories. Elle n’a que 22 ans, Mimi, (Hausermann ?) mais c’est une petite femmelette bien, raisonnable et gentille. Oscar commence aussi à bien s’entendre avec lui et j’espère beaucoup que nos relations se resserreront encore.
Hotel des Indes

Il y a une semaine, juste avant qu’Annie Elout rentre, ou devait rentrer, nous avions passé la soirée chez lui, et aussi soupé avec lui, quand à 11 heures du soir, les deux hommes ont décidé de sortir encore un peu. Elout avait envie d’aller danser et à minuit on a vite été chez nous où j’ai enfilé une robe du soir, ma robe de noce ! Buby a changé de paletot et nous voilà allant à l’Hôtel des Indes où il y avait soirée dansante. Il a fait très beau et j’ai eu du plaisir à avoir mis ma robe. Nous sommes rentrés à 2 heures, et le lendemain c’est Fransje qui était malade.
Et voilà, je vous quitte …




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