Batavia
12 novembre 1936
Mes biens
chers,
J’ai
beaucoup pensé à vous hier, anniversaire de l’armistice et 18 ans que nous avons notre
Chalet, notre petit coin de patrie unique au monde et qui tient une si
grande place dans nos cœurs à tous.
![]() |
Chalet, 1918 |
Je suis plus que contente que je n’en
aie pas l’ennui, mais pour cela je l’aime mieux que tout autre coin au monde,
mon Chalet et ce sera un bonheur immense de le revoir et d’en jouir, une
fois !
Merci
infiniment pour ta bonne longue lettre
146, avec toutes les nouvelles de Bienne et environs. J’attendais aussi un
mot de toi, Faaather, concernant l’envoi de cette facture à ce Mizrahié. Ou
bien n’aurais-tu pas compris ma lettre par avion ? Ou bien serais-tu fâché
de ma franchise encore une fois ? Je souhaite de tout mon cœur qu’il n’en
soit pas ainsi Si pourtant je t’avais fait de la peine, je te demande mille
fois pardon, Faaatherli. Ecris-moi un petit mot, stpl.
Hier, le
11 novembre j’ai été à Tandjion Priok,
le port de Batavia, accompagner Sœur ten
Kate de Keboemen, qui est partie en congé pour une année. Elle était déjà
arrivée le jour avant mardi, donc, et pendant toute la journée nous avons fait
des commissions, acheté des souliers, des robes etc. Il me semblait que j’étais
avec mon Bänggu (Fanny) et que je
la préparais au voyage ! C’est toutefois Sœur ten Kate qui a profité de
mon affection pour toi, chère Bänggu. Pendant les derniers temps que j’étais à
Keboemen, Sœur ten Kate avait été très gentille pour moi, une vraie amie qui me
remplaçait tante Engel. Maintenant aussi nous nous sommes retrouvées avec
beaucoup de plaisir. Elle m’a a trouvé bonne mine et elle m’a donné un tas de
bons conseils, pour ma diète etc.
![]() |
Marnix v.St Algedonde |
Le 11 novembre donc à 9 heures du matin nous
sommes allées à bord du Marnix v.St. Algedonde, le bateau que
nous avions rencontré à Singapore. Il est immense et cela m’a fait assez
d’impression, c’était un peu de terrain hollandais, d’Europe, qui était là. Concernant
les formalités etc, tout a été sur des roulettes, c’était vraiment épatant. Il
y a une organisation fantastique ici et tout le monde est aimable et serviable,
c’est vraiment extraordinaire. La Katje, comme on appelle Sœur ten Kate, a une
belle cabine de seconde classe, bien au milieu du bateau, enfin c’était chic de
revoir tout cela. Après avoir rangé les bagages, nous avons été au salon qui
était déjà rempli de monde. Chacun ici profite d’aller à bord pour boire de la
bonne bière hollandaise et un tas de spécialités qu’on ne trouve qu’à bord.
J’en ai bu aussi de la bière et j’ai dû me bien tenir pour ne pas avoir un
schwips. Nous étions avec le Dr. Vonk et sa femme de Keboemen et encore
d’autres connaissances. J’ai aussi été dans les premières serrer la main à
cette jeune femme de Neuchâtel qui
partait aussi pour un séjour de trois mois en Europe. Une petite poule de luxe ! J’ai bien eu un
moment où j’aurais voulu être à sa place, mais voilà on ne peut pas tout avoir
dans la vie, et mon tour viendra aussi. En attendant je suis heureuse ici avec
mon Bi-ba-Buby.
Toute la
semaine passée j’ai été chez les Elout. Mercredi passé Annie pouvait rentrer de
la clinique, tout était prêt et j’avais envoyé un beau panier de fleurs et
fruits. Moi-même j’étais chez madame Mastwyk, à une petite réunion de bridge
avec un tas de femmes antipathiques
surtout parce que chacune voulait être plus que l’autre, et chacune était
jalouse de l‘autre. Cela se traduisait par des petits coups de griffes gantés
de velours. C’était amusant de les observer. Chacune de ces femmelettes était
« well to do » des maris avec Fl. 1000.- de paye etc. Moi, j’étais la
plus pauvre soi-disant, mais tout de même loin d’être la moindre !!!
Brrr ! Enfin, nous étions bien en train de jouer, moi cela me barbait,
quand on me demande au téléphone. C’était Elout qui me demandait de venir lui
aider. Juste avant qu’il parte pour chercher Annie, il s’était aperçu que le petit Fransje avait beaucoup de fièvre, et le dr. appelé en hâte avait constaté une forte angine, de
sorte qu’Annie et le baby ne pouvaient pas rentrer, de peur de la contagion.
Elout a presque perdu la tête. A la fin, il a été décidé qu’Annie resterait en
clinique, lui a pris des vacances et moi j’allais chaque matin surveiller le
gosse. Pour comble, Annie, le
lendemain, était couchée avec 40 de fièvre. On craignait le typhus, mais en fin de compte c’était une forte malaria. Elout tous les matins se rendait à la clinique
pendant que moi je restais chez Fransje, et le soir entre 5-7 de même. Heureusement
que maintenant tout est passé et hier Annie est rentrée. Elout, pendant ces
tristes jours a été splendide, comme il a soigné le petit Fransje, comme il se
fendait en quatre pour épargner le moindre ennui à Annie. Je l’ai admiré et il
m’a fait penser à mon Faaatherli. Comme un malheur ne vient jamais seul, nous
avons appris juste ces jours-là que pendant l’absence de Bigot, ce ne serait
pas Elout qui le remplacerait mais un autre type, Wytkop, qui vient justement de rentrer de congé. D’après certains
indices, Oscar, Bigot et Elout ont découvert que ce Wytkop avait profité de son
séjour à Amsterdam pour décrier Elout
et influencer ainsi, jusqu’à un certain point, la décision d’Amsterdam. On
semble reprocher à Elout de trop
faire la noce, d’être trop vif, un peu en l’air et à la fin du compte, on le
dit trop jeune pour occuper ce poste, alors que c’est lui depuis bientôt deux
ans, qui fait marcher toute la Mexolie et qu’il a atteint des résultats plus
que satisfaisants. Il est très aigri à présent, le pauvre garçon. Un soir que
nous étions là, chez lui, il a parlé très ouvertement à Buby, sur son travail,
ses capacités etc. Elout est d’une grande droiture et il a parlé avec beaucoup
de franchise, il a même critiqué Buby là où il trouvait cela nécessaire. En fin
de compte il a avoué à Buby que probablement nous resterons à Batavia et que
Buby serait appelé à prendre la place d’Elout, car celui-ci veut tâcher de
retourner à la Banque. Le lendemain, c’est Bigot aussi qui a parlé dans ce sens
à Buby, seulement il faut qu’Oscar se perfectionne encore en bien des points.
Ils lui reprochent de ne pas avoir assez
confiance en lui-même et il faut qu’il développe son initiative, mais Bigot
a dit qu’il prévoyait pouvoir « get along very well » avec Buby comme
son bras droit. Cette nouvelle perspective est encore un secret, il n’en faut
parler à personne svpl. En ce moment même Buby est chez Elout. Il devait y
aller pour apporter les nouvelles du bureau, car Elout n’est pas encore
retourné au travail. Je n’ai pas voulu accompagner Oscar de peur d’encombrer
Annie, de la retenir ou l’énerver. Aussi je profite de ce moment seule pour
vous écrire. Je viens de souper, me suis chauffé du repas de midi, puis deux
schnitteli (tartines) avec du
Bündnerfleisch (viande séchée des
Grisons) et encore une schnitteli
(mince,
je viens par un mouvement maladroit de déchirer ma lettre en trois morceaux, de
sorte que je dois vous envoyer la copie)
avec de la
bonne confiture, et deux pommes. Justement Buby vient de rentrer.
Les Bigot, qui devaient s’embarquer à la
fin de ce mois, ont dû remettre leur départ à fin décembre, parce que Mr. Mastwyk est tombé malade et doit se
faire opérer aux reins. C’est la deuxième fois que Bigot doit remettre son
départ, il n’a pas de chance. Enfin, espérons pour le mieux.
Papali,
Oscar m’apporte fidèlement des timbres de son bureau et l’autre jour il me dit
en grand sérieux : tu sais, j’ai bien envie de commencer à collectionner
des timbres aussi. Sérieusement cela me fait envie et si ton papa m’aide à
commencer, je suis sûr que j’en aurai beaucoup de plaisir. Moi, je me suis
dépêchée de lui faire promettre qu’il ne me demanderait jamais de lui laver ses
timbres ! à cette condition je n’ai pas d’objection à ce qu’il s’amuse
ainsi. Mais ce serait drôle que ce soit ton beau-fils qui continue la tradition
que tu as commencée !
Chic,
demain nous avons congé à cause des courses de chevaux, ici à Batavia. D’abord
nous voulions aller à Padalarang, mais la jeune femme attend son bébé dans 3
semaines, alors nous avons pensé mieux ne pas aller pour ne pas trop lui faire
de tracas par notre visite. Nous allons profiter de nos deux jours de congé
probablement en allant à Buitenzorg (Bogor)
avec les Hausermann, passer la
journée au Jardin des Plantes.
Il y aura
15 jours que nous avons été à la birthday party chez eux. Nous étions environ
20 personnes et c’était très bien, pas de luxe, mais simple and easy. Nous
avons fait connaissance avec beaucoup de monde, dont aussi un jeune hollandais
dont la mère est Suisse. Nous avons causé le Bärndütsch et bien ri. C’est un
jeune homme qui est à la compagnie de bateaux Neederland, un type qui présente
bien, parle bien ses langues, etc. Oscar de son côté s’est aussi bien amusé à
discuter avec un type des Levers Soap Factories. Elle n’a que 22 ans, Mimi, (Hausermann ?) mais c’est une petite
femmelette bien, raisonnable et gentille. Oscar commence aussi à bien
s’entendre avec lui et j’espère beaucoup que nos relations se resserreront
encore.
![]() |
Hotel des Indes |
Il y a une
semaine, juste avant qu’Annie Elout rentre, ou devait rentrer, nous avions
passé la soirée chez lui, et aussi soupé avec lui, quand à 11 heures du soir,
les deux hommes ont décidé de sortir encore un peu. Elout avait envie d’aller
danser et à minuit on a vite été chez nous où j’ai enfilé une robe du soir, ma
robe de noce ! Buby a changé de paletot et nous voilà allant à l’Hôtel des Indes où il y avait soirée
dansante. Il a fait très beau et j’ai eu du plaisir à avoir mis ma robe. Nous
sommes rentrés à 2 heures, et le lendemain c’est Fransje qui était malade.
Et voilà,
je vous quitte …
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire