Batavia
7 février 1937
Je vous
écris aux sons de « Grossmütterchen », une de mes mélodies préférées
depuis que je l’ai une fois entendue à Bâle, un beau dimache matin, et depuis
elle me rappelle la plus gentille, la plus dévouée, la plus chère des
Grossmütterchen, celle qui nous a quitté il y a 6 ans maintenant. J’ai beaucoup
pensé à elle ces jours-ci, et la nuit passée j’ai aussi rêvé d’elle
constamment. Elle est venue m’embrasser et je l’ai reconduite dans sa Stübli.
Comme vous
voyez, j’écris de nouveau à la machine,
car je vais mieux. J’ai commencé de me lever vendredi et hier nous avons été en
ville puis au cinéma, mais là il faisait si chaud et il y avait tant de fumée
que j’ai eu un moment de faiblesse, mais ce n’est rien, cela passer sitôt que
j’aurai été dehors un peu.
J’ai de
nouveau eu des histoires de baboe,
cette As que j’avais, m’a quittée. D’abord elle m’a dit qu’elle était malade et
qu’elle ne pouvait pas faire tout ce travail ici ( !) et ensuite elle
s’est vendue en disant qu’elle entrait au service de Mimi. Moi j’ai sauté car
je savais très bien que Mimi ne l’avait pas engagée, de plus Mimi ne me ferait
jamais cela, me voler ma baboe,
surtout encore que c’est elle qui me l’avait procurée. J’ai téléphoné à Mimi
qui n’en revenait pas. Il se fait que As a arrangé la chose de son propre gré,
vu que Mimi attend un baby, il faudra bien qu’elle prenne une seconde baboe,
alors As s’est dit qu’elle voulait prendre cette place d’assaut, vu que sa mère
est déjà chez Mimi, mais maintenant Mimi est tellement fâchée de ce toupet
qu’elle en prendra une autre. Bah, c’est passé, j’en ai une autre maintenant
qui a dit qu’elle savait cuire et qui ne le sait pas, mais je m’en moque.. Je
ne m’en fais plus et si elle ne me plaira pas elle partira aussi. Il reste
toujours encore la petite Anna, une gamine
de 12 ans environ qui apprend très vite. En ce moment c’est elle qui fait
mon poulet du dimanche, elle a tellement bien saisi le truc en me regardant
faire 1-2 fois qu’elle peut s’en tirer toute seule. C’est ainsi pour tout,
cette petite est fantastique. Espérons que cela va durer !
C’est tout
à fait un dimanche de pluie aujourd’hui. Buby est un peu enrhumé, il est assis
sur le divan à lire et étudier son catalogue de timbres. Hier samedi, il a joué
aux timbres toute l’après-midi, ensuite Frank et Margot (van der Stock) sont
venus et nous avons été ensemble en ville. Ils voulaient acheter des chaises et
on a fait les magasins ensemble, ensuite nous avons été au cinéma, à la
première présentation à 7 heures. En rentrant on a soupé sure le pouce de pain
frais, beurre frais et de bons croissants frais, confiture, fruits et moi un
bon bouillon. C’était si bon que je ne pouvais plus m’arrêter de bouffer. Ce
matin on est resté au lit jusqu’à 10 heures, à lire, à faire les paresseux, il
ne manquait plus que Minna avec une ration de Schnitteli !!!. Nous en
avons remanger, du pain et du beurre, et moi 2 bananes et Buby une demi noix de
coco. Cet après midi à 5 heures nous irons à une matinée de cinéma, un vieux
film que nous n’avons pas encore vu, il fera bien l’affaire.
Pendant
que j’étais malade, la mme Bos est venue me rendre visite. Elle a bon cœur une
fois qu’elle réussit à surmonter sa jalousie. Espérons que cela dure.
Cette
semaine Buby a dû aller chez Mr. Jöbsis pour l’une ou l’autre affaire, alors
Mr. J. lui a demandé de mes nouvelles et m’a fait bien saluer. Je trouve cela
très gentil, hein ?
Ils ont
reçu au bureau le premier courrier de Bigot. Il existe quelques malentendus entre les affaires de la Mexolie et Amsterdam, alors Elout et
Oscar aussi, tous comptaient sur la visite de Bigot à Amsterdam pour mettre les
choses au clair et rétablir la bonne entente et voilà qu’il semble, d’après
cette première lettre de Bigot, qu’il n’a rien fait du tout, mais même qu’il a
passé dans l’autre camp, et semble aussi condamner les choses ici. Cela leur a
bien foutu les bleus aux hommes ici. Ils ne savent plus bien s’ils doivent
encore faire confiance à B. ou pas. C’est sûr qu’il faut tenir compte que
chacun qui va en vacances en Hollande ne prend plus les affaires bien au
sérieux, et secondo chacun regarde aussi pour son propre profit avant tout. Enfin, qui vivra verra, on ne peut
pas juger d’après une première lettre.
Je me suis
de nouveau levée mais je ne me sens pas encore bien, je vais retourner chez le
docteur. C’est de nouveau un temps où tout le monde a la grippe ici, partout,
partout on entend les gens se plaindre, alors…. je pense que je ne dois pas
faire exception !!!
Hier j’ai
été faire des commissions avec Margot van der Stock. On a bien ri les deux et
passé en ville toute la matinée. C’est quand même chic d’être Batavia, bon sang !
Buby
devient de plus en plus fou pour ses timbres, il passe ses soirées à laver des
timbres au lieu de travailler, le miston ! Il en a reçu quelques vieux
d’un chinois, il va t’envoyer les doubles, Faaather ! C’est les chinois
ici qui sont grands collectionneurs, c’est fou. Il m’a demandé de vous dire un
tas de choses concernant ses timbres mais je ne me rappelle plus très bien. Une
chose c’est que tu ne dois plus écrire tes adresses à l’encre rouge, car elle déteint trop en lavant les timbres et cela
les tache. Et Faaather, quand tu en laves pour nous, une fois qu’ils sont secs
il faut les frotter avec un peu de talc pour qu’ils ne collent plus,
car même quand ils sont bien lavés, il reste toujours encore un peu de colle et
avec le climat humide d’ici tout se recolle. Ceux que tu lui avais envoyés il a
fallu qu’il les trempe tous pour les dégager. L’autre soir, assise près de lui,
je cousais et ne m’occupait pas de lui, alors tout d’un coup mes narines ont
été agréablement chatouillées par l’odeur d’un suave parfum. Je me dis, qu’est-ce que cela peut bien être, est-ce
la femme d’en dessous qui s’est parfumée à l’excès ? Je lève les yeux et
vois mon miston qui frotte ses timbres avec du talc parfumé ! Non,
est-ce que ce n’est pas un peu fort ? Il trouvait cela beau et bien !
Je viens
de recevoir une merveilleuse gerbe de glaïeuls de Mimi. Elle voulait venir chez
moi ce matin, mais comme je crois que ma grippe n’est pas encore tout à fait
passée, elle n’ose pas s’exposer à la contagion, vu son état (enceinte). Je trouve si gentil de sa
part, je vais lui téléphoner pour la remercier. Vraiment je suis en train de me
faire de très bonnes connaissances, cette Margot aussi m’est très sympathique
et je sens qu’elle m’aime aussi Je viens aussi d’avoir un téléphone d’Annie
Elout, bien qu’on ne les voie plus si souvent parce qu’Oscar n’a plus le temps
d’aller se balader le soir et eux ne sortant pas non plus, on reste toujours
bons amis. Elle a de nouveau beaucoup de soucis à cause de cette affaire avec
Bigot, pour Frank. Je ne sais pas, mais c’est comme s’il nageait dans un
courant contraire, Frank Elout, tout semble contre lui et il est pourtant si
intelligent qu’il mériterait d’être mieux apprécié. Annie est naturellement
aigrie et je pense bien qu’elle l’est un peu contre nous aussi puisqu’Oscar semble
mieux vu à la Banque pour le moment. Bah, c’est la vie, elle est difficile pour
tout le monde.
Cette
année, la Banque donne du dividende, alors je pense qu’il y aura
aussi un petit cadeau pour nous peut être un mois de salaire extra. Les employés de la Banque recevront des tantièmes,
mais comme nous sommes de la Mexolie, on n’a pas cette chance. Tant pis. Je
serai déjà contente avec cela.
On aimerait tant se payer une auto, car la nôtre en arrive à son dernier souffle. Je pense
que notre choix tombera sur la Fiat
Balilla, comme étant la plus économique et selon Charlot, pas trop mauvaise
de construction. Mais avant que nous ayons l’argent en main, il n’y a rien de
fait, car nous voulons rester sans dettes.
Fiat Balilla 1936 |
C’est
tordant, pendant que je vous écris, je vois ici sous ma fenêtre un vendeur de
fruit qui a mis un vieux chapeau de femme en paille blanche. Il en est très
fier et ne comprendrait pas qu’on puisse se moquer de lui. C’est des enfants
tout de même.
Mes bien
chers, addio pour cette fois
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