jeudi 25 août 2016





Batavia

7 février 1937

Je vous écris aux sons de « Grossmütterchen », une de mes mélodies préférées depuis que je l’ai une fois entendue à Bâle, un beau dimache matin, et depuis elle me rappelle la plus gentille, la plus dévouée, la plus chère des Grossmütterchen, celle qui nous a quitté il y a 6 ans maintenant. J’ai beaucoup pensé à elle ces jours-ci, et la nuit passée j’ai aussi rêvé d’elle constamment. Elle est venue m’embrasser et je l’ai reconduite dans sa Stübli.
Comme vous voyez, j’écris de nouveau à la machine, car je vais mieux. J’ai commencé de me lever vendredi et hier nous avons été en ville puis au cinéma, mais là il faisait si chaud et il y avait tant de fumée que j’ai eu un moment de faiblesse, mais ce n’est rien, cela passer sitôt que j’aurai été dehors un peu.
J’ai de nouveau eu des histoires de baboe, cette As que j’avais, m’a quittée. D’abord elle m’a dit qu’elle était malade et qu’elle ne pouvait pas faire tout ce travail ici ( !) et ensuite elle s’est vendue en disant qu’elle entrait au service de Mimi. Moi j’ai sauté car je savais très bien que Mimi ne l’avait pas engagée, de plus Mimi ne me ferait jamais cela, me voler ma baboe, surtout encore que c’est elle qui me l’avait procurée. J’ai téléphoné à Mimi qui n’en revenait pas. Il se fait que As a arrangé la chose de son propre gré, vu que Mimi attend un baby, il faudra bien qu’elle prenne une seconde baboe, alors As s’est dit qu’elle voulait prendre cette place d’assaut, vu que sa mère est déjà chez Mimi, mais maintenant Mimi est tellement fâchée de ce toupet qu’elle en prendra une autre. Bah, c’est passé, j’en ai une autre maintenant qui a dit qu’elle savait cuire et qui ne le sait pas, mais je m’en moque.. Je ne m’en fais plus et si elle ne me plaira pas elle partira aussi. Il reste toujours encore la petite Anna, une gamine de 12 ans environ qui apprend très vite. En ce moment c’est elle qui fait mon poulet du dimanche, elle a tellement bien saisi le truc en me regardant faire 1-2 fois qu’elle peut s’en tirer toute seule. C’est ainsi pour tout, cette petite est fantastique. Espérons que cela va durer !
C’est tout à fait un dimanche de pluie aujourd’hui. Buby est un peu enrhumé, il est assis sur le divan à lire et étudier son catalogue de timbres. Hier samedi, il a joué aux timbres toute l’après-midi, ensuite Frank et Margot (van der Stock)  sont venus et nous avons été ensemble en ville. Ils voulaient acheter des chaises et on a fait les magasins ensemble, ensuite nous avons été au cinéma, à la première présentation à 7 heures. En rentrant on a soupé sure le pouce de pain frais, beurre frais et de bons croissants frais, confiture, fruits et moi un bon bouillon. C’était si bon que je ne pouvais plus m’arrêter de bouffer. Ce matin on est resté au lit jusqu’à 10 heures, à lire, à faire les paresseux, il ne manquait plus que Minna avec une ration de Schnitteli !!!. Nous en avons remanger, du pain et du beurre, et moi 2 bananes et Buby une demi noix de coco. Cet après midi à 5 heures nous irons à une matinée de cinéma, un vieux film que nous n’avons pas encore vu, il fera bien l’affaire.
Pendant que j’étais malade, la mme Bos est venue me rendre visite. Elle a bon cœur une fois qu’elle réussit à surmonter sa jalousie. Espérons que cela dure.
Cette semaine Buby a dû aller chez Mr. Jöbsis pour l’une ou l’autre affaire, alors Mr. J. lui a demandé de mes nouvelles et m’a fait bien saluer. Je trouve cela très gentil, hein ?
Ils ont reçu au bureau le premier courrier de Bigot. Il existe quelques malentendus entre les affaires de la Mexolie et Amsterdam, alors Elout et Oscar aussi, tous comptaient sur la visite de Bigot à Amsterdam pour mettre les choses au clair et rétablir la bonne entente et voilà qu’il semble, d’après cette première lettre de Bigot, qu’il n’a rien fait du tout, mais même qu’il a passé dans l’autre camp, et semble aussi condamner les choses ici. Cela leur a bien foutu les bleus aux hommes ici. Ils ne savent plus bien s’ils doivent encore faire confiance à B. ou pas. C’est sûr qu’il faut tenir compte que chacun qui va en vacances en Hollande ne prend plus les affaires bien au sérieux, et secondo chacun regarde aussi pour son propre profit avant tout. Enfin, qui vivra verra, on ne peut pas juger d’après une première lettre.
Je me suis de nouveau levée mais je ne me sens pas encore bien, je vais retourner chez le docteur. C’est de nouveau un temps où tout le monde a la grippe ici, partout, partout on entend les gens se plaindre, alors…. je pense que je ne dois pas faire exception !!!
Hier j’ai été faire des commissions avec Margot van der Stock. On a bien ri les deux et passé en ville toute la matinée. C’est quand même chic d’être  Batavia, bon sang !
Buby devient de plus en plus fou pour ses timbres, il passe ses soirées à laver des timbres au lieu de travailler, le miston ! Il en a reçu quelques vieux d’un chinois, il va t’envoyer les doubles, Faaather ! C’est les chinois ici qui sont grands collectionneurs, c’est fou. Il m’a demandé de vous dire un tas de choses concernant ses timbres mais je ne me rappelle plus très bien. Une chose c’est que tu ne dois plus écrire tes adresses à l’encre rouge, car elle déteint trop en lavant les timbres et cela les tache. Et Faaather, quand tu en laves pour nous, une fois qu’ils sont secs il faut les frotter avec un peu  de talc pour qu’ils ne collent plus, car même quand ils sont bien lavés, il reste toujours encore un peu de colle et avec le climat humide d’ici tout se recolle. Ceux que tu lui avais envoyés il a fallu qu’il les trempe tous pour les dégager. L’autre soir, assise près de lui, je cousais et ne m’occupait pas de lui, alors tout d’un coup mes narines ont été agréablement chatouillées par l’odeur d’un suave parfum. Je me dis, qu’est-ce que cela peut bien être, est-ce la femme d’en dessous qui s’est parfumée à l’excès ? Je lève les yeux et vois mon miston qui frotte ses timbres avec du talc parfumé ! Non, est-ce que ce n’est pas un peu fort ? Il trouvait cela beau et bien !
Je viens de recevoir une merveilleuse gerbe de glaïeuls de Mimi. Elle voulait venir chez moi ce matin, mais comme je crois que ma grippe n’est pas encore tout à fait passée, elle n’ose pas s’exposer à la contagion, vu son état (enceinte). Je trouve si gentil de sa part, je vais lui téléphoner pour la remercier. Vraiment je suis en train de me faire de très bonnes connaissances, cette Margot aussi m’est très sympathique et je sens qu’elle m’aime aussi Je viens aussi d’avoir un téléphone d’Annie Elout, bien qu’on ne les voie plus si souvent parce qu’Oscar n’a plus le temps d’aller se balader le soir et eux ne sortant pas non plus, on reste toujours bons amis. Elle a de nouveau beaucoup de soucis à cause de cette affaire avec Bigot, pour Frank. Je ne sais pas, mais c’est comme s’il nageait dans un courant contraire, Frank Elout, tout semble contre lui et il est pourtant si intelligent qu’il mériterait d’être mieux apprécié. Annie est naturellement aigrie et je pense bien qu’elle l’est un peu contre nous aussi puisqu’Oscar semble mieux vu à la Banque pour le moment. Bah, c’est la vie, elle est difficile pour tout le monde.
Cette année, la Banque donne  du dividende, alors je pense qu’il y aura aussi un petit cadeau pour nous peut être un mois de salaire extra. Les employés de la Banque recevront des tantièmes, mais comme nous sommes de la Mexolie, on n’a pas cette chance. Tant pis. Je serai déjà contente avec cela.

Fiat Balilla 1936
 On aimerait tant se payer une auto, car la nôtre en arrive à son dernier souffle. Je pense que notre choix tombera sur la Fiat Balilla, comme étant la plus économique et selon Charlot, pas trop mauvaise de construction. Mais avant que nous ayons l’argent en main, il n’y a rien de fait, car nous voulons rester sans dettes.
C’est tordant, pendant que je vous écris, je vois ici sous ma fenêtre un vendeur de fruit qui a mis un vieux chapeau de femme en paille blanche. Il en est très fier et ne comprendrait pas qu’on puisse se moquer de lui. C’est des enfants tout de même.
Mes bien chers, addio pour cette fois


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