lundi 8 août 2016




Batavia

18 décembre 1936

Voici une fois de plus une lettre pour Noël. Encore deux et puis… gare la joie ! Mes chers, chers tous, qui serez réunis sous l’arbre à penser aux absents et aux disparus, je vous souhaite un Noël tranquille et heureux. Vous savez bien que je serai avec vous en pensées tout comme vous le serez avec nous ici, et nous ne nous sentirons pas seuls, ni les uns ni les autres.
Oh, mes chers, comme vous m’avez gâtée par tante Engel ! Je ne sais pas comment vous remercier, vous auriez dû me voir prendre possession un à un de tous ces beaux cadeaux de la maison J’en ai le cœur plein de mercis et une immense envie de vous embrasser. Malheureusement je n’ai pas beaucoup de temps pour vous écrire, ayant dû, à la dernière minute, pondre une lettre aux Dunlop, vu que Buby n’a pas le temps. Alors voici en résumé tous les happenings depuis la semaine passée.
Jeudi soir donc Oscar rentre en me disant que nous étions invités à ce souper chez les Jöbsis. Nous avons trouvé cela un peu impoli d’être ainsi invité à la dernière minute, et comme les invitations avaient été faite par un comité de fête pour l’occasion, nous pensions qu’il y avait de la mauvaise volonté là-dedans, et étions presque décidés à ne pas y aller. Nous avons vite été en ville pour commander un merveilleux arrangement d’orchidées pour les Jöbsis et ensuite nous avons été chez les Bigot pour tâcher de tâter le terrain un peu. Bigot a tout de suite senti où nous voulions en venir et s’est mis à parler de cette fête. Lui-même n’irait pas parce qu’il venait de perdre sa mère, mais il nous a fortement conseillé d’y aller coûte que coûte, disant que Mr. Jöbsis même avait demandé de nous inviter, malgré que nous ne fassions pas partie directement du personnel de la Banque. Bigot a dit que c’était important pour Buby de se faire connaître, et d’avoir des relations avec tout ce monde etc. Il nous a donné force bons conseils, vraiment, comme s’il parlait à son propre fils, ensuite un mot donnant l’autre il nous a encore un peu tracé notre ligne de conduite à suivre etc. Enfin, nous sommes rentrés heureux et la conscience à l’aise. Voilà que pendant la nuit j’attrape de la fièvre et mal par tout le corps, suite d’un coup de froid. J’avais 38.0 et un beau trac de ne pas pouvoir accompagner Oscar. J’ai téléphoné au docteur, qui m’a ordonné des aspirines, et un sirop de Cola qui me ravigoterait un peu pour la soirée. Je devais encore aller au dentiste le matin, et en rentrant je me suis mise au lit, au chaud. Les douleurs passaient mais la température restait. Enfin, j’ai quand même fait préparer ma robe, d’abord je voulais mettre l’organdi mais je me suis décidée pour la robe de noce parce que je pouvais mieux m’habiller dessous. Enfin, le soir encore faible sur jambe et avec les fameux 38.0 je me suis rendue chez les Jöbsis, me demandant si je pouvais y tenir. Mais voilà, vous ne connaissez pas votre Ge… ! Nom d’une pipe, je n’étais pas là 5 minutes que mon mal de tête avait passé et je crois bien ma fièvre aussi après le premier verre de vin. Enfin tout a bien été et M. Jöbsis a été plus qu’aimable avec moi, et Buby aussi. Les autres invités voyant cela en ont fait autant et nous avons passé une soirée plus qu’agréable. D’abord en arrivant il fallait déchiffrer tous les puzzles que les invités étaient tenus d’arborer. Il a aussi fallu que Buby dessine vite quelque chose ayant rapport à la Banque, un fait, une situation ou n’importe quoi. On recevait des cartes sur lesquelles il fallait écrire les résultats devinés et celui qui aurait le plus de voix recevrait un prix. Moi je ne représentais rien, vu qu’on avait pas eu le temps de faire quoi que ce soit. Une fois qu’on avait tout deviné on a fait une polonaise devant les Jöbsis pour leur laisser admirer encore une fois, puis on s’est rendu au bar pour les cocktails. Ensuite le dîner fut servi. Pendant tout ce temps qu’on buvait des cocktails (moi pas) on faisait la conversation !!! J’en ai profité pour parler à toutes ces femmes qui vraiment cette fois ont été plus malléables et moins réservées. A plusieurs reprises Mr. Jöbsis est venu s’asseoir à côté de moi me demandant comment je me plaisais à cette party et si je m’amusais. Madame aussi est venue s’asseoir vers moi. Le dîner était très bien aussi et ensuite nous avons encore un peu dansé et la Ge… n’a plus senti ses jambes molles !!! J’en étais bien contente car il a été très utile que nous y soyons à cette soirée. Nous sommes maintenant introduits d’une bonne manière dans le cercle de la Banque et cela ne peut que faire du bien. 
train de l'époque, Indonésie

Le lendemain samedi soir à 6 heures nous étions dans le train pour Keboemen. Nous voulions d’abord aller troisième parce que le voyage est si cher, mais une fois dans le wagon je n’y tenais pas, ayant un chinois juste au-dessus de moi couché dans une sorte de hamac, les couchettes de troisième classe se trouvent au-dessus des bancs. Nous avons déménagé en seconde et à Keboemen Tante Engel nous attendait. Nous avons eu de part et d’autre beaucoup de plaisir à nous revoir. Les journées s’écoulaient tranquilles et douces dans le beau jardin, dans la maison etc.  Le soir même tante Engel m’a conduite dans notre chambre où touts vos cadeaux étaient étalés sur une table comme à Noël chez nous. J’ai vraiment eu mon Noël chez eux. Nous étions tous là autour et ils riaient à tous mes cris de joie après chaque chose que je découvrais. Merci mille fois pour le chnöpflisieb et cette râpe, ensuite pour le cosy et les beaux petits pantalons, pour les perles où tu as ajouté la tienne, tu me gâtes toujours. Ensuite la belle robe bleue qui me va à ravir, j’en suis si contente, seulement je ne sais pas bien s’il faut remercier  toi ou la Bänggou, tante E. m’ayant raconté qu’elle était d’abord destinée à une de mes tantes qui ne trouvait pas la couleur favorable. Enfin, à qui de droit, merci de tout cœur, mille et mille fois. J’ai aussi eu du plaisir aux petits napperons de Flock. Et finalement j’ai eu un plaisir fou à mes montres et mon petit réveil. Je n’y comptais pas du tout vu que vous m’aviez écrit qu’ils n’arrivaient pas à être prêt avant le départ des Engel. Last but not least, les pives, mes belles pives du Chalet m’ont bien fait pisser de l’œil. Merci, merci, j’en ai un tel plaisir, je vais les décorer pour Noël, elles seront notre seule décoration de Noël, nous n’aurons pas d’arbre. Les petits numéros me sont aussi bien parvenus, Mamms, et j’aurais certainement l’occasion de m’en servir. Ma petite montre ronde 6 ¾ ” ne marche pas du tout, et celle que tante E. a acheté chez toi non plus. C’est bien embêtant, elle n’en était pas contente. Le film, je l’ai fait tourner trois fois, vous êtes bien tous, mais c’est dommage que ce soit les Tiptop qui prennent le plus de place. Tu comprends je les aime bien aussi tes petits amis mais en une occasion pareille j‘aurais préféré voir des autres binettes !!! Charlot aussi en s’amusant avec eux se baisse toujours de sorte que je ne vois pas sa figure. Les E. m’ont donné le film et je peux le faire tourner pour 15 cents par fois, ici au magasin Kodak. Je vais tâcher de leur demander le bout où nous sommes Oscar et moi et je vous l’enverrai, vous pourrez certainement en faire de même à Bienne dans le magasin qui a la représentation Kodak. C’est mon Macaroni qui est superbe sur son film, alors là je me suis rincé l’œil et je t’assure que je n’ai rien à redire à ton Hooverage ! Mina aussi est très bien… de dos seulement. Enfin, le tout est une vraie scène de famille comme je les connais et j’en ai eu un plaisir énorme avec pissement d’œil minime !
Pour la fête à Buby tante E. a fait un bon petit dîner, et une tourte. Je n’avais rien dit avant le matin même et c’est touchant comme elle a vite tout arrangé. Nous y sommes restés trois jours. C’était comme si j’étais à la maison et eux aussi m’ont dit que j’étais comme leur seconde fille et que je pourrais toujours et toujours venir chez eux.
Le mercredi nous avons été à Keboemen chez Wies parce que les E. devaient aller à une réception. Là chez Wies  il a fait beau aussi. Ma maison est bien entretenue. Les Visser avaient justement choisi ce jour pour aller à Batavia. Il paraît qu’elle attend de nouveau un bébé de sorte qu’ils ne peuvent pas aller en congé d’Europe ce printemps, ce qui change bien les choses. Je ne suis pas allée rendre visite aux Röhwer, cela a dû bien les embêter, mais voilà la Näggeli s’en fout. Ils vivent comme chiens et chat avec Does et je vous garantis que ce n’est pas Does qui tire le plus court. Ah, elle a trouvé son maître la Rickshaw.
Le buste que tante E. m’a rapporté est exactement celui que je voulais commander à Paris et qui me serait revenu à Fl. 50.-. Maintenant je n’ai eu à payer que Fl. 10.- . J’ai immédiatement formé celui à tante E. On a bien ri, à la fin quand elle était carapacée et qu’elle ne pouvait plus bouger je dansais autour d’elle et je la taquinais. Le système est très simple et pratique, j’en suis enchantée et je me réjouis de pouvoir couper mon premier modèle !!! Cette année je n’y arriverai plus vu que j’ai encore tant à écrire pour Nouvel-An.
Buby a bien reçu ta chemise polo, et elle a dû être emballée pour aller à Keboemen sans que j’aie eu le temps de la laver ou quoi que ce soit. Il voulait immédiatement la mettre. Il a aussi reçu tes timbres avec grand plaisir, mais c’est moi qui n’étais pas contente, vu que je m’attendais à une lettre ! Vous le gâtez beaucoup trop ce garçon, il n’en vaut pas la peine, croyez-moi !!!
J’ai aussi reçu les petites chemises pour Frankje Elout, et hier matin, tout de suite après mon arrivée de Keboemen, je les ai apportées à Annie qui en a eu un plaisir fou. Frankje devait être opéré dans la gorge dans le courant de l’après-midi et Annie était très malheureuse, alors ces petites chemise pour son enfant lui ont fait doublement plaisir. Elle te remercie beaucoup, elle a vraiment été touchée, que tu lui en fasses cadeau. Tu me diras ce qu’elles coûtent.
Es E. j’ai reçu un beau bracelet avec une turquoise et Oscar une boîte à cigarettes en ébène. Tante E. m’a bien dit qu’elle ne pouvait pas bien te parler et qu’elle n’avait pas tout pu dire comme elle aurait voulu parce qu’elle devait le faire en allemand. Elle n’a aucune facilité pour les langues, la pauvre. Elle a regretté, mais voilà, il n’y avait rien à faire.
Je suis bien contente de ma visite là. Cela nous a coûté très cher le voyage, mais zut, c’était notre cadeau de Noël et je ne m’en repens pas.
Les Bigot vont donc nous quitter le jour de Noël. Nous les regretterons beaucoup, car ils ont été de vrais amis pour nous. Enfin, espérons pour leur retour.
Je crois que je ne vous ai pas encore raconté que j’ai eu de sales histoires avec une de mes dents de devant. Elle a été gâtée sans que je m’en aperçoive et quand j’étais chez le dentiste il l’a plombée avec de l’émail. Voilà qu’un beau jour ce plomb tombe et pour le remplacer il a dû me tuer le nerf. Comme je voulais être prête pour aller à Keboemen, il a dû faire vite, et m’a sorti le nerf avant qu’il soit bien mort. Cela m’a fait un mal de chien de sorte que je me suis évanouie chez lui. Bäh, cela me dégoûtait. Il m’a vite mis de l’eau de Cologne sous le nez et c’est mieux allé. Maintenant je n’ose pas y penser sans quoi  je deviens « schlächt »(mal) comme dit Nöggu. C’est naturellement ce régime qui m’a un peu affaiblie, ma pression du sang est de nouveau très basse, de sorte que je reprends du Optonikum. Sans cela je me porte bien, il faut toujours faire attention à ce que je mange, si je suis imprudente, j’ai immédiatement mal au ventre de nouveau.
Je cuis maintenant moi-même et j’en suis bien contente. C’est quand même meilleur que le manger de l’hôtel.
Je viens de faire un tour en ville, ayant quelques commissions pour Annie Elout. C’est si beau en ville. Tous les magasins sont bien décorés et les belles choses qu’on peut acheter !  Comme en Europe c’est vraiment merveilleux et un plaisir pour les yeux. Cela m’a vraiment donné de l’ ambiance de Noël, bien qu’il fasse chaud comme dans un four ce soir. C’est pourtant autre chose que d’être à Keboemen, ici au moins on voit quelque chose. Demain c’est ta fête Mamms, Buby a déjà dit qu’on allait fêter. Je pense que nous rions au cinéma le soir, mais d’abord il faut que Buby vienne lädele (lèche-vitrine) avec moi et jouir de toutes ces belles choses.
Charlot, merci pour ta lettre à Buby, il en a eu beaucoup de plaisir et surtout ton idée de l’abonner à ce magazine lui a fait grand plaisir. Mais mon vieux, est-ce que tu ne te suces pas trop le sang pour cela ? Je vous ai fait envoyer un livre pour les deux. C’est un livre excessivement intéressant sur la Chine sous forme de roman vécu. Les jeunes gens là éprouvent des difficultés analogues aux nôtres, c’est la raison pour laquelle je vous l’envoie. Mes chers vieux frangins, je vais vous écrire sitôt que j’aurai fini de pondre toutes ces lettres de nouvel an officielles, c’est une barbe !!!
J’ai encore reçu un avis de paquet recommandé que j’irai retirer demain matin, Merci d’avance.
Et maintenant, mes bien chers tous, c’est un Joyeux Noël et une bonne et heureuse Nouvelle Année ! Bonne santé à chacun, un cœur content du travail et de la prospérité. Pour les Garçons : un puissant Avanti ! Travaillez dur, mes vieux, mais avec intelligence et décision. Mes chers, c’est bien à chacun que je voudrais souhaiter tant de bonnes choses, mais ne pouvant le faire séparément, je ne vous écris que ces mots………. 




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