samedi 20 août 2016





Mes bien chers, hé non ! il faut d’abord la date !

Batavia

17 janvier 1937

Mes bien chers donc
C’est avec un plaisir immense et profond que j’ai reçu vos photos. Ce que tu es bien Mamms ! Tu es simplement chic et j’aime extrêmement bien ta robe. Je la trouve High life et celle te va rudement bien. Tu le diras à Hedy, je suis contente d’elle. Aussi, la photo de vous trois est bien, elle est si digne cette photo à trois, je l’aime beaucoup. 
de gauche à droite
Fanny (Bannely) Giggerli et Rose


Lundi, le 19 janvier 1937. J’ai interrompu ma lettre dimanche pour aller dîner, et après notre sieste nous avons été prendre le thé sur la terrasse du flatgebouw ( trad.lit. =le bâtiment des appartements). En y allant je voyais dans un flat au-dessous, deux jeunes gens de la Banque qui marchandaient pour des fleurs. Ils le faisaient plus pour leur plaisir de marchander que pour acheter des fleurs. Moi aussi cela ma fait rire et un moment après voilà Schröder (celui qui était assis à côté de moi au dîner des Jöbsis) qui monte et m’offre les fleurs qu’ils avaient achetées. J’en ai eu du plaisir et un mot a donné l’autre, j’ai pris mon plateau de thé et nous sommes allés chez Bomas (un autre jeune de la Banque, qui a son flat à côté de celui de Bos) pour une tea party. Il y a quelques temps que ce Bomas demeure ici, mais je crois que la femme de Bos nous a un peu décrié chez lui, de sorte qu’il ne semblait pas vouloir entamer des relations avec nous, et moi je ne lui courrais pas après, naturellement. Bon, enfin, nous nous entendions bien et avons fini par bien rire. Au thé succéda l’apéritif et comme il n’avait plus de whisky je lui ai prêté le mien. Vous auriez dû voir la gueule de madame Bos quand elle m’a vue là. Elle a salué les hommes, mais pas moi. Jalousie ! à un moment donné j’ai été chercher des pistaches, des biscuits salés et des cornichons, des choses qu’on offre ici avec l’apéritif. Ces jeunes aimaient bien cela et devenaient de plus en plus gais, jusqu’à ce que Bomas invite aussi les Bos à venir s’asseoir chez nous. Moi  je riais sous cape quand madame Bos refusait à tout prix, mais à la fin elle a quand même dû céder et avec un gentil sourire je lui offrais des biscuits. Haha ! Vers 10 heures on a décidé d’aller souper chez le Chinois, tels que nous étions, sans chapeau, les hommes sans col ni cravate. Ils n’étaient plus tout à fait sobres et j’ai eu la frousse dans l’auto quoiqu’Oscar faisait attention aussi à ce que Schröder faisait. Les Bos étaient avec Bomas. Là au restaurant chinois il a fallu que nous rencontrions Wittkopp, le type qui a vendu Elout à Amsterdam. Bomas ne semblait pas l’aimer non plus, de sorte qu’il l’a chicané et taquiné tant et plus. Il avait une chique assez lourde et ne savait plus ce qu’il disait par moment. Enfin, il était très gai et nous avons ri à en avoir les larmes aux yeux. Ce Wittkopp a reçu sur le chourave d’une façon formidable, nous le lui accordions tous au fond du cœur. Moi je faisais de mon mieux pour faire manger les hommes, je me disais que cela dissiperait l’alcool, mais chez Bomas je n’y réussissais pas, de sorte qu’il continuait d’amuser tout le café. Il y avait des vendeurs de ballons qui passaient toujours devant la terrasse du café, alors Bomas les achetait tous seulement pour le plaisir de les faire péter. Oh, je vous dis, nous avons bien ri. A minuit nous sommes rentrés, non sans presque avoir eu un accident avec un taxi. Bah, j’ai eu la frousse et j’ai fait une prière quand j’ai enfin pu sortir de l’auto. On en m’y prendra plus, quoique Schröder ne conduisait pas mal, mais c’est Bomas qui faisait la bête. Une fois devant la maison je leur ai demandé de monter chez nous prendre encore une liqueur, mais j’ai placé des tasses de café noir devant eux, et ils m’en étaient bien reconnaissants. Surtout à Schröder, je lui en ai enfilé 4, vu qu’il devait encore conduire pour rentrer. Bomas disait à tout bout de champ : Et dire que je demeure ici depuis 6 semaines sans avoir découvert combien vous étiez gentils. Bon sang, ce que j’ai perdu ! Il disait tout cela devant la madame Bos qui pouvait en prendre un nez plein.  Les enfants et les hommes saouls disent la vérité !!! Enfin, à 2 heures ils ont débarqué et chez nous une nouvelle comédie commençait. Oscar sitôt au lit, s’est mis à faire une drôle de tête et bientôt il était penché sur les cabinets !!! une fois retourné au lit, il ne voulait plus en sortir et réclamait une cuvette. Moi cela me fâchait, je veux bien le soigner sans réserve quand il est malade, mais s’il veut boire jusqu’à en dégueuler, il est libre de le faire mais qu’il m’en épargne les conséquences. D’ailleurs vous savez  bien que je ne peux pas souffrir un homme chiqué à ce point, aussi je n’ai pas pu me retenir de lui dire mon opinion. Pendant ce temps il devenait malade de plus en plus, mais je ne m’en occupais plus. Le lendemain matin il ne se sentait pas bien, mais il fallait pourtant qu’il aille au bureau. Il en est revenu vers 10 heures avec des crampes très fortes, alors je me suis rendu compte qu’il devait avoir mangé quelque chose de mauvais. Je l’ai mis au régime du lait et du Norit, et ce matin c’est mieux allé de sorte qu’il est de nouveau au travail. Voilà, et moi  j’ai eu un peu de remords de ne l’avoir pas mieux soigné, mon Buby, mais que voulez-vous, je ne supporte pas les hommes saouls. Cette soirée avec les deux jeunes gens m’a seulement fait plaisir en tant qu’elle nous a permis de nous rapprocher d’eux, de faire bonne connaissance, ce qui peut devenir une amitié. Schröder est le secrétaire de M. Jöbsis, et est naturellement au courant de bien des choses. Enfin, je crois qu’ils vont revenir, car ils trouvaient bien heimelig chez nous et que je leur aie fait du café, ils ont trouvé cela chic. J’ai immédiatement pris mes dispositions pour toujours avoir quelque chose dans le buffet, de quoi vite faire un petit souper ou j’importe quoi si l’occasion se présente. Je suis aussi contente pour Buby s’il peut nouer des liens d’amitié avec des jeunes gens pareils, de son milieu et de son éducation. Ce Schröder est avocat, et un esprit très cultivé.
Samedi soir nous avons été au cinéma voir le film du mariage de Juliaantje, (princesse Juliana), et un film américain « Champagne Waltz » qui n’était pas mal du tout. Demain je vais en ville avec Mimi, il y a les soldes dans le plus grand magasin. Quelqu’un que j’aime bien sont ces van der Stock, avec qui nous étions samedi soir, la jeune m’est très sympathique, elle a beaucoup de cœur et nous nous entendons bien.
Jeudi passé, après le cours de gymnastique, j’ai été chez une madame Meyer qui m’avait demandé d’aller boire une tasse de café chez elle, encore avec une madame, une Indische comme la Rickshaw. Je n’avais pas d’excuse valable pour refuser à ces femmes, cela fait que je les ai suivies et me suis embêtée chez elles à ce point que j’en suis revenue malade au point de vomir. Cette Meyer est une hollandaise qui doit sortir d’un milieu très très étroit, et maintenant elle a l’occasion de faire la dame ici, et cette autre m’a tellement rappelé la Rickshaw dans tout ce qu’elle disait et faisait que j’ai été prise d’un dégoût insurmontable. Bon sang, ce que je suis contente d’être à Batavia ! loin de ces nids de mensonges indo. Je sais bien que dans la société européenne ils se disent aussi des mensonges, mais pourtant moins stupides, et de toujours sentir cette méfiance, cette sournoiserie qui te guettent à chacune de tes phrases et de tes expressions. Je vous assure que cela m’embête de retourner à ma leçon de gymnastique parce que je dois rencontrer ces femmes et probablement aussi les avoir après pour une tasse de café, mais après elles peuvent aller se faire…. La madame Bos ici en dessous, elle n’est plus gentille avec moi, parce qu’elle est trop jalouse, mais je ne sais pas, sa jalousie s’extériorise autrement, d’une façon moins canaille, moins sournoise et je peux la lui pardonner, car j’avoue qu’il y a bien de quoi être jalouse de moi, vu que je suis reçue partout et elle presque nulle part.

Mes chers, vu que je suis au bout de la feuille, je vous quitte pour cette fois. Portez-vous tous bien et soyez heureux comme l’est votre Ge… avec mon miston de Buby, mais je l’aime bien, va.



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