lundi 22 août 2016






Batavia

19 janvier 1937

A sa maman
Il est inutile de te dire combien ta lettre 151 m’a de nouveau fait plaisir. Je vais faire de mon mieux pour t’écrire un peu plus souvent de nouveau. Je sais que je vous ai négligé bien des fois, mais c’est la vie ici qui m’en a empêchée au commencement. Maintenant que je sais que très probablement nous y resterons, je ne suis plus si  anxieuse de sortir et aller jouir, tu comprends. Maintenant je passe au moins deux-trois matins par semaine à la maison.
Ma Röttelio, ce que tu es de nouveau jolie dans ta belle robe ! Zum frässe (à bouffer), et les rides, tu n’en as pas tant. Attends quand tu me verras ! j’en ai presque plus que toi. J’ai beaucoup vieilli ces derniers temps, je pense que c’est surtout ces troubles d’estomac qui ont fait cela. Enfin, zut, on ne peut pas toujours avoir 20 ans.
Je suis contente que vous ayez eu la Giggerli et qu’elle ait eu du plaisir. Je pense bien qu’elle est toujours la même, mais que veux-tu, on ne peut plus la changer. Comme je peux bien me représenter le temps qu’il faisait quand vous avez marché à Sutz. Un bel hiver est quelque chose de beau aussi, et j’en jouirai bien quand j’y serai de nouveau, mais pour le moment je n’en ai pas l’ennui. Mais non, car je suis heureuse ici. Pourvu que tu ne te sois pas trop fatiguée en marchant à Sutz et que cela n’ait pas eu de mauvaise conséquence.
Là sur la photo où vous êtes les trois, on voit pourtant bien la différence d’une robe bien faite. Je trouve celle de la Bänggu pas belle du tout, est-ce qu’elle l’a faite elle-même ? Ah, tu es bien, toi.
Je ne savais pas non plus que la Raball avait eu une fille, vu qu’il y a plus d’une année que je ne lui écrit plus. Je pense bien que cela lui aura fait de la peine, pas parce qu’elle m’aimait, mais surtout parce qu’elle tenait à gaggle avec une amie à Java. Bi mir isch wieder ds röteli, es isch es donners züg dass es nie wot ufhöre mit cho, i hätt ou gärn nes chlyses  (j’ai de nouveau mes règles, c’est une sale affaire qui ne veut pas arrêter, j’aimerais bien moi aussi un bébé….)
Est-ce que tu as déjà reçu les étoffes de Max ? Demain avec Mimi j’irai aussi m’en acheter quelques-unes pour des petites robes toutes simples, surtout pour rapprendre à couper sur mon mannequin, car j’ai un peu oublié depuis mes leçons chez la Lenderli, mais je pense bien que cela reviendra. Il faut que je m’exerce.
Maman, je te quitte vite pour aller surveiller mon dîner. J’ai une soupe à la farine brune avec les restes du poulet de dimanche, deux têtes de salade en sauce, des patates, des Wienerschnitzel et des fruits. C’est fou ce que j’aime cuire avec ces nouveaux livres.
Voilà, ma soupe à la farine est faite, sans grumeaux, parce que je l’ai passée au tamis. J’aime tellement cuire maintenant, encore plus parce que je puis le faire avec tellement de sûreté, grâce à ce livre. Si jamais tu vas une fois chez Maegli (librairie à Bienne, aujourd’hui disparue), tâche de pouvoir y jeter un coup d’œil, il te le permettra bien. Tu verras et comprendras pourquoi j’en ai tellement de plaisir. Et tout partout il y a des images qui te montrent mieux que n’importe quelle description comment il faut t’y prendre. Et le livre ne dit pas : il faut prendre tant et tant, mais, prenez telle quantité, faites cela comme ceci etc ; c’est comme si quelqu’un te parle personnellement. C’est même Buby qui en a du plaisir, il lit souvent là-dedans.
Je me suis faite ma première robe sur mon mannequin (le buste !!!), une petite robe de piqué blanc qui me revient à Fl. 2.40, mais elle n’est pas trop bien réussie, il lui manque encore le chic. D’abord j’étais très découragée et abattue parce que j’étais désappointée, mais après réflexion je me suis dit que cela ne pouvait pas réussir du premier coup et me suis rappelée que « en couture l’expérience fait le maître ». Je veux bien le croire, c’est pourquoi je vais m’exercer.
Ma baboe va maintenant suivre un nouveau cours de cuisine, que je lui ai payé. Je ne le fais pas tant pour lui apprendre à cuire que pour lui faire avoir du plaisir à cuire, car je trouve que c’est une chose essentielle. Cuis avec amour ! Je t’en garantis que la femme Bos, dimanche soir, était jalouse de moi parce que j’allais ainsi faire du café pour ces jeunes gens, je crois qu’elle ne sait pas même le faire, et elle ne veux pas l’apprendre.
Je suis bien contente que tu m’aies toujours poussée à apprendre à coudre, et de tous tes bons conseils que tu m’as donnés au cours des années. Papa a beau dire que tu me gâtais, mais c’était de la bonne manière, car maintenant je me rappelle surtout mos bonnes conversations, sur la vie etc. Pense ce que cela m’est utile maintenant.
Je te dis, je suis si contente que cela soit arrivé avec ces jeunes gens, car Oscar ne pouvait pas souffrir ce Schröder au début, et je crois bien  que Schröder n’aimait pas non plus Buby, et maintenant cela semble bien aller, il faut seulement encore que je soude un peu la chose. J’ai immédiatement rempli mon buffet de boîtes de thon, sardines, asperges, petits pois, lait condensé etc, parce qu’après huit heures on ne plus rien avoir ici,  et du lait je n’en achète que tout juste pour chaque jour vu qu’on ne peut pas le conserver.
J ‘ai tellement envie d’un fourneau à gaz avec un four, un grill. Jusqu’à présent je cuis seulement sur deux flammes à gaz. Peut être que le mois prochain je vais louer un fourneau à raison de Fl. 1.- par mois. Ce n’est pas trop cher pourtant. Je ne veux pas en acheter un, quoiqu’il y en ait de très jolis, tout petits et bien comme prix, mais à quoi bon dépenser tant, et ce serait toujours un meuble de plus à trimballer. Si je savais que nous restions ici pour tout de bon, mais on est jamais sûr. Ce Bomas par exemple est envoyé tout au nord de Bornéo le mois prochain, à Pontianac. Il a déjà été à Bombay, Calcutta, Shanghaï et il s’attend à être envoyé au Japon aussi. Ah vois-tu ces jeunes qui voyagent, c’est quand même beau. J’aimerais tant que les garçons aient aussi cette chance tu sais, pas voyager pour vendre des montres seulement, mais  encore aller travailler dans ces pays lointains chez Stern ou Bloch & Gerber, et qu’ils soient soumis à cette discipline sérieuse du travail dans l’Orient. Hé, Mamms, il est vrai que je suis séparée de toi, des miens, de la maison, mais il fait si beau ici aussi, c’est une vie qui me va tellement, qui me rend heureuse comme je n’aurais pas pu l’être à Bienne ou dans un petit patelin en Suisse. Ici c’est large, cela a du Schwung (de l’élan), de la jeunesse, de la vitalité.
Ecoute, je vais terminer, je dois encore écrire à Papa Woldringh et aux Bigot qui sont en Hollande maintenant. Ils ont aussi passé par la Suisse, mais je ne leur ai pas dit de venir vous voir, ne voulant pas te donner du Gstürm (stress) de nouveau.
Ce matin, en écrivant j’ai vu l’avion passer au dessus de la maison, il était si joli et m‘a fait tant plaisir, mais après réflexion je me suis dit qu’il ne pouvait tout de même rien apporter vu que je venais de recevoir ta lettre 151, mais voilà à 3 heures il y avait une lettre de la Rötteli.
Donc c’est sérieux, ce départ pour Rome ? C’est de tout cœur que je te souhaite du plaisir et de jouir autant que possible. Mais ne te fatigue pas trop. Comme je voudrais être avec toi. Naturellement tu ne perdras pas ton temps à m’écrire, profite et jouis bien de toutes ces beautés. Tu pourras toujours assez m’écrire une fois de retour à la maison.
Merci pour le conseil des bouillons Maggi. Je ne les ai pas encore vu ici, mais cela ne tardera pas. Le temps d’exécuter les commandes et de les expédier ici. Dans ces choses-là il faut toujours compter 2-3 mois de retard sur l’Europe. Tu n’as donc pas besoin de m’en envoyer. De plus grâce à mon livre, je sais comment faire du bon bouillon maintenant, pour 30 cent j’ai un poulet, mais j’achèterai aussi ces Maggi car ils sont commodes quand on veut faire vite.
Tu m’écris encore que je ressemble à la Strittere, eh bien, je ne me considérerai plus comme ta fille, de sorte qu’il ne sera plus nécessaire que je t’écrive ! hein ! tu es quand même une sale femme, plus méchante que je ne croyais, vraiment c’est encore une illusion qui s’en va, Rötteli-mistonne ! (entre nous on se comprend toujours, hein ? et je n’ai rien contre que tu te moques de moi, j’en fais de même).
Comme je suis contente que tu aies trouvé de si beaux souliers. Tu as raison, fais-toi jolie, tu ne le seras jamais trop pour moi.
Oui, je remercierai Max à l’occasion pour cette robe bleue. Je l’aime d’autant plus de penser que c’est la Tatali qui la voulait pour elle. Je dois y penser de plus en plus à la Tatali, c’est vraiment maintenant que je sens le plus fortement qu’elle nous a quittés et je t’assure que cela me fait pleurer quelquefois, du moins verser quelques larmes quand je pense à elle ou que quelque chose d’elle me vienne à l’idée.
La semaine passée j’ai fait des Chnöpfli pour la première fois avec ma jolie passoire et j’ai tellement dû penser à la Tatali que cela m’a fait pleurer. Vous, vous l’avez perdue d’un coup, d’un jour à l’autre elle n’était plus là, mais pour moi c’était plus lent à réaliser Je comprends combien le coup a dû être terrible pour toi.
Enfin, va à Rome et jouis-en, mais ne tombe pas trop souvent amoureuse, car tu en verras des beaux Tschingg (mâles italiens…). Tu les regarderas pour moi et tu te rinceras l’œil, hein !
Et maintenant je vais te quitter, c’est déjà tard et j’ai sommeil. Buby est assis vis-à-vis et travaille.
Encore une fois …et beaucoup, beaucoup de plaisir à Rome.

Mes chers
Je viens de recevoir la lettre 152 de maman, contenant le formulaire de procuration à signer, que je vous renvoie inclus puisque c’est pressant.

Sutz 1936, l'église et le Chalet tout à gauche

Je te remercie aussi Loulou d’avoir eu l’idée de m’expliquer de quoi il s’agit et te serais reconnaissante de m‘en laisser savoir plus long à ce sujet. Est-ce que c’est nécessaire que vous vendiez ce terrain ? (parcelle à Sutz). Je croyais d’après une lettre de maman que vous en aviez loué une partie. Quelle partie est-ce ? Et quelle partie voulez-vous vendre maintenant ? Et où se trouve cette plage (aujourd’hui la petite baie publique) dont maman m’a parlé, mais hélas, jamais bien clairement ni surtout suffisamment pour me permettre de me faire une idée nette des changements survenus à Sutz (le terrain allait du Chalet jusqu'au lac). Le fait d’être mariée et expatriée n’est pas une raison pour que je ne m’intéresse plus à Sutz et ce qu’il en devient. Au contraire, et comme déjà dit, je serais reconnaissante à l’un de vous de me mettre au courant.
Sans autre pour cette fois, je vous embrasse bien fort tous les deux.
P.s. Charlot ne m’en veuille pas de mon long silence, patiente encore un peu et je t’écrirai longuement aussi.




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