mercredi 17 août 2016




1 9 3 7




Batavia

11 janvier 1937

Mes bien chers
J’ai enfin reçu votre lettre et compte rendu de Noël que j’attendais avec impatience. Merci Faaatherli de tout avoir si bien décrit, c’est vraiment comme si j’étais présente en lisant votre journée de Noël, avec la bonne boustifaille. Je pense que vous avez déjà ma lettre décrivant notre Noël à nous, j’ai pensé à vous le soir de Sylvestre à bouffer votre fondue et il m’est venu l’eau à la bouche. Enfin, ce sera pour plus tard, pour le moment je ne peux pas manger de fromage, mais gare quand je serai de nouveau en Suisse.
A Sylvestre j’ai été en ville le matin, acheter et liquider un tas de choses qui ne devaient pas passer le tremplin de la nouvelle année. Oscar est rentré assez tard le soir, nous étions juste à temps pour nous habiller et vers 7 heures, Boy et Mimi (Hausermann) sont venus nous chercher pour aller au cinéma. Nous avons vu « Le grand Ziegfeld » c’est un film qu’il faudra absolument aller voir, c’est beaucoup de revue, de girls, c’est gai, c’est sentimental, c’est triste, c’est rigolo, c’est joli. En sortant à 9 ½ nous avons été au Capitol pour souper. Grâce à nos binettes distinguées, nous avons eu une table des mieux décorées et le manger était exquis. Nous avons chacun pris à la carte, Buby a eu du cochon de lait, avec de la choucroute et un tas de choses avec, Boy a pris un mixed grill, Mimi du poulet froid au jambon d’York et moi des asperges avec un ragoût de cervelle de veau, alors au second service nous avons tous été piocher chez les uns et les autres, ainsi nous avons bien ri et bien mangé, la bonne humeur étant arrosée d’une bouteille de Liebfraumilch ‘29. A minuit toutes les lampes se sont éteintes pour qu’on puisse bien se souhaiter la bonne année. Il va sans dire qu’en France on n’aurait pas pris la précaution d’éteindre les lumières ! Nous avons aussi bu à la santé de tous nos chers, chez moi à raison de un Schluck par personne, et je n’avais pas assez d’un verre ! Pendant tout ce temps la musique a bien joué et après minuit on a entonné das Vaderlandsliederen. L’ambiance montait, montait mais à 1 ½ h nous sommes rentrés, bien contents de notre soirée.
Le lendemain à 11 h réception de Nouvel An chez les Jöbsis (le grand directeur à Batavia). Après avoir salué Mr et Mme J. on est allé rejoindre les autres personnes qui se tenaient par groupes à bavarder et à se souhaiter un tas de bonnes choses auxquelles personne ne croit, pendant que les djongos présentaient les apéritifs et des petits gâteaux. Tout le monde était très agréable avec nous et Mr. J. est même venu s’asseoir entre Annie Elout et moi pendant un moment. A une heure c’était terminé et chacun est rentré.
Le jeudi, vendredi et samedi nous avons eu congé pour le mariage de la Princesse Juliana. Buby a dû travailler à finir de la correspondance pour Bigot avec Elout, et ensuite il a passé deux journées entières sans s’habiller, sans se laver, à lire et à laver des timbres, à les classer etc.  Heureusement qu’il pleuvait continuellement de sorte qu’on ne pouvait pas sortir. Moi j’ai été voir le corso fleuri qui passait devant la maison. Il y avait des autos vraiment très bien décorées, mais dommage qu’elles devaient défiler par une pluie battante. Jeudi soir nous sommes sortis un moment avec les v.d.Stock et avons fait un tour par la ville pour voir les illuminations. Samedi soir, les Lensink nous ont téléphoné pour aller danser, et à 10 heures nous étions à l’hôtel der Nederlanden où il y avait deux orchestres et un monde fou. Le public  n’était pas no 1, mais nous nous sommes bien amusés tout de même. Nous étions 6 et avons dansé, sauté, chanté à n’en plus pouvoir. Il y avait beaucoup d’ambiance. J’avais d’abord mis ma robe du soir, mais sur le conseil de mme Lensink je suis rentrée pour changer et j’en ai été bien contente, car c’était une stunggete . Nous sommes rentrés à 3 heures alors que les Lensink sont encore restés jusqu’au matin. Le troisième couple qui était avec nous, des amis des Lensink, était assez sympatique aussi. Lui est un Indo (un des parents est blanc et l’autre pas) et ressemble un peu à John, mais en plus fin, elle est une petite femme hollandaise. Lui a aussi eu la dysenterie et été très très malade, 3 mois à l’hôpital. Il ne pouvait pas s’en défaire, alors sa mère lui a donné un remède fait de plantes d’ici et maintenant il est tout à fait guéri. Il va me l’apporter aussi et je vais boire ce thé, car j’y crois mieux qu’aux remèdes et tout le poison du docteur, qui m’ont détraqué l’estomac. J’ai demandé l’avis de tante Engel au sujet de ce thé, car elle s’y connaît aussi. Je crois même que le docteur lui-même n’est pas tout à fait contre ces sortes de remèdes indigènes. La dysenterie est une maladie spécialement d’ici, alors il est aussi bon de la guérir par des plantes d’ici. Enfin on verra. Il paraît que ce thé réussit à tuer pour de bon toutes les amibes. Le docteur avait bien dit que je n’en avais plus, mais il ne pouvait pas me l’assurer définitivement et il a dit que si j’en avais de nouveau qu’il faudrait recommencer avec les injections, et cela ne me sourit pas. Je me porte assez bien pour le moment, mais je sens bien que ce n’est pas encore tout à fait parfait. Donc allons-y pour ce thé.
Hier soir nous avons été souper chez les v.d.Stock et ensuite nous avons été à l’église. Ils sont du mouvement Oxford. Nous avons été dans une très jolie église moderne, protestante naturellement, et le pasteur a très bien parlé. J’en ai eu du plaisir et Oscar aussi.
Il y a plus d’un mois que nous n’avons pas eu de nouvelles de papa W. et nous commencions à nous inquiéter quand les v.d.Stock nous ont dit que les Wilde Zwanen (Laren, Hollande, aujourd’hui ce bâtiment fait partie du Singer Museum) étaient en train d’être vendus. Ils ont la nouvelle de leurs parents qui habitent vis-à-vis. Je crois bien qu’ils étaient aussi venus en visite un soir pendant que nous y étions. Enfin, si c’est ainsi, nous comprenons que papa W. n’a pas le temps de nous écrire jusqu’à ce que ce soit passé.
Voici une semaine que ma baboe n’est pas venue, vu qu’elle s’était brûlée au bas du cou avec de la graisse qui a giclé. Elle a une immense brûlure et ne pouvait pas bouger les bras. J’ai eu une remplaçante pendant ce temps, mais elle ne savait pas du tout cuire, alors je m’y suis remise avec un plaisir d’autant plus grand que, pour mon anniversaire de fiançailles, le 5 janvier, je me suis payée deux chic livres de cuisines. Grundregeln durchdachter Hausarbeit et Grundbegriffe zum kochen, braten und backen. Ha ! Cela c’est du radium cette fois. Ces livres s’adressent aux femmes qui ne savent rien du tout de la cuisine et les trois quarts ce sont des images qui expliquent et montrent comment on dit s’y prendre. Epatant. Maintenant je sais quand il faut enlever le couvercle, et quand il faut cuire à couvert ! Je vous vois rire, mais je m’enfiche ! Les conséquences, c’est que j’ai réussi un petit poulet parfait et succulent hier pour dîner. De plus, ce livre te dit un tas de choses simples et essentielles qu’un bon livre de cuisine passe sous silence parce que c’est trop va de soi, une fois qu’on a la pratique de cuire. Enfin, j’y ai toujours le nez fourré et Oscar rigole. Tu sais que la cuisine moderne ne veut plus qu’on cuise les légumes dans l’eau et qu’on jette l’eau ensuite pour encore les cuire dans le beurre.  Non, car ainsi c’est le meilleur qui s’en va. Maintenant on les cuit à couvert avec le reste de l’eau du lavage. Il faut naturellement bien faire attention que cela ne brûle pas, mais au moins les valeurs nutritives restent intactes. Ah, vraiment, pour le ménage les Allemand sont champions. Ensuite viennent les Américaines pour l’Efficiency of the household, mais pas pour la nourriture ou plutôt ils mangent moins simplement, enfin je cherche  le bon milieu.
J’ai reçu des lettres de bonne année de mesdames Köbeli, Danz et c’est tout !  moi qui m’étais éreintée à écrire à un tas de gens qui ont reçu leurs lettres à temps pour Noël. On ne m’y attrapera plus à écrire des journées entières pour toutes ces connaissances. Tu n’auras qu’à leur dire, je pense à eux, mais pour le reste il faut qu’ils aillent se brosser.
Je n’ai pas remarqué que je ne parlais pas de toi en décrivant le film de Sutz. C’est que toi tu es tellement dans l’ombre qu’on ne distingue pas trop bien tes traits, mais la première impression que j’ai eue en te regardant : comme elle est distinguée dans sa tenue et ses mouvements et gestes. Oh, je t’ai bien regardée. Tu serais très très bien si seulement…
Pas terminée, la suite manque


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire