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Batavia
11 janvier 1937
Mes bien
chers
J’ai enfin
reçu votre lettre et compte rendu de Noël que j’attendais avec impatience.
Merci Faaatherli de tout avoir si bien décrit, c’est vraiment comme si j’étais
présente en lisant votre journée de Noël, avec la bonne boustifaille. Je pense que vous avez déjà ma lettre décrivant
notre Noël à nous, j’ai pensé à vous le soir de Sylvestre à bouffer votre
fondue et il m’est venu l’eau à la bouche. Enfin, ce sera pour plus tard, pour
le moment je ne peux pas manger de fromage, mais gare quand je serai de nouveau
en Suisse.
A
Sylvestre j’ai été en ville le matin, acheter et liquider un tas de choses qui
ne devaient pas passer le tremplin de la nouvelle année. Oscar est rentré assez
tard le soir, nous étions juste à temps pour nous habiller et vers 7 heures,
Boy et Mimi (Hausermann) sont venus
nous chercher pour aller au cinéma. Nous avons vu « Le grand
Ziegfeld » c’est un film qu’il faudra absolument aller voir, c’est
beaucoup de revue, de girls, c’est gai, c’est sentimental, c’est triste, c’est
rigolo, c’est joli. En sortant à 9 ½ nous avons été au Capitol pour souper.
Grâce à nos binettes distinguées, nous avons eu une table des mieux décorées et
le manger était exquis. Nous avons chacun pris à la carte, Buby a eu du cochon
de lait, avec de la choucroute et un tas de choses avec, Boy a pris un mixed
grill, Mimi du poulet froid au jambon d’York et moi des asperges avec un ragoût
de cervelle de veau, alors au second service nous avons tous été piocher chez
les uns et les autres, ainsi nous avons bien ri et bien mangé, la bonne humeur
étant arrosée d’une bouteille de Liebfraumilch ‘29. A minuit toutes les lampes
se sont éteintes pour qu’on puisse bien se souhaiter la bonne année. Il va sans
dire qu’en France on n’aurait pas pris la précaution d’éteindre les
lumières ! Nous avons aussi bu à la santé de tous nos chers, chez moi à
raison de un Schluck par personne, et je n’avais pas assez d’un verre !
Pendant tout ce temps la musique a bien joué et après minuit on a entonné das
Vaderlandsliederen. L’ambiance montait, montait mais à 1 ½ h nous sommes
rentrés, bien contents de notre soirée.
Le
lendemain à 11 h réception de Nouvel An
chez les Jöbsis (le grand directeur à
Batavia). Après avoir salué Mr et Mme J. on est allé rejoindre les autres
personnes qui se tenaient par groupes à bavarder et à se souhaiter un tas de
bonnes choses auxquelles personne ne croit, pendant que les djongos
présentaient les apéritifs et des petits gâteaux. Tout le monde était très
agréable avec nous et Mr. J. est même venu s’asseoir entre Annie Elout et moi
pendant un moment. A une heure c’était terminé et chacun est rentré.
Le jeudi,
vendredi et samedi nous avons eu congé pour le mariage de la Princesse Juliana. Buby a dû travailler à finir de
la correspondance pour Bigot avec Elout, et ensuite il a passé deux journées
entières sans s’habiller, sans se laver, à lire et à laver des timbres, à les
classer etc. Heureusement qu’il pleuvait continuellement de sorte qu’on
ne pouvait pas sortir. Moi j’ai été voir le corso fleuri qui passait devant la
maison. Il y avait des autos vraiment très bien décorées, mais dommage qu’elles
devaient défiler par une pluie battante. Jeudi soir nous sommes sortis un
moment avec les v.d.Stock et avons fait un tour par la ville pour voir les
illuminations. Samedi soir, les Lensink nous ont téléphoné pour aller danser,
et à 10 heures nous étions à l’hôtel der Nederlanden où il y avait deux
orchestres et un monde fou. Le public
n’était pas no 1, mais nous nous sommes bien amusés tout de même. Nous
étions 6 et avons dansé, sauté, chanté à n’en plus pouvoir. Il y avait beaucoup
d’ambiance. J’avais d’abord mis ma robe du soir, mais sur le conseil de mme
Lensink je suis rentrée pour changer et j’en ai été bien contente, car c’était
une stunggete . Nous sommes rentrés à 3 heures alors que les Lensink sont
encore restés jusqu’au matin. Le troisième couple qui était avec nous, des amis
des Lensink, était assez sympatique aussi. Lui est un Indo (un des parents est
blanc et l’autre pas) et ressemble un peu à John, mais en plus fin, elle
est une petite femme hollandaise. Lui a aussi eu la dysenterie et été très très
malade, 3 mois à l’hôpital. Il ne pouvait pas s’en défaire, alors sa mère lui a
donné un remède fait de plantes d’ici
et maintenant il est tout à fait guéri. Il va me l’apporter aussi et je vais
boire ce thé, car j’y crois mieux
qu’aux remèdes et tout le poison du docteur, qui m’ont détraqué l’estomac. J’ai
demandé l’avis de tante Engel au sujet de ce thé, car elle s’y connaît aussi. Je
crois même que le docteur lui-même n’est pas tout à fait contre ces sortes de remèdes indigènes. La dysenterie est
une maladie spécialement d’ici, alors il est aussi bon de la guérir par des
plantes d’ici. Enfin on verra. Il paraît que ce thé réussit à tuer pour de bon
toutes les amibes. Le docteur avait bien dit que je n’en avais plus,
mais il ne pouvait pas me l’assurer définitivement et il a dit que si j’en
avais de nouveau qu’il faudrait recommencer avec les injections, et cela ne me
sourit pas. Je me porte assez bien pour le moment, mais je sens bien que ce
n’est pas encore tout à fait parfait. Donc allons-y pour ce thé.
Hier soir
nous avons été souper chez les v.d.Stock et ensuite nous avons été à l’église.
Ils sont du mouvement Oxford. Nous avons été dans une très jolie église moderne,
protestante naturellement, et le pasteur a très bien parlé. J’en ai eu du
plaisir et Oscar aussi.
Il y a
plus d’un mois que nous n’avons pas eu de nouvelles de papa W. et nous
commencions à nous inquiéter quand les v.d.Stock nous ont dit que les Wilde Zwanen (Laren, Hollande, aujourd’hui ce bâtiment fait partie du Singer Museum)
étaient en train d’être vendus. Ils ont la nouvelle de leurs parents qui
habitent vis-à-vis. Je crois bien qu’ils étaient aussi venus en visite un soir pendant
que nous y étions. Enfin, si c’est ainsi, nous comprenons que papa W. n’a pas
le temps de nous écrire jusqu’à ce que ce soit passé.
Voici une
semaine que ma baboe n’est pas venue, vu qu’elle s’était brûlée au bas du cou avec de la graisse qui a giclé. Elle a une
immense brûlure et ne pouvait pas bouger les bras. J’ai eu une remplaçante
pendant ce temps, mais elle ne savait pas du tout cuire, alors je m’y suis
remise avec un plaisir d’autant plus grand que, pour mon anniversaire de
fiançailles, le 5 janvier, je me suis payée deux chic livres de cuisines. Grundregeln durchdachter Hausarbeit et Grundbegriffe
zum kochen, braten und backen. Ha ! Cela c’est du radium cette fois. Ces
livres s’adressent aux femmes qui ne savent rien du tout de la cuisine et les
trois quarts ce sont des images qui expliquent et montrent comment on dit s’y
prendre. Epatant. Maintenant je sais quand il faut enlever le couvercle, et
quand il faut cuire à couvert ! Je vous vois rire, mais je
m’enfiche ! Les conséquences, c’est que j’ai réussi un petit poulet parfait et succulent hier
pour dîner. De plus, ce livre te dit un tas de choses simples et essentielles
qu’un bon livre de cuisine passe sous silence parce que c’est trop va de soi,
une fois qu’on a la pratique de cuire. Enfin, j’y ai toujours le nez fourré et
Oscar rigole. Tu sais que la cuisine moderne ne veut plus qu’on cuise les
légumes dans l’eau et qu’on jette l’eau ensuite pour encore les cuire dans le
beurre. Non, car ainsi c’est le
meilleur qui s’en va. Maintenant on les cuit à couvert avec le reste de l’eau
du lavage. Il faut naturellement bien faire attention que cela ne brûle pas,
mais au moins les valeurs nutritives
restent intactes. Ah, vraiment, pour le ménage les Allemand sont champions.
Ensuite viennent les Américaines pour l’Efficiency
of the household, mais pas pour la nourriture ou plutôt ils mangent moins
simplement, enfin je cherche le
bon milieu.
J’ai reçu
des lettres de bonne année de mesdames Köbeli, Danz et c’est tout ! moi qui m’étais éreintée à écrire à un tas de gens qui ont reçu leurs lettres à
temps pour Noël. On ne m’y attrapera plus à écrire des journées entières pour
toutes ces connaissances. Tu n’auras qu’à leur dire, je pense à eux, mais pour
le reste il faut qu’ils aillent se brosser.
Je n’ai
pas remarqué que je ne parlais pas de toi en décrivant le film de Sutz. C’est
que toi tu es tellement dans l’ombre qu’on ne distingue pas trop bien tes
traits, mais la première impression que j’ai eue en te regardant : comme
elle est distinguée dans sa tenue et ses mouvements et gestes. Oh, je t’ai bien
regardée. Tu serais très très bien si seulement…
Pas terminée, la suite manque
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