Batavia
13 novembre 1936
Mon cher
Zero… (sa maman)
Au fond je
ne sais pas pourquoi j’écris encore à une sale femme comme toi, mais enfin,
passons là-dessus. J’ai malgré tous les 000000 eu beaucoup de plaisir à ta
lettre et je vais y répondre de mon mieux.
Je vois
donc que tu fais de nouveau de longues promenades, et j’espère seulement que tu
ne feras pas de bêtises. La chose toutefois qui m’a fait le plus de plaisir,
c’est cette phrase : j’ai de nouveau envie de « gondle » (vadrouiller en ville). Oui,
Röttelitje, je m’en réjouis et te souhaite tout le plaisir possible, mais sois
prudente.
Nous avons
eu un grand plaisir cette semaine. Papa Woldringh nous a écrit une longue lettre.
La Auntie (2ème épouse de Papa W.) va
mieux, ou commence du moins à mieux aller, et ils ont loué un flat à Bruxelles
où ils vont passer l’hiver. Je lui avais raconté qu’il nous fallait ainsi payer
une grosse note de dentiste et il nous a envoyé un chèque de Fl. 200.- soit la moitié de la note,
pour au moins que nous ne soyons pas tenté de faire des dettes. Il dit que
c’est notre plus grande richesse, de pouvoir vivre sans dettes. J’ai trouvé
cela très gentil de sa part. Naturellement que nous devons considérer cela
comme cadeau de Noël. Voilà qui nous aide bien un peu à nous remettre à flot.
J’ai
trouvé très gentil comme Elout a parlé ouvertement à Buby. Lui et Annie nous
sont très reconnaissants de ce que nous avons fait pour eux dans ces temps de
maladies. J’en suis contente, cela fait toujours du bien à Buby aussi
indirectement.
J’ai dû
rire, Sœur ten Kate m’a donc dit que j’avais bonne mine et pendant que nous
choisissions des souliers pour elle, des Bally, dans un magasin très chic, il
est entré une jeune femme très élégante
et bien soignée et fardée, alors Sœur me dit : Pourquoi est-ce que
vous ne vous soignez pas ainsi, madame W. ?
Je dis, vous n’auriez pas besoin de vous farder autant, mais un peu, et bien
arranger vos cheveux, faire vos ongles et soigner votre peau, par des massage etc.
Moi, je suis presque tombée à la renverse d’étonnement. Penses-tu, une sœur missionnaire, me
donner des conseils pareils ! Mais elle était sérieuse, et tu peux voir
par là combien elle est broad minded. Elle riait elle-même de mon étonnement,
mais elle me disait que j’avais une personnalité assez prononcée pour soigner
ma personne extérieure sans que cela paraisse superficiel et léger. Jusqu’à
présent, je suis restée toute simple, je ne me poudre même pas, et cela à cause
de toi mais c’est vrai que les autres femmes sont toutes mieux que moi. Ici on
a bonne mine le matin tôt, mais sitôt que cela approche de midi, qu’on est en
ville, qu’il fait chaud, on devient pâle et jaune, et c’est pourquoi les femmes
se fardent toutes. Je ne dis pas que je vais aussi me farder, mais je t’assure
que les conseils de Sœur ten Kate ne seront pas perdus. Elle m’a encore
dit : Pourquoi ne pas faire the
best of yourself pendant que vous êtes encore jeune et si gaie. Sitôt que je serai de nouveau bien à
flot, je vais aller chez une beauty specialist qui m’apprendra le vrai make-up distingué, car je ne veux pas
avoir l’air d’une poupée peinte. Tu
sais, on a maintenant tant de bons produits, on a fait tant de progrès sur ce
terrain-là, qu’il ne faut plus avoir peur que je me gâte complètement la peau.
D’ailleurs c’est le 99% des femmes qui le font, aussi en Suisse et je ne peux
pas rester en arrière. C’est comme avec les cheveux coupés dans son temps et
maintenant plus personne n’y voit plus rien. Il ne faut toutefois pas que cela
te fasse de la peine…. Ah non, j’oubliais que tu es une sale femme !!!
Tu m’écris
que Charlot était parti pour Berne, est-ce qu’il a repris ses cours à l’université ? Je vais lui écrire aussi. Je me
dépêche de liquider toute ma correspondance de Noël, et j’en ai un tas du
diable, car sitôt que j’aurai mon buste
(pourvu qu’il soit bon !) je me mettrai de nouveau à coudre. Il me faut
des robes maintenant, surtout pour les fêtes, on a des occasions ici et là et
on ne peut pas toujours porter la même robe.
Merci
d’avoir arrangé la chose avec le
bracelet de Flock. Mais c’est de nouveau toi qui plonge, je le regrette.
A
l’instant même je viens de recevoir
ma nouvelle agenda, merci, merci de tout cœur. Tu ne sais pas le plaisir
que j’en ai, c’est comme le retour fidèle d’un ami.
Nous avons
vite été chez Elout ce soir. Annie m’a remercie avec des larmes aux yeux pour
ce que j’ai fait pour Fransje. Vraiment je ne l’ai jamais vue aussi émotionnée
que cela. Cela m’a touchée. J’ai aussi vu
le baby pour la première fois. Mamali, j’ai fait les hauts cris. C’est un
poupon de trois semaines à qui l’intelligence sort de partout, par chaque trou,
je te dis. C’est fantastique les beaux enfants qu’ils ont, les Elout. J’ai eu beaucoup de plaisir à ce petit crapaud, il est joli aussi. Annie
va bien, elle est encore faible, mais je lui ai trouvé bonne mine tout de même.
Il a fait
très chaud ces derniers temps, mais hier les pluies ont enfin percé, et
maintenant il pleut tous les jours vers 5 heures de l’après midi et il fait délicieusement
frais. Nous sommes si contents d’être ici au premier étage dans notre flat,
c’est si heimelig de regarder par la fenêtre quand il pleut.
C’est
bientôt les fêtes. Je ne sais pas encore ce que nous ferons, je pense que nous
fêterons tout tranquillement entre nous, c’est bien ce que j’aime le mieux Tu
ne vas pas te fatiguer trop quand tu auras des visites pour Noël. Est-ce que Loulou
va rentrer ou restera-t-il à Londres ? Ce sera déjà notre 4ème Xmas ici, le temps passe tellement
vite !
Voici encore
un petit mot que tu donneras à lire au Padre.
Mon cher
vieux Macaroni
Comme je
l’ai dit dans ma lettre à la
famille, je suis étonnée de ton silence et un peu inquiète aussi de t’avoir
offensé, ce qui était loin de mes intentions Comme qu’il en soit, je me suis
encore informée auprès de quelqu’un qui connaît très bien et très justement les
conditions, la situation et les relations entre les différentes races, et il
m’a été dit que je ne pouvais absolument pas me rendre auprès des « Bombay » (appelés ainsi parce que souvent d’origine
hindoue) pour des affaires. Je le savais, mais parce qu’il s’agit de toi,
je voulais encore en être tout à fait sûre. Cela te fera probablement de
nouveau dire qu’on n’est jamais si mal servi que par sa propre famille. Je le
regrette infiniment, mais voilà, je ne
suis pas un homme. Est-ce que
ma lettre précédente n’a pas été claire et explicite ? J’ai encore
toujours cette facture ici. Tu pourras penser que je suis bête, que je ne sais
pas me débrouiller, mais vois-tu, tu ne peux pas te représenter comme c’est
ici. Ecris-moi que tu ne m’en veux pas trop, Faaatherli, car je voudrais bien
toujours rester ta Ge…
Avec tous
mes bons vœux pour la réussite dans cette nouvelle affaire…. GE
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