mercredi 2 août 2017




Bandoeng

4 décembre 1940
222


Je viens de faire quelques photos de Conradli et je ne veux pas attendre trop longtemps pour vous les envoyer. Nous en avons fait toute une série, mais elles n’ont pas toutes réussi et je ne veux pas vous envoyer les mauvaises. Conradli grandit comme un petit chien.
Vous devriez entendre comme il parle maintenant il dit des phrases entières, c’est tordant Si seulement nous pouvions comprendre ! Cet après midi il nous regardait aussi depuis son petit lit et nous tenait un long discours, alors Oscar lui demande : wat ? (quoi, en hollandais) et Conrad de répéter, w a t ?, alors Oscar s’est dépêché de lui dire un vilain mot et Conrad l’a immédiatement répété, nous avons ri comme des fous. C’est bien Oscar d’apprendre des vilains mots à son fils.
Depuis quelques jours Conrad dit aussi : mamang, mamang, et quand il me voit manger un biscuit à l’heure du thé, il demande : tätätä et tend ses petites mains C’est trop joli…
Ce matin au soleil dans sa box il s’amusait à attraper l’ombre que faisaient ses mains sur le drap. Oh, je vous dis, je ne me lasse pas de le regarder.
Depuis dimanche 1er décembre, il a sa deuxième dent. Il a bien des jours où il est grinche un peu, mais sans cela je n’ai pas à me plaindre.

Ce soir Oscar et moi avons vite été en ville pour choisir un cadeau pour Ir et Bernard pour nous revancher un peu de toutes leurs gentillesses. Oscar est resté en ville car il a une soirée d’officiers et moi je n‘ai pas pu attendre d’être à la maison pour retrouver mon Schnucksibol. Il y avait beaucoup de monde en ville, car c’est la veille de St Nicolas, tout le monde achète des cadeaux et des friandises. Moi aussi, j’ai fait quelques achats, et j’avais du plaisir à être en ville, car Bandoeng comme ville est très européenne et cela me donnait un peu l’illusion du bon vieux temps, mais à un moment donné, je n‘y tenais plus, j’ai sauté dans un taxi et lui ai demandé de me conduire vite vite à la maison vers mon Conradli. La vieille koki était assise devant son box et l’amusait. C’est toujours fête pour elle quand elle a la permission de l’amuser, car elle l’aime beaucoup.
Je crois que je ne vous ai encore jamais raconté de ma vieille koki qui est chez nous depuis le mois d’avril. Elle est toute vieille et n’a plus une seule dent. Elle a passé deux ans en Hollande et puis elle a demandé à ses maîtres de pouvoir revenir ici car elle avait l’ennui. Elle a aussi longtemps travaillé chez des anglais et sait faire la cuisine anglaise à la perfection C’est une petite vieille tout ce qu’il y a de dévoué et toujours gaie et prête à rire. Des fois elle a ses jours de mauvaise humeur, alors je ne vais pas à la cuisine !!! Elle me vole aussi tant qu’elle peut, mais je ferme un œil. Quand elle est en train de rire à la cuisine avec la baboe, je dois toujours penser à Line d’Amérique, quand tu riais avec elle, Maman, et que vous aviez peur que madame B allait arriver (lors du séjour de Rose aux USA). Elle se réjouit déjà que le njotje (abréviation de sinjo, qui veut dire petit monsieur, en malais) vienne à la cuisine lui voler des couvercles de casseroles pour faire de la musique !
Je t’accuse réception de ta lettre 242 ! Pas étonnant que je ne l’aie pas reçue, si elle a fait poche restante dans les affaires de Lälälä (Charlot) pendant plus d’un mois.
Merci aussi pour ta lettre Charlot. Dis donc, pourquoi es-tu allé passer un séjour à Grindelwald ? Es-tu de nouveau malade ? Je croyais que tu avais définitivement surmonté ce mal de poumon. Renseigne moi dans une prochaine lettre Mamali, stpl. Charlot écrit aussi que les journaux en Suisse ne donnent que de rares nouvelles des Indes Néerlandaises. Mes chers, pour une fois c’est la vérité : pas de nouvelles, bonnes nouvelles.  Pour le moment tout va bien ici, mais naturellement, comme vous en Suisse, on est sur le qui-vive ici, on se prépare à toute éventualité. Nous ne connaissons pas encore de restrictions d’aucune sorte, si ce n’est celles des articles importés d’Europe qui font un peu défaut maintenant, mais heureusement que l’Amérique les remplace avantageusement même.
Le 15 décembre nous retournons à Batavia après un beau séjour ici. Vous aurez de nouveau des photos en son temps. Je suis toujours bien occupée avec ma couture, tantôt pour Conradli tantôt pour moi. Avant de partir j’avais reçu un chapeau de madame van Mastwyck, il ne lui allait pas et alors un soir que j’étais là, elle me l’a planté sur la tête et comme il m’allait bien, je n’ai pas fait longtemps pour l’accepter. J’ai couru tout Batavia pour trouver une petite étoffe de même couleur et m‘en suis fait une petite robe très bien réussie, maintenant j’ai un charmant ensemble.
Je me réjouis de recevoir des photos du Chalet dans son nouvel habit. Celle que tu m’as envoyée est si jolie. Il est vraiment beau notre Chalet. Ah, quand nous y serons de nouveau réunis !
C’est bientôt ta fête, comme nous penserons à toi ce jour-là ! Et mon Padreli ? Je pense constamment à toi, même sans le vouloir !!! Car Conradli a encore toujours des mains qui ressemblent aux tiennes et des fois dans un de ses gestes, il me semble te voir faisant le même geste avec tes mains. Et ses mains à lui, déjà maintenant, sont … toujours sales ! Je ne sais pas comment il fait, pourtant je les lui lave plusieurs fois par jour (aussi pour mon plaisir).
Mamali, si tu n’as pas peur de faire le voyage seule jusqu’ici et si la situation et les conditions le permettent, alors tu seras plus que la bienvenue ! Et Padreli, tu ne veux pas venir avec ? Ce serait trop beau, je n’ose pas y penser ! j’aimerais tant que vous puissiez connaître le pays où nous vivons, le pays qui est devenu notre deuxième patrie. Il est beau, vous savez !
Voilà, je vais m’arrêter. Ce Boili n’est pas encore rentré et probablement qu’il ne rentrera pas avant demain matin, quand ils s’y mettent ces hommes … ! Je vais donc aller me coucher sans l’attendre.

Dimanche 22 décembre 1940
C’est affreux, cette lettre est restée en plan jusqu’à présent. J’ai vraiment honte. Pour reprendre ma lettre où je l’ai laissée, je vous dirai que ce soir-là Boili est rentré à 2 ½ heures du matin, me racontant 20 fois la même histoire et m’assurant qu’il n’avait bu que deux choppes !!!
Les derniers 15 jours à Bandoeng ont très vite passé. J’ai été en ville plusieurs fois avec Ir, et aussi Huib ten Cate, et un soir nous sommes sortis avec Ir et Bernard et nous avons dansé jusque tard dans la nuit. Nous avons aussi été à une conférence donnée par un officier venu de Londres, où il s’était réfugié après la capitulation de la Hollande. Sa conférence a soulevé bien des émotions !
Puis le jour du départ est arrivé, le 15 décembre. Comme c’était justement la fête de Boili, je tenais beaucoup à rentrer avec lui en auto pour être ensemble. J’ai demandé au médecin qui a autorisé à prendre Schnucksibol en auto sans autre, et le matin à 6 heures, nous nous sommes levés pour partir. Sur le banc arrière j’avais fait un bon lit pour Schnucksi, en employant tes deux couvre-pieds. Aussi il a dormi tout le long il ne s’est réveillé que sur le sommet du col (Puncak Pass) quand nous avons nous-mêmes pris une tasse de thé au restaurant là. J’en ai profité pour chauffer sa bouillie que j’avais prise avec moi dans une casserole. Après nous avons
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