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Batavia
5 janvier 1941
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Il y a un
avion spécial qui part demain dans la journée et je me dépêche de vous donner
de nos nouvelles. Je ne peux pas joindre de photos dans cette lettre, car le port est très cher. Des photos
partiront par un prochain courrier.
Depuis le
31 décembre, Oscar est au lit avec la « fièvre de 5 jours », c’est
une sorte de malaria donnée par un moustique aussi, mais pas la vraie malaria.
On a généralement de la fièvre pendant 5 jours, et puis on a des taches rouges
par tout le corps, comme pendant la rougeole. Ce n’est pas dangereux, mais il
faut être très prudent et surtout ne pas se lever trop vite. Il ne faut donc
pas vous faire du souci, et puis je le soigne bien, quoique je ne le gâte plus
comme dans le temps, car maintenant Conradli prend beaucoup de mon temps.
Mes chers,
j’espère que vous aussi vous avez passé un bon Noël et bien commencé la
nouvelle année.
Quant à
nous, nous avons passé un très gentil et heureux
Noël, tellement heureux que j’en ai presque du remord quand je pense à tous
les malheureux en Europe. Et pourtant nous n’avons rien fait de spécial. La
veille de Noël, après souper, nous avons commencé de garnir l’arbre Oscar et
moi, car cette année-ci l’arbre devait être spécialement joli pour Conrad. Le
matin de Noël nous nous sommes souhaité un heureux et joyeux Noël au lit les
trois, puis nous avons donné son cadeau à Conradli : une boîte de blocs de
bois bien colorés. Le plaisir qu’il a eu dans son box ! Son mot ce jour-là
a été : happy, happy, happy, alors depuis lors nous aimons l’appeler
ainsi. Après déjeuner à une table au décor de Noël, nous avons continué de
décorer l’arbre et la chambre. Nous étions justement prêts quand les Fraay sont venus nous souhaiter un
joyeux Noël et nous dire adieu, car ils partaient pour Bandoeng en vacances. A
midi nous avons eu un petit lunch de différents légumes en salade, puis l’après
midi nous avons été faire un petit tour en auto et souhaité le bon Noël à
différentes connaissances. En rentrant, j’ai vite donné la bouteille à Conradli
et pendant que je l’habillais pour la nuit, Oscar allumait l’arbre.
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Noël 1940 |
Une fois
qu’il était prêt, je suis arrivée avec Conradli et nous étions tellement
curieux de voir l’impression que cela lui ferait. Mais non, il n’a rien dit et
pas montré spécialement du plaisir, il regardait seulement et essayait
d’empoigner les bougies, mais tout son intérêt et une immense tendresse se sont
concentrés sur un petit pingouin qu’Oscar et moi avions été acheter la veille.
Oscar a joué des chants de Noël puis il a donné la bouteille à son fils et nous
l’avons mis au lit.
Nous nous
sommes mis à table les deux à la lumière des bougies. J’avais un menu très
simple : une oie farcie de marrons, de la compote et un peu de pommes de
terre , puis des fraises, avec de la crème fouettée pour Oscar et sans crème
pour moi, car cela aurait été trop gras après l’oie. Nous avons bu à votre
santé avec un petit vin d’Australie, et voilà. Etant assis sous l’arbre, j’ai
lu l’histoire de Noël dans l’évangile de St Mathieu puis quelques psaumes puis
Oscar a joué pour moi. Nous nous sentions intensément heureux par l’immense
harmonie qui était en nous et autour de nous dans notre home. Vers 10 heures,
nous avons encore été faire un tour en auto pour jouir de la nuit de Noël, et
aussi en souvenir de notre première nuit de Noël passée ici aux Indes, quand
nous venions d’apprendre la mort de Linette et que nous nous sommes promenés
comme deux poussins perdus sur la
grande route de Keboemen.
Le second
jour de Noël nous avons passé la soirée chez Frank et Go van der Stok ensemble
avec d’autres jeunes gens, là aussi il a fait beau.
Le jour de
Sylvestre Oscar n’a donc pas été au bureau et vers le soir j’ai eu un téléphone
de mr. van Mastwyck disant qu’il viendrait vite 5 minutes avant d’aller passer
la soirée chez des amis. Vers 8 heures il arrive et nous annonce que nous
avions une augmentation de Fl. 25.-
, je lui ai presque sauté au cou, c’était une si bonne nouvelle. Une fois qu’il
était loin, nous avons décidé de boire un bon schluck pour fêter la nouvelle,
et j’ai vite téléphoné à notre épicerie de nous envoyer du champagne. Des trois
bouteilles au choix, dont une Veuve Cliquot, nous avons choisi la meilleur
marché ( !). Nous avons cérémonieusement mis la bouteille au frigidaire.
En attendant minuit, nous avons joué aux cartes, écouté la radio puis vers 11 ½
heures, les gens ont commencé de lâcher les feux d’artifice et Conradli s’est
réveillé. Alors nous n’avons pas pu résister au plaisir de le prendre vers nous
et tous les trois installés dans le grand lit nous avons salué la nouvelle
année, pensé à vous et bu à votre santé. Le jour de Nouvel An a passé
tranquillement, dans l’après midi j’ai été promener avec Conradli. Il est tordant,
toujours à genoux dans sa poussette tourné en avant il regarde tout ce qui
arrive et nous croise et des fois il parle aux gens qui passent Il a aussi
beaucoup de plaisir aux arbres, alors il lève ses petits bras et fait :
hééééhéééhééé ! Il s’occupe de tout ce qui se passe autour de lui, il est
déjà tellement développé c’est fou.
…
J’ai déjà dit
à Boili, si grand-papa et grand-maman se chamaillent déjà maintenant pour avoir
Conradli, il ne nous restera rien d’autre à faire que de lui donner un petit
frère ou une petite sœur, afin que vous en ayez chacun un et que l’église reste
au milieu du village !!! Ne t’en fais pas, il n’y a encore rien en vue,
mais je suis bien décidée de ne pas attendre trop longtemps pour un no.2, si
les évènements ne nous permettent encore longtemps pas de venir en Europe.
Et voilà
mes bien chers, je dois vous quitter pour cette fois. Que cette première lettre
dans la nouvelle année vous apporte à tous tous les sentiments affectueux dont
mon cœur est rempli…
J’ai reçu
une longue lettre de Koo Koningsberger qui a reçu la tienne, Mamms, avec celle
de sa mère. Ils en sont si heureux, merci, merci.
Au revoir
mes bien chers. Votre Ge…
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