Batavia
18 mars 1941
227
Ma Rötteli
et mes bien chers Charlous,
Il y a
aujourd’hui ou demain un mois déjà que Papali vous a quitté. Mes chers, combien
je pense à vous. Au vide que Papa a laissé, à votre chagrin et aux regrets qui
nous assaillent. Je mesure votre chagrin au mien et sais aussi tous les moments
par lesquels vous passez, car il en est de même avec moi. Des fois, je ne peux
pas me figurer que Papa n’est plus, même en ce moment, il me semble que j’écris
cette lettre aussi pour lui. Puis il vient des moments qui sont terribles,
pleins de regrets, de mal du pays et surtout d’ennui après vous tous, de peur
et d’appréhension au sujet de votre bien être et cela fait si mal de ne plus
avoir la perspective de revoir papa, mon cher macaroni, mon Padre. Il me semble
que je ne l’ai pas assez aimé, du moins que je ne lui ai pas assez fait sentir
combien je l’aimais, de ne pas lui avoir fait assez de plaisir, de ne pas lui
avoir assez écrit depuis que je suis loin, oh, et tant de ces regrets. Et cette
impuissance d’aller vous rejoindre, de vous serrez dans mes bras, de m’unir à
vous dans notre douleur.
Heureusement
que dans ces moments-là Boili est près de moi avec sa grande bonté, et
m’entoure et me console. Lui aussi souffre de ne plus revoir Papali. Quelques
jours avant de recevoir le télégramme, il a encore raconté à quelqu’un combien
il se réjouissait d’aller d’une pinte à l’autre avec son beau-père et come ils
iront pêcher en faisant le tour du lac en auto !!!
Mes chers,
je le sais, les regrets ne nous mènent à rien, aussi je sais me reprendre, je
sais être courageuse et avoir confiance. Si je vous ai raconté mon chagrin,
c’est parce que je vous raconte tout, selon ma promesse. Ce chagrin me prend
seulement par moments, et je vous avouerai aussi que ces moments s’espacent de
plus en plus.
Je vous ai
déjà écrit que le premier mars nous avons déménagé.
J’ai eu beaucoup à faire et cela m’a fait du bien, je ne pouvais pas
m’abandonner à mon chagrin.
Tout le
monde a été très bon pour moi et m’a entourée, j’ai vraiment senti que j’avais
des amis ici. Go et Frank van der Stok nous ont fait faire la connaissance d’un
monsieur qui est d’Oxford depuis bien longtemps, et nous avons assisté à une
house party donnée pour nous.
Je
t’accuse réception de ta lettre 252 et aussi 251, commencée par toi puis finie
par Padreli. Sa dernière lettre. Cela
m’a fait du bien de la recevoir, 8 jours après la nouvelle du télégramme. J’ai
l’impression qu’il m’a écrit depuis le
ciel, mon cher papali.
Depuis que
j’ai reçu cette lettre, j’ai souvent l’impression que ce n’est pas vrai, que
papali ne nous a pas quittés, et que tout est comme avant à Bienne et à Sutz.
Souvent je ne puis pas réaliser que je ne le reverrai plus. Il y a une chose
dont je suis bien contente en tout cas, c’est que papali ait été appelé ainsi
subitement, sans maladie. Vous comprenez bien combien j’attends la lettre qui
m’expliquera tout.
Merci
aussi de votre deuxième télégramme pour la fête de Conradli. Merci pour toutes
les explications et comme je suis contente que l’affaire de Charlot soit sur
pied et combien je prie qu’il ait du succès ou du moins qu’elle soit pour son
bien. Mes chers Charlous, je pense tant et tant à vous, que Dieu vous guide et
vous donne la force et la sagesse pour accomplir la tâche et résoudre les
problèmes qui se présentent. Mes Charlous, bien 20 fois par jour je suis avec
vous en pensées.
J’ai aussi
bien reçu les lettres que tu m’as transmises des Koningsberger, de Ans, les
lettres de papa W. et de Boy que tu as copiées. Merci aussi des photos du
Chalet, de toi et aussi encore une photo de Padre. Il y a quelques temps j’ai
aussi reçu les lettres de Kitty et des van der Mark que j’ai transmises à leurs
destinataires. Je te répète ceci au cas où ma lettre précédente ne te serait
pas encore parvenue.
Je
regrette tellement que tu n’aies plus eu de nos nouvelles depuis le mois
d’octobre. Je ne comprends pas pourquoi mes lettres ne sont pas arrivées. Il
est vrai que dans les temps où nous vivons, il ne faut pas trop chercher à
comprendre, mais sache, que nous écrivons régulièrement au moins une fois par
mois. Le plus souvent, j’écris tous les 15 jours, ou j’envoie des photos si je n‘ai
pas le temps d’écrire, mais d’une manière ou d’une autre, je fais toujours en
sorte que vous ayez un signe de nous. Et si jamais moi j’étais empêchée
d’écrire, Oscar le ferait pour moi, car nous savons trop l’importance d’envoyer
régulièrement de nos nouvelles en ces temps-ci. Si donc tu es de nouveau
longtemps sans nouvelles, tu sauras que la raison est à chercher dans les
difficultés de correspondre.
Dans une
lettre précédente je vous ai tout expliqué concernant mes dents. J’attends avec
impatience votre réponse si vous avez d’autres propositions à me faire que
celle que je vous ai écrite, car je veux aller au dentiste, il m’en coûte de me
montrer avec des dents pareilles. Veuillez bien lire ma lettre et me répondre
en conséquence, svpl.
Hier soir
j’ai entendu la Suisse à la radio. C’était très heimelig Notre radio à nous,
celui que nous avions reçu de papa W. ne va plus maintenant, mais nous allons
en acheter un autre et alors j’écouterai l’émission suisse régulièrement 2 fois
par semaine. Il y a aussi des gens qui parlent à leurs parents qui sont ici,
mais je pense que ce serait trop d’émotion de faire une chose pareille C’est
dommage que nous ne pouvions pas vous parler d’ici, car je mettrais Conradli au
microphone.
Me voici
arrivée au sujet : Conradli. Il grandit, c’est fou. Il a 5 dents
maintenant que je brosse tous les soirs avec une brosse miniature ! Il
marche comme Charlie Chaplin. Il grimpe sur les chaises et il est déjà tombé
sur sa tête, mais il ne pleure pas. Oh, il n’en a pas le temps, il a tant à
faire à tirer toutes les nappes des tables, à déchirer tous les livres qu’il
peut attraper et à fourrer ses doigts partout où il ne devrait pas.
![]() |
le djongos Kaidi et Conradli |
Notre
maison ici est un peu plus petite que celle de la Palmenlaan, mais tellement
plus gentille et agréable. J’ai un gentil jardinet que je m’occupe à remplir de
fleurs en ce moment. Dans toutes les maisons alentour il y a des enfants, dans
trois d’entre elles, les enfants me semblent avoir l’âge de Conradli. Le matin
quand tous ces babies sont dans leur box, ils s’appellent et se parlent, c’est
trop joli à écouter. Conradli, lui domine toute la rue avec sa voix, c’est fou
ce qu’elle est forte. Vous devriez l’entendre parler, c’est tellement drôle que
les gens s’arrêtent des fois. Il faudra bien qu’avec le temps je fasse
connaissance avec toutes ces mamans qui sont mes voisines, vu que les enfants
pourront jouer ensemble. Oscar est aussi tellement content que nous ayons
déménagé, et puis last but not least, c’est le prix du loyer qui forme une
économie qui n‘est pas à dédaigner. La meilleure preuve que notre maison à la Palmenlaan
était trop chère pour ce qu’elle était, c’est qu’elle n’est pas encore louée à
l’heure qu’il est, voilà deux mois qu’elle est vide, et la demande de logements
devient encore toujours plus grande. Tout le monde qui vient ici me dit comme
j’ai bien fait de déménager, aussi madame van Mastwyck qui d’abord ne semblait
pas m’approuver.
Tu me
demandes de nouveau si j’ai bien reçu les baisers que tu m’as envoyés !
Mais bien sûr Mamms, j’en ai reçu deux et j’en ai rendu deux !
Pour en
revenir à Conradli, il a été très gâté pour sa fête. De Go il a reçu une
cuillère en argent avec laquelle il essaie de manger seul, et tu devrais voir
comme il s’y prend déjà bien, et il ne faut pas que la maman s’en mêle, sans
quoi gare les cris ! Il est vraiment très adroit de ses mains. Depuis
quelques jours il développe une joie de vivre formidable. Il a des moments
qu’il ne sait pas où fourrer et comme exprimer toute la vie qu’il a en lui Je
le laisse seul dans son box des matinées entières, mais je vais guigner de
temps en temps sans qu’il me voie, alors par moment il fait le fou dans son
box, que moi je me tords de rire. Quand il voit un chien dans la rue, il se
baisse vite pour prendre son chien en feutre et le montre au vrai chien. Il a
de si beaux gestes des fois. Dans mon jardin j’ai trois jeunes sapins, une
sorte de cyprès comme celui près de la grotte au Chalet, alors je mets le box
là-dessous et Conradli devient brun comme un petit nègre. Il y a une chose que
je ne réussis pas encore avec lui, c’est de le mettre sur le pot. Cela il le
déteste, il aime s’amuser avec le pot il l’emploie comme tasse ( !) il y
fourre ses pattes, il le met sur sa tête, mais il ne veut pas s’asseoir dessus.
Chaque fois qu’il a fait dans ses culottes, il crie bäbä, et il est très fier,
mais il ne faut pas essayer de le faire asseoir sur son pot Je ne force pas,
j’attends de nouveau quelques semaines et puis je recommencerai l’histoire. Conradli
mange de tout maintenant. Je veux tâcher de le photographier une fois qu’il
reçoit un nouveau met à goûter. C’est tordant la bouche qu’il fait. C’est
dommage qu’on ne puisse pas toujours tout photographier mais si souvent
j’arrive trop tard.
Et
maintenant, mes chers, je vais vous quitter de nouveau. Il est déjà tard et la
lettre doit partir demain matin très tôt. Boili est allé chez monsieur Fraay
pour discuter dune affaire. Nous avons été chez eux dimanche matin, ils ont
toujours un tel plaisir à Conradli ! Pour sa fête madame v.M. lui a fait
cadeau d’un joli lièvre, elle aussi vient de temps en temps le prendre dans ses
bras ! Ils sont toujours très gentils pour nous, et maintenant nous
habitons très près de chez eux. Quand il a appris la nouvelle de Papali, il est
immédiatement venu chez nous, malgré qu’il avait un tas d’autres engagements.
Ne vous
faites aucun souci pour moi. Tout va bien ici, seulement je ne peux pas donner
de détails. Le coût de la vie a augmenté, mais c’est cela le seul signe des
temps actuels, vous voyez donc que nous ne sommes pas à plaindre.
Si tu
écris à papa W. veuille lui dire
que nous sommes en correspondance avec Coen et que nous lui envoyons ce dont il
a besoin. Nous attendons également un signe de papa W. pour lui écrire, car
nous ne savons pas s’il aime recevoir des lettres de nous ou pas. Nous
attendons donc qu’il nous écrive d’abord.
Nous vous
embrassons de tout cœur tous les trois.
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