mardi 22 août 2017




Batavia

18 mars 1941
227


Ma Rötteli et mes bien chers Charlous,
Il y a aujourd’hui ou demain un mois déjà que Papali vous a quitté. Mes chers, combien je pense à vous. Au vide que Papa a laissé, à votre chagrin et aux regrets qui nous assaillent. Je mesure votre chagrin au mien et sais aussi tous les moments par lesquels vous passez, car il en est de même avec moi. Des fois, je ne peux pas me figurer que Papa n’est plus, même en ce moment, il me semble que j’écris cette lettre aussi pour lui. Puis il vient des moments qui sont terribles, pleins de regrets, de mal du pays et surtout d’ennui après vous tous, de peur et d’appréhension au sujet de votre bien être et cela fait si mal de ne plus avoir la perspective de revoir papa, mon cher macaroni, mon Padre. Il me semble que je ne l’ai pas assez aimé, du moins que je ne lui ai pas assez fait sentir combien je l’aimais, de ne pas lui avoir fait assez de plaisir, de ne pas lui avoir assez écrit depuis que je suis loin, oh, et tant de ces regrets. Et cette impuissance d’aller vous rejoindre, de vous serrez dans mes bras, de m’unir à vous dans notre douleur.
Heureusement que dans ces moments-là Boili est près de moi avec sa grande bonté, et m’entoure et me console. Lui aussi souffre de ne plus revoir Papali. Quelques jours avant de recevoir le télégramme, il a encore raconté à quelqu’un combien il se réjouissait d’aller d’une pinte à l’autre avec son beau-père et come ils iront pêcher en faisant le tour du lac en auto !!!
Mes chers, je le sais, les regrets ne nous mènent à rien, aussi je sais me reprendre, je sais être courageuse et avoir confiance. Si je vous ai raconté mon chagrin, c’est parce que je vous raconte tout, selon ma promesse. Ce chagrin me prend seulement par moments, et je vous avouerai aussi que ces moments s’espacent de plus en plus.
Je vous ai déjà écrit que le premier mars nous avons déménagé. J’ai eu beaucoup à faire et cela m’a fait du bien, je ne pouvais pas m’abandonner à mon chagrin.
Tout le monde a été très bon pour moi et m’a entourée, j’ai vraiment senti que j’avais des amis ici. Go et Frank van der Stok nous ont fait faire la connaissance d’un monsieur qui est d’Oxford depuis bien longtemps, et nous avons assisté à une house party donnée pour nous.
Je t’accuse réception de ta lettre 252 et aussi 251, commencée par toi puis finie par Padreli. Sa dernière lettre. Cela m’a fait du bien de la recevoir, 8 jours après la nouvelle du télégramme. J’ai l’impression qu’il m’a écrit depuis le ciel, mon cher papali.
Depuis que j’ai reçu cette lettre, j’ai souvent l’impression que ce n’est pas vrai, que papali ne nous a pas quittés, et que tout est comme avant à Bienne et à Sutz. Souvent je ne puis pas réaliser que je ne le reverrai plus. Il y a une chose dont je suis bien contente en tout cas, c’est que papali ait été appelé ainsi subitement, sans maladie. Vous comprenez bien combien j’attends la lettre qui m’expliquera tout.
Merci aussi de votre deuxième télégramme pour la fête de Conradli. Merci pour toutes les explications et comme je suis contente que l’affaire de Charlot soit sur pied et combien je prie qu’il ait du succès ou du moins qu’elle soit pour son bien. Mes chers Charlous, je pense tant et tant à vous, que Dieu vous guide et vous donne la force et la sagesse pour accomplir la tâche et résoudre les problèmes qui se présentent. Mes Charlous, bien 20 fois par jour je suis avec vous en pensées.
J’ai aussi bien reçu les lettres que tu m’as transmises des Koningsberger, de Ans, les lettres de papa W. et de Boy que tu as copiées. Merci aussi des photos du Chalet, de toi et aussi encore une photo de Padre. Il y a quelques temps j’ai aussi reçu les lettres de Kitty et des van der Mark que j’ai transmises à leurs destinataires. Je te répète ceci au cas où ma lettre précédente ne te serait pas encore parvenue.
Je regrette tellement que tu n’aies plus eu de nos nouvelles depuis le mois d’octobre. Je ne comprends pas pourquoi mes lettres ne sont pas arrivées. Il est vrai que dans les temps où nous vivons, il ne faut pas trop chercher à comprendre, mais sache, que nous écrivons régulièrement au moins une fois par mois. Le plus souvent, j’écris tous les 15 jours, ou j’envoie des photos si je n‘ai pas le temps d’écrire, mais d’une manière ou d’une autre, je fais toujours en sorte que vous ayez un signe de nous. Et si jamais moi j’étais empêchée d’écrire, Oscar le ferait pour moi, car nous savons trop l’importance d’envoyer régulièrement de nos nouvelles en ces temps-ci. Si donc tu es de nouveau longtemps sans nouvelles, tu sauras que la raison est à chercher dans les difficultés de correspondre.
Dans une lettre précédente je vous ai tout expliqué concernant mes dents. J’attends avec impatience votre réponse si vous avez d’autres propositions à me faire que celle que je vous ai écrite, car je veux aller au dentiste, il m’en coûte de me montrer avec des dents pareilles. Veuillez bien lire ma lettre et me répondre en conséquence, svpl. 
Hier soir j’ai entendu la Suisse à la radio. C’était très heimelig Notre radio à nous, celui que nous avions reçu de papa W. ne va plus maintenant, mais nous allons en acheter un autre et alors j’écouterai l’émission suisse régulièrement 2 fois par semaine. Il y a aussi des gens qui parlent à leurs parents qui sont ici, mais je pense que ce serait trop d’émotion de faire une chose pareille C’est dommage que nous ne pouvions pas vous parler d’ici, car je mettrais Conradli au microphone.
Me voici arrivée au sujet : Conradli. Il grandit, c’est fou. Il a 5 dents maintenant que je brosse tous les soirs avec une brosse miniature ! Il marche comme Charlie Chaplin. Il grimpe sur les chaises et il est déjà tombé sur sa tête, mais il ne pleure pas. Oh, il n’en a pas le temps, il a tant à faire à tirer toutes les nappes des tables, à déchirer tous les livres qu’il peut attraper et à fourrer ses doigts partout où il ne devrait pas.
le djongos Kaidi et Conradli

Notre maison ici est un peu plus petite que celle de la Palmenlaan, mais tellement plus gentille et agréable. J’ai un gentil jardinet que je m’occupe à remplir de fleurs en ce moment. Dans toutes les maisons alentour il y a des enfants, dans trois d’entre elles, les enfants me semblent avoir l’âge de Conradli. Le matin quand tous ces babies sont dans leur box, ils s’appellent et se parlent, c’est trop joli à écouter. Conradli, lui domine toute la rue avec sa voix, c’est fou ce qu’elle est forte. Vous devriez l’entendre parler, c’est tellement drôle que les gens s’arrêtent des fois. Il faudra bien qu’avec le temps je fasse connaissance avec toutes ces mamans qui sont mes voisines, vu que les enfants pourront jouer ensemble. Oscar est aussi tellement content que nous ayons déménagé, et puis last but not least, c’est le prix du loyer qui forme une économie qui n‘est pas à dédaigner. La meilleure preuve que notre maison à la Palmenlaan était trop chère pour ce qu’elle était, c’est qu’elle n’est pas encore louée à l’heure qu’il est, voilà deux mois qu’elle est vide, et la demande de logements devient encore toujours plus grande. Tout le monde qui vient ici me dit comme j’ai bien fait de déménager, aussi madame van Mastwyck qui d’abord ne semblait pas m’approuver.
Tu me demandes de nouveau si j’ai bien reçu les baisers que tu m’as envoyés ! Mais bien sûr Mamms, j’en ai reçu deux et j’en  ai rendu deux !
Pour en revenir à Conradli, il a été très gâté pour sa fête. De Go il a reçu une cuillère en argent avec laquelle il essaie de manger seul, et tu devrais voir comme il s’y prend déjà bien, et il ne faut pas que la maman s’en mêle, sans quoi gare les cris ! Il est vraiment très adroit de ses mains. Depuis quelques jours il développe une joie de vivre formidable. Il a des moments qu’il ne sait pas où fourrer et comme exprimer toute la vie qu’il a en lui Je le laisse seul dans son box des matinées entières, mais je vais guigner de temps en temps sans qu’il me voie, alors par moment il fait le fou dans son box, que moi je me tords de rire. Quand il voit un chien dans la rue, il se baisse vite pour prendre son chien en feutre et le montre au vrai chien. Il a de si beaux gestes des fois. Dans mon jardin j’ai trois jeunes sapins, une sorte de cyprès comme celui près de la grotte au Chalet, alors je mets le box là-dessous et Conradli devient brun comme un petit nègre. Il y a une chose que je ne réussis pas encore avec lui, c’est de le mettre sur le pot. Cela il le déteste, il aime s’amuser avec le pot il l’emploie comme tasse ( !) il y fourre ses pattes, il le met sur sa tête, mais il ne veut pas s’asseoir dessus. Chaque fois qu’il a fait dans ses culottes, il crie bäbä, et il est très fier, mais il ne faut pas essayer de le faire asseoir sur son pot Je ne force pas, j’attends de nouveau quelques semaines et puis je recommencerai l’histoire. Conradli mange de tout maintenant. Je veux tâcher de le photographier une fois qu’il reçoit un nouveau met à goûter. C’est tordant la bouche qu’il fait. C’est dommage qu’on ne puisse pas toujours tout photographier mais si souvent j’arrive trop tard.
Et maintenant, mes chers, je vais vous quitter de nouveau. Il est déjà tard et la lettre doit partir demain matin très tôt. Boili est allé chez monsieur Fraay pour discuter dune affaire. Nous avons été chez eux dimanche matin, ils ont toujours un tel plaisir à Conradli ! Pour sa fête madame v.M. lui a fait cadeau d’un joli lièvre, elle aussi vient de temps en temps le prendre dans ses bras ! Ils sont toujours très gentils pour nous, et maintenant nous habitons très près de chez eux. Quand il a appris la nouvelle de Papali, il est immédiatement venu chez nous, malgré qu’il avait un tas d’autres engagements.
Ne vous faites aucun souci pour moi. Tout va bien ici, seulement je ne peux pas donner de détails. Le coût de la vie a augmenté, mais c’est cela le seul signe des temps actuels, vous voyez donc que nous ne sommes pas à plaindre.
Si tu écris à papa W.  veuille lui dire que nous sommes en correspondance avec Coen et que nous lui envoyons ce dont il a besoin. Nous attendons également un signe de papa W. pour lui écrire, car nous ne savons pas s’il aime recevoir des lettres de nous ou pas. Nous attendons donc qu’il nous écrive d’abord.
Nous vous embrassons de tout cœur tous les trois.




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