Batavia
13 avril 1941
229
En ce
matin de Pâques il faut que je m’entretienne un peu avec vous. Je viens de lire
dans le journal que nos lettres ne
peuvent être envoyées que par l’Amérique
maintenant, je ne sais donc pas quand je pourrai la mettre à la poste, mais
cela ne fait rien, il faut que je vous dise aujourd’hui spécialement combien je
pense à vous et à notre Papali.
Mamali,
Charlot, j’ai reçu votre lettre 253.
Merci de m’avoir écrit si longuement, la chose que j’ai redoutée depuis le
commencement est donc arrivée, Papali t’a quittée au moment où tu étais seule,
et malade encore. Oh je réalise enfin le choc, la douleur que tu as dû
subir ! J’avais tant espéré qu’un des frères aurait été à la maison à ce
moment-là, mais non, tu as dû avoir cette douleur ainsi, complète. Je ne puis
cesser de prier pour toi, le jour, la nuit, à tout moment, car mes pensées sont
plus souvent avec vous qu’ici depuis que j’ai reçu vos lettres. Et maintenant
en ces jours de Pâques la présence de Padre doit vous manquer encore plus, je
le réalise si bien depuis que j’ai vos lettres. Dans mes lettres précédentes je
vous avais écrit que j’ai encore reçu une lettre de lui et cela me faisait
l’effet qu’il vivait encore, mais en même temps qu’il m’écrivait depuis le
ciel. J’en étais arrivée ainsi à tout mêler, et la réalité, et mes souvenirs,
et mon chagrin et mes désirs quant au futur. C’est une chose que vous ne pouvez
peut être pas bien vous représenter, il faut y passer pour le comprendre. Vos
lettres ont remis les choses en place maintenant, je n’ai plus l’illusion de
revoir Papali quand je reviendrai, car je sais comment il vous a quitté. Oh
Mamali, tu dois être courageuse, je le sais et tu l’écris aussi toi-même.
Ce qui me
chicane, c’est ta santé, j’espère tellement que cette grippe soit passée et que
tes forces reviennent vite. Et moi qui ne puis pas être à tes côtés pour
t’aider, mais je prie pour toi, et Boili aussi.
Charlot,
merci, merci de ta longue lettre aussi. Tu m’as exactement écrit tous les
détails que je désirais tant savoir. Par ta lettre j’ai de nouveau senti
profondément combien proche nous restons l’un de l’autre, malgré toutes ces
années de séparation. Oui, je comprends ce que c’est pour toi de ne pas pu
avoir procurer ce plaisir à Papali avec la réussite de ton affaire. Pourtant
dans sa dernière lettre il ne montre que de l’impatience, pas de doute et il
finit par son optimisme habituel. Il était en effet tourmenté à cause des affaires de la Milex Elem, rendues si
difficiles par la situation actuelle.
16 avril
Oui, cette
lettre est restée en plan. Les jours ont passé sans que je trouve un moment
tranquille pour écrire et maintenant le départ du courrier est annoncé pour
demain et il faut de nouveau me dépêcher de la finir.
J’ai de
nouveau relu ta lettre, Charlot, mais je n’y reviendrai pas, bien que j’aurais
à vous écrire longuement au sujet de notre Padreli. J’en suis presque arrivée à
être contente pour lui et je suis certainement reconnaissante qu’il ait pu nous
quitter ainsi, sans souffrir. C’est comme tu dis si bien, Charlot, Padreli nous
a quitté ou plutôt Vous a quitté comme quelqu’un dont la tâche ici-bas était
terminée. J‘accepte le fait, mes chers, vous n’avez donc pas à vous faire du
souci pour moi.C’est dur encore, mais je sais me résigner. Je me fais bien du
souci pour maman, je ne vous le cache pas, mais j’espère aussi que mes prières
pour elle et pour vous garçons vous aideront. Ah si je pouvais dire à Mamali
maintenant de venir ici pour qu’elle sente moins l’absence de son compagnon !
Si au moins mes lettres vous parvenaient toutes ! Mais j’en doute. Bien 20
fois par jour je me demande ce que fait Mamali, comment elle supporte de vivre
seule à la maison où tout, à tout moment, lui rappelle Papali. S’il y a moyen
de la faire partir, garçons, vous le ferez, n’est-ce pas ? Un changement
de milieu jusqu’à ce que sa santé soit remise et que ses nerfs ébranlés par la
douleur se remettent aussi. Je t’admire tant, même dans ta grande douleur, tu
sais être réconfortante alors que c’est toi qui mérite tant d’être réconfortée.
Quelques
jours avant sa mort, j’ai encore acheté un petit tableau tissé représentant un
pêcheur chinois et je voulais essayer de l’envoyer à Padre. Pendant tout le
mois de février j’ai toujours eu Padre à l’esprit, tellement que je m’étais
même demandée pourquoi je devais tant penser à lui, à lui spécialement. Est-ce
que je lui ai souvent fait de la peine avec mes lettres écrites crûment ?
Quand vous pourrez, vous m’écrirez encore tout ce que vous savez de lui, et
Loulou aussi tu m’écriras car tu as beaucoup le style de Papali en m’écrivant.
Je vous ai
écrit le 4 avril une lettre à la main et contenant beaucoup de photos de
Conradli. Lettre no 228.
Maintenant
les fêtes de Pâques ont passé. J’ai été à l’église le soir de Pâques, Oscar
avait de nouveau un de ces rhumes, et n’a pas pu m’accompagner. Le Vendredi
Saint nous sommes partis de bon matin faire un déjeuner pic-nic dont j’inclus
des photos dans cette lettre. Nous étions avec les van der Stok et nous sommes
arrêtés sur un plateau, alors en sortant de voiture où il avait dormi depuis le
départ de la maison, Conrad-Louis a fait quelques pas seul et s’est mis à
haranguer la grande étendue qu’il voyait devant lui. C’était si beau, ce petit
bout d’homme dans cette vaste nature. Une vraie image de Pâques,
d’espérance ! Il devient tellement grand garçon ! Du reste, vous
pouvez vous en rendre compte par les photos. La vie pour nous trois pour le
moment est simple et heureuse. La santé est bonne, Conradli croît et se
développe bien. Oscar est toujours très occupé et moi aussi. Conradli croît
tellement vite qu’il faut toujours faire de nouveaux petits vêtements de sorte
que je ne finis jamais de coudre. Le soir nous allons quelques fois au cinéma,
et avons aussi du monde de temps en temps, ou nous rendons visite à nos
connaissances. Depuis le mois de mars je suis un cours de cuisine, deux heures de leçons tous les lundis matins et
pendant la semaine ce pauvre Boilli doit goûter à tout ce que j’ai appris à
faire.
18 avril
Il ne me reste
que le temps de vous souhaiter à tous et chacun all the best et surtout une
bonne santé mes bien chers... Dans vos prochaines lettres dites-moi où repose
Papali. A Sutz ? J’ai toujours sa photo près de mon lit et j’ai tant de
peine à me représenter qu’il n’existe plus ainsi, souriant et bon…
Tous les vœux de Boili et un bon baiser
de notre Conrad-Louis.
J’ai dû
découper ainsi les photos à cause de la
censure qui, j’espère, les laissera passer ainsi. J’en mets 10 dans cette
lettre, qui porte le no 229. Vous m’en accuserez réception, pas ?
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