vendredi 25 août 2017




Batavia
13 avril 1941
229


En ce matin de Pâques il faut que je m’entretienne un peu avec vous. Je viens de lire dans le journal que nos lettres ne peuvent être envoyées que par l’Amérique maintenant, je ne sais donc pas quand je pourrai la mettre à la poste, mais cela ne fait rien, il faut que je vous dise aujourd’hui spécialement combien je pense à vous et à notre Papali.
Mamali, Charlot, j’ai reçu votre lettre 253. Merci de m’avoir écrit si longuement, la chose que j’ai redoutée depuis le commencement est donc arrivée, Papali t’a quittée au moment où tu étais seule, et malade encore. Oh je réalise enfin le choc, la douleur que tu as dû subir ! J’avais tant espéré qu’un des frères aurait été à la maison à ce moment-là, mais non, tu as dû avoir cette douleur ainsi, complète. Je ne puis cesser de prier pour toi, le jour, la nuit, à tout moment, car mes pensées sont plus souvent avec vous qu’ici depuis que j’ai reçu vos lettres. Et maintenant en ces jours de Pâques la présence de Padre doit vous manquer encore plus, je le réalise si bien depuis que j’ai vos lettres. Dans mes lettres précédentes je vous avais écrit que j’ai encore reçu une lettre de lui et cela me faisait l’effet qu’il vivait encore, mais en même temps qu’il m’écrivait depuis le ciel. J’en étais arrivée ainsi à tout mêler, et la réalité, et mes souvenirs, et mon chagrin et mes désirs quant au futur. C’est une chose que vous ne pouvez peut être pas bien vous représenter, il faut y passer pour le comprendre. Vos lettres ont remis les choses en place maintenant, je n’ai plus l’illusion de revoir Papali quand je reviendrai, car je sais comment il vous a quitté. Oh Mamali, tu dois être courageuse, je le sais et tu l’écris aussi toi-même.
Ce qui me chicane, c’est ta santé, j’espère tellement que cette grippe soit passée et que tes forces reviennent vite. Et moi qui ne puis pas être à tes côtés pour t’aider, mais je prie pour toi, et Boili aussi.
Charlot, merci, merci de ta longue lettre aussi. Tu m’as exactement écrit tous les détails que je désirais tant savoir. Par ta lettre j’ai de nouveau senti profondément combien proche nous restons l’un de l’autre, malgré toutes ces années de séparation. Oui, je comprends ce que c’est pour toi de ne pas pu avoir procurer ce plaisir à Papali avec la réussite de ton affaire. Pourtant dans sa dernière lettre il ne montre que de l’impatience, pas de doute et il finit par son optimisme habituel. Il était en effet tourmenté à cause des affaires de la Milex Elem, rendues si difficiles par la situation actuelle.
16 avril
Oui, cette lettre est restée en plan. Les jours ont passé sans que je trouve un moment tranquille pour écrire et maintenant le départ du courrier est annoncé pour demain et il faut de nouveau me dépêcher de la finir.
J’ai de nouveau relu ta lettre, Charlot, mais je n’y reviendrai pas, bien que j’aurais à vous écrire longuement au sujet de notre Padreli. J’en suis presque arrivée à être contente pour lui et je suis certainement reconnaissante qu’il ait pu nous quitter ainsi, sans souffrir. C’est comme tu dis si bien, Charlot, Padreli nous a quitté ou plutôt Vous a quitté comme quelqu’un dont la tâche ici-bas était terminée. J‘accepte le fait, mes chers, vous n’avez donc pas à vous faire du souci pour moi.C’est dur encore, mais je sais me résigner. Je me fais bien du souci pour maman, je ne vous le cache pas, mais j’espère aussi que mes prières pour elle et pour vous garçons vous aideront. Ah si je pouvais dire à Mamali maintenant de venir ici pour qu’elle sente moins l’absence de son compagnon ! Si au moins mes lettres vous parvenaient toutes ! Mais j’en doute. Bien 20 fois par jour je me demande ce que fait Mamali, comment elle supporte de vivre seule à la maison où tout, à tout moment, lui rappelle Papali. S’il y a moyen de la faire partir, garçons, vous le ferez, n’est-ce pas ? Un changement de milieu jusqu’à ce que sa santé soit remise et que ses nerfs ébranlés par la douleur se remettent aussi. Je t’admire tant, même dans ta grande douleur, tu sais être réconfortante alors que c’est toi qui mérite tant d’être réconfortée.
Quelques jours avant sa mort, j’ai encore acheté un petit tableau tissé représentant un pêcheur chinois et je voulais essayer de l’envoyer à Padre. Pendant tout le mois de février j’ai toujours eu Padre à l’esprit, tellement que je m’étais même demandée pourquoi je devais tant penser à lui, à lui spécialement. Est-ce que je lui ai souvent fait de la peine avec mes lettres écrites crûment ? Quand vous pourrez, vous m’écrirez encore tout ce que vous savez de lui, et Loulou aussi tu m’écriras car tu as beaucoup le style de Papali en m’écrivant.
Je vous ai écrit le 4 avril une lettre à la main et contenant beaucoup de photos de Conradli. Lettre no 228.
Maintenant les fêtes de Pâques ont passé. J’ai été à l’église le soir de Pâques, Oscar avait de nouveau un de ces rhumes, et n’a pas pu m’accompagner. Le Vendredi Saint nous sommes partis de bon matin faire un déjeuner pic-nic dont j’inclus des photos dans cette lettre. Nous étions avec les van der Stok et nous sommes arrêtés sur un plateau, alors en sortant de voiture où il avait dormi depuis le départ de la maison, Conrad-Louis a fait quelques pas seul et s’est mis à haranguer la grande étendue qu’il voyait devant lui. C’était si beau, ce petit bout d’homme dans cette vaste nature. Une vraie image de Pâques, d’espérance ! Il devient tellement grand garçon ! Du reste, vous pouvez vous en rendre compte par les photos. La vie pour nous trois pour le moment est simple et heureuse. La santé est bonne, Conradli croît et se développe bien. Oscar est toujours très occupé et moi aussi. Conradli croît tellement vite qu’il faut toujours faire de nouveaux petits vêtements de sorte que je ne finis jamais de coudre. Le soir nous allons quelques fois au cinéma, et avons aussi du monde de temps en temps, ou nous rendons visite à nos connaissances. Depuis le mois de mars je suis un cours de cuisine, deux heures de leçons tous les lundis matins et pendant la semaine ce pauvre Boilli doit goûter à tout ce que j’ai appris à faire.
18 avril
Il ne me reste que le temps de vous souhaiter à tous et chacun all the best et surtout une bonne santé mes bien chers... Dans vos prochaines lettres dites-moi où repose Papali. A Sutz ? J’ai toujours sa photo près de mon lit et j’ai tant de peine à me représenter qu’il n’existe plus ainsi, souriant et bon…
 Tous les vœux de Boili et un bon baiser de notre Conrad-Louis.

J’ai dû découper ainsi les photos à cause de la censure qui, j’espère, les laissera passer ainsi. J’en mets 10 dans cette lettre, qui porte le no 229. Vous m’en accuserez réception, pas ?






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