vendredi 11 août 2017




Batavia, le 20 février 1941

A la main, 226

Mes chers, Maman et Charlous

Est-ce donc bien vrai ce télégramme ? Par moments j’ai encore de la peine à le croire. Mon Padrelli, notre cher Papali, Dieu l’a béni maintenant et pris à lui.
Merci d’avoir rédigé le télégramme ainsi, cela m’a été d’un grand secours pour accepter la triste nouvelle. Vous savez bien que j’en souffre profondément tout comme vous, mais ce n’est pas l’idée, le fait que notre Papali a « rejoint le Seigneur » qui me fait tant souffrir, c’est de l’avoir perdu, d’avoir perdu son affection, sa présence ici bas, qui est cruel.
Je me réjouissais tant de le revoir, de l’entourer de mon affection, et naturellement aussi la perte d’un amour immense qui m’entourait. Mes frères, c’est une de nos racines que nous avons perdue ; même que nous sommes en plein dans la vie, que nous voguons avec nos propres voiles, je suis sûre que vous vous sentez déracinés comme moi en ce moment. Et combien vous et Maman devez souffrir encore plus du fait qu’il vous a quittés ainsi subitement. Moi, il y a 7 ans que je n’ai plus joui de sa présence et maintenant je me sens si pauvre en souvenirs, c’est amer aussi et pas moins douloureux, croyez-moi, mais la souffrance est autre.
A mon chagrin vient s’ajouter celui de ne rien pouvoir faire pour toi, d’être ici impuissante. J’avoue que ce matin en ouvrant ce télégramme, j’ai hurlé une fois que j’avais bien compris. Oscar était justement parti pour le service et je ne pouvais pas l’atteindre, j’ai prié. Maintenant je suis calme. Si notre Papali a été appelé ainsi sans souffrir, sans avoir le temps d’avoir des regrets de vous quitter, et bien je suis contente pour lui.
Je me sens bien malheureuse à l’idée de ne pas pouvoir être avec vous, mais je travaille et je prie pour apprendre à accepter cela aussi
Garçons, je vous le souhaite aussi, c’est à nous trois à prendre soin de notre maman, vu que j’en suis empêchée pour le moment, je mets toute ma confiance en vous. Remplacez-moi de toutes vos forces, de tout votre cœur, de tout votre pouvoir.

Je pense que vous êtes au courant des affaires et que vous saurez vous en tirer. Une fois que vous le pourrez, vous m’indiquerez un peu la situation financière de maman, de la maison, quoi, car je ne voudrais pas que vous manquiez de quelque chose si j’y puis remédier. Oscar pense tout comme moi.
Je joins quelques photos de Conrad, qu’il apporte un peu d’espoir avec lui.
Mes chers,  je ne peux presque pas vous quitter, pourtant je dois finir, car la lettre doit partir.
Je vous embrasse et suis avec vous de toutes mes pensées, de tout mon coeur .
Nelly



My dear Motherli and dear brothers
How can I say how terribly we feel the loss and how we long to have been with you, to be able to share this sorrow all together and be a strength and help for each other in these difficult times. Alas ! that has not been possible and the circumstances are even such that the distances, which seemed to have grown short are once more huge.
We have been lookingforward so much to present our Conrad to his grandparents as soon as we could leave here for Switzerland after this cruel war.
How often have we pictured the Small little chap., walking side by side with his Grandfather, holding each other’s hands, the one looking up and the other looking down. I’m sure this last will often happen now, and we will teach our Conrad to look up to his Grandfather ! And one of these days he will be able to talk to his Grandmotherli and his uncles about his Grandfather and it won’t even seem strange.
I do hope this will be soon and I know you will be looking forward to this moment as much as we do.
So let’s keep this picture in mind – our little fellow and his grandfather – and let this grow to become our strength to overcome all our sorrows and pains.
You two boys take care of your Motherli for us, and I’ll do the same for Nelly, who is still as brave a girlie she ever was !
Good bye my dears. With all my love and thoughts from Oscar




Remarque :
Le papa de Nelly, Louis Marchand, est décédé subitement d’une attaque le soir du 19 février 1941, alors qu’il allait se coucher. Il était dans sa soixantième année.


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