vendredi 30 juin 2017



Batavia

15 avril 1940
212

A sa maman
Il y a si longtemps que je ne t’ai pas écrit, que cette nuit cela m’a empêchée de dormir comme il faut. Et ce matin Conradli s’est déjà réveillé à 5 heures de sorte que je me suis levée et je profite d’écrire en attendant que ce soit le moment de le nourrir. Il pleure et se suce les doigts, mais j’attends tout de même l’heure fixée pour son premier déjeuner, 6 heures, et je ne lui donne pas avant. Il faut être exacte comme une horloge avec ces petits. Tu devrais l’entendre crier, il ameute tout le quartier. Oh, c’est un bonheur sans cesse renouvelé….
Mais voilà, je ne veux pas me perdre dans des considérations pareilles dans cette lettre ci, car j’ai trop peu de temps, elle doit partir à 8 heures tantôt. Il y a 10 jours nous avons enfin reçu votre lettre écrite après réception du télégramme. Nous l’attendions avec une telle impatience.
J’accuse réception de ta lettre 231 qui m’est parvenue à la clinique. Tes lettres viennent toujours à point, juste au moment où j’en ai le plus besoin, soit que j’aie un embêtement quelconque, soit que j’aie un peu les bleus ou que je me fasse du souci pour une chose ou l’autre, voilà une lettre et tout va bien de nouveau.
Je me rappelle qu’à la clinique j’avais justement le cœur gros parce que Conradli pleurait, pleurait, et que les sœurs n’en avaient aucun souci et n’allaient même pas voir ce qu’il pouvait avoir, et moi je ne pouvais pas encore me lever du lit. Quand la soeur a aperçu que je pleurais, elle a souri en disant : on connaît cela avec les mamans de premier né ! Maintenant je suis déjà aguerrie, je laisse pleurer Conradli sans m’en faire.

sortie de clinique

Voilà, il a bu, et je donnerais je ne sais pas quoi pour que tu puisses voir cela.
Vu que je n’ai pas eu le temps de vous écrire, je vous ai envoyé des photos deux ou trois fois de suite J’espère que vous les aurez reçues.

Je me porte de nouveau bien, je me sens aller mieux de jour en jour, et si je ne vous écris pas, c’est principalement parce que les visites ne men laissent pas le temps. C’est fou ce que j’ai eu du monde, la plupart du temps 3-4 personnes par matinée, et pour le lunch, et pour le souper, et pour le thé, de sorte que je n’ai souvent même pas le temps d’aller prendre ma douche. Toutes les trois heures je dois nourrir Conradli et cela aussi prend du temps, surtout que je prends aussi mon temps pour l’admirer et le cajoler et m’amuser avec lui. Il grandit tellement vite. Le lundi de Pâques nous avons eu son premier sourire, nous étions justement penchés sur son berceau tous les deux. J’étais si contente que Boili ait aussi pu en jouir en même temps que moi.

Maintenant il est assez tranquille, quand il a bu il s’endort ou il reste réveillé et commence à découvrir ses mains et à regarder autour de lui. Il pèse 4 kg 125 gr. Il n’est pas gros, mais cela ne fait rien, il a très bonne mine, car le matin à 6 heures, après son déjeuner, nous portons le berceau dehors, Boili et moi, et il y reste jusqu’à 9 heures, après son bain, je le sors de nouveau.
Moi, je continue à avoir bonne mine, j’engraisse parce que je mange tellement et je bois beaucoup de lait. Je ne peux plus mettre une seule de mes robes d’avant et j’ai vite dû en acheter 2-3 de la confection américaine, très bon marché.

Est-ce que je vous ai écrit que pendant que j’étais à la clinique on a volé ma machine à coudre qui était ici dans la chambre donnant sur la rue ? Un après midi que Kaidi a ouvert la maison dans l’attente du retour de Boili, et pendant qu’il était à la cuisine pour préparer le thé, les voleurs ont réussi à enlever la machine comme s’ils étaient des commissionnaires d’un magasin qui doivent venir chercher la machine pour une réparation. La police a tout de suite fait une enquête, mais sans résultat. Des vols pareils sont fréquents ici. En attendant c’est la guigne, car je ne peux pas coudre. Boili en est très content, ainsi je suis quitte de me fatiguer, qu’il dit, mais il faudra bien en racheter une, l’une fois ou l’autre.
Je sais que Mr. van Mastwyk a été chez vous, je me réjouis de le voir, il est maintenant à Calcutta et elle est partie à sa rencontre jusqu’à Singapore. Ils reviendront vers la fin de ce mois.
Maurice et Margot (Warren, jeune frère de la maman d’Oscar) se sont aussi embarqués mercredi passé pour leur grand congé, mais je ne pense pas qu’ils viendront jusqu’en Europe. Margot est Canadienne, de sorte qu’ils resteront en Amérique où elle a toute sa famille. Elle m’a donné un joli petit panier de bébé qu’elle avait elle-même reçu de sa mère pour son fils. Je vais y faire un petit matelas, et nous pourrons ainsi trimballer Conradli avec nous.
C’est que vous ne savez pas la dernière nouvelle. Oscar vient d’acheter une petite voiture, une Opel Kadett. Elle appartenait à Hermann ten Cate, le frère de Ryk et l’ami de Boili. Il avait un urgent besoin d’argent en ce moment, et nous l’a laissée à un prix avantageux. Nous sommes très contents d’avoir une petite voiture de nouveau, car Oscar  dépensait énormément en taxi pour aller et revenir du bureau. Quand v.Mastwyk est ici, il vient le chercher, mais comme il est souvent en voyage, Oscar  doit aller à son propre compte et cela revient très cher. Cette Opel ne mange pas trop de benzine, et cela nous revient bien meilleur marché ; ainsi nous avons l’occasion de sortir. Nous allons régulièrement faire un petit tour entre  5 et 6 heures quand Conradli dort. D’abord ce n’était pas facile de laisser Conradli seul à la maison, mais je dois m’y faire car de sortir un peu me fait aussi du bien.
Mes chers, je ne fais que parler de moi et pourtant mon cœur est plein de vous et de choses vous concernant. Mes chers frères, c’était votre fête le 4, j’ai pensé à vous et je vous ai souhaité combien de bonnes choses dans mon cœur, mais je ne suis pas arrivée à vous écrire encore.
J’ai donc bien reçu ta lettre 232, et je vais y répondre cette semaine. Cette lettre-ci n’est qu’un petit accompte pour que vous sachiez qu’ici les choses vont à souhait. J’espère tant et tant que vous allez bien tous, et je prie pour vous. Nous sommes de nouveau suspendus à la radio depuis les derniers évènements en Norvège et ne sommes pas sans inquiétudes pour le sort de la Hollande. C’est terrible, terrible.
……..




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