Batavia
6 mars 1940
A sa maman, à la main
C’est toi
la toute première à qui j’essaye d’écrire, tu es toujours avec moi, ton bon
sourire de la dernière photo ne m’a pas quittée un moment sauf quand j’ai été
transportée dans la chambre d’accouchement. Tu as ta place à côté du petit lit
de Conrad (né le dimanche 3 mars 1940), tu nous regardes tous les deux.
né un dimanche |
Je jouis
vraiment d’être ici. Nous sommes tous les deux très bien soignés. Les sœurs
sont gentilles et fines et le pavillon d’accouchement est situé dans un grand
parc dans lequel broutent des chevreuils. Toute la journée, une fenêtre est
ouverte et j’ai cette belle vue devant moi et quand je regarde dans la chambre
je ne vois que des fleurs, des fleurs. Jusqu’à présent, j’en ai reçu 10
corbeilles, des arrangements merveilleux, mais ce qui me fait le plus plaisir
c’est un tout petit bouquet de
jonquilles, trois fleurs avec des brins d’herbe et deux petits narcisses
pour le petit enfant Woldringh. C’était si joli d’avoir le printemps suisse
près du berceau. Il faut savoir que ces jonquilles sont des fleurs qui sont
rares ici et par conséquent très chères.
Comme tu l’auras remarqué, nous avons donc un Sonntagskind (enfant né un dimanche).
Il pèse 7 livres 100 gr. Il ressemble à Boili comme deux
gouttes d’eau, le même long nez, pousse des cheveux, bouche, oreilles, tout y
est sauf les petites mains me semblent plutôt être la copie de celles du Padre. Je dois toujours rire quand je
les regarde !
Aujourd’hui
Conrad ne fait que pleurer toute la journée, on ne sait pas pourquoi, peut être
qu’il reçoit trop de lait. Heureusement que je suis en de bonnes mains, alors
je ne m’en fais pas, mais c’est
plutôt un peu embêtant, car depuis hier je partage la chambre avec une petite
dame japonaise qui a aussi un fils, un tout petit, petit bébé.
Le joli
petit bracelet a immédiatement été mis au bras de Conradli, tout le monde le
trouve si joli.
Je compte
rester ici 10 à 12 jours si tout va bien. Je ne veux pas rentrer trop vite,
mais bien reprendre des forces d’abord. Je n’ose pas avoir de visites avant le
6-7ème jour et j’en suis bien contente sauf Boili qui vient 2 fois
par jour, m’apporter les télégrammes et nouvelles qui arrivent à la maison.
Eh oui, je suis bien contente que tout se soit si bien
passé.
Merci de
tout cœur de votre télégramme et ce matin m’est parvenu celui des Charlous.
Papa W. se considère aussi comme le parrain de son petit fils parce qu’il
s’appelle comme lui. Il doit avoir eu un plaisir fou que nous ayons un fils,
j’en suis bien contente.
Je viens
d’avoir eu la visite de la sœur principale. Ce soir on va donner moins de lait
à Conradli, car il paraît qu’il a l’estomac un peu dérangé ayant trop bu. Je
suis pourtant si contente que tout aille ainsi, mieux que je ne l’attendais.
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