Batavia
2 décembre 1939
A sa maman
Une fois
de plus, il faut que je t’envoie mon baiser
de bonne fête sur du papier, et nous qui espérions tant de pouvoir te
serrer dans nos bras en ce jour du 19 décembre ! (anniversaire de Rose). L’homme propose et Dieu dispose. Sachons
accepter et nous soumettre, et surtout sachons attendre avec courage et
patience. N’est-ce pas Rötteli mia, tu m’écris toujours de si belles lettres à
ce sujet !
J’espère
que malgré la situation et les circonstances tu réussiras à avoir une journée
agréable, le 19, et en tous cas, mes pensées seront entièrement et intensément
avec toi, avec vous tous, comme je le suis d’ailleurs constamment de cœur.
Maintenant que ces fêtes et la fin de l’année approchent, on pense malgré soi
encore plus souvent aux chers à la maison, à la patrie, à tout ce qui aurait pu
être et l’on se demande ce qui nous attend. Enfin, Mamali chérie, je dis comme
toi, sachons accepter ce que le destin nous envoie. Plus que jamais il faut
vivre au jour le jour et c’est vraiment ce que je fais.
Demain je
pense que nos meubles arriveront, et alors gare la fête, il faudra installer la
maison. Le jour après que nous l’avons louée et tout arrangé et payé, nous
aurions pu en louer une bien meilleure avec un bon bout de jardin. Comme je
voulais d’abord que Boili la voie, j’ai demandé la préférence jusqu’à ce matin,
dimanche à 10 heures, mais déjà à 8 heures on m’a téléphoné qu’elle était
louée !!! Je te dis, cela s’arrache les maisons ici. Nous en avons bien un
peu des regrets, mais tant pis. D’ailleurs elle n’aurait été libre que le
premier janvier, et après le temps pour les réparations et la remise en état,
ce serait devenu 15 janvier avant que nous puissions y entrer. Cela aurait
aussi été un handicap, car mon temps avance et il faut absolument que je
finisse mon trousseau. Ainsi nous nous contentons donc de la Palmenlaan 54 (adresse : avenue des palmiers).
Je
commence maintenant à avoir les pieds enflés, tous les jours et des fois même
déjà le matin, mais il n’y a aucune trace d’albumine dans l’urine. Je deviens
grosse ! et lourde ! et tu devrais voir comme le petit bouge !
Je ne peux plus m’asseoir n’importe comment surtout pas trop me pencher en
avant, mais tout cela c’est normal et si je te le raconte, c’est parce que je
sais que comme maman tu aimes tout savoir ce qui me concerne. Je continue
toujours à avoir bonne mine, meilleure mine qu’il y a longtemps et je crois
bien que tout le monde me trouve très allègre pour mon état, en tous cas il m’a
semblé qu’Annie Elout était surprise de me voir si bien en train, et encore
d’autres connaissances.
Est-ce que
Padre pourrait faire savoir à Köbu
Gassmann (propriétaire du Journal du
Jura) notre nouvelle adresse ? J’aime toujours bien recevoir les
journaux, et surtout maintenant je les lis avec beaucoup d’attention pour me
tenir au courant de la situation en Suisse, créée par le blocus anglais. Oui,
tu as bien soin de ne jamais m’écrire
quoi que ce soit sur la situation actuelle en Suisse, et surtout comment et en
combien elle vous concerne, alors je me tiens au courant d’une autre
manière !!! Je suis contente que tu aies de temps en temps le plaisir de
voir tes fils et d’avoir quelques bons moments à passer avec eux. J’ai toujours
leur photo avec moi et il ne se passe pas un jour que je ne regarde pas mes
hommes. J’en ai 4 et je les aime tellement. Vois-tu aimer 4 hommes c’est déjà beaucoup, alors je crains qu’il ne
reste plus de place dans mon cœur pour encore aimer une Rötteli. Un cœur c’est
pas si grand !!! Hä Röttu, jetz han i Di wieder einisch ! (ha, je t’ai eue à nouveau)
A propos,
tu m’écris dans ta dernière lettre que sur une des photos de Batoe tu vois que
je suis grasse et ronde tout le tour, et que cela veut dire un Oscarli. Mais
hélas, je crois bien que tu te trompes. Je porte l’enfant très en avant, comme
madame Mogendorff, la Lismete, ce qui me fait prévoir une petite fille. Je pensais toujours que c’était le contraire,
mais maintenant après ta lettre j’en suis presque sûre que ce sera une petite
fille. D’abord cela a bien été un petit désappointement pour moi, car j’aurais tant voulu un garçon, en
souvenir de mes petits frères qui ont pourtant aussi été un peu mes fils !
Mais j’ai su m’y faire, et maintenant je me réjouis aussi à l’idée d’avoir une Rötteli. Je suis déjà bien
reconnaissante d’avoir un enfant. Nous ne somme pas encore tout à fait décidés
pour le nom, mais je crois bien que ce sera Roseline, en souvenir d’un certain Röttu et de Linette. Comment le
trouves-tu, ce nom ? Mais stpl. ne va pas le stämpere à tout le monde, il
faut que cela reste une surprise. Si je te le dis déjà maintenant à toi, c’est
parce que c’est ta fête et que je ne peux rien t’envoyer et que je voudrais
quand même te faire un petit plaisir, quel qu’il soit. Tu comprends? Si c’est
un garçon ce sera Conrad-Louis. Si
je n’en garde pas le secret, c’est que Boili n’a pas pu le garder en écrivant à
son père et alors je ne voudrais pas que vous soyez mis au courant par d’autres
que par moi, comme c’est arrivé déjà. Seulement garde le secret pour toi, si
possible. Eddy et Ans nous ont écrit pour nous demander à cause des noms. Vu
qu’Oscar est l’aîné, ils nous laissent le choix de nommer notre fils Conrad, si
c’est un fils, et eux, ils choisiront un autre nom, pour qu’il n’y ait pas trop
de malentendus plus tard. Seulement, je crois bien qu’elle aura un fils et moi
une fille. Enfin, qui vivra verra, et je saurai être contente avec ce que le
bon Dieu m’envoie, je suis déjà heureuse qu’il en soit ainsi.
Tu m’écris
que Flock a une place à Bâle ? Comme quoi ? Bonne d’enfants, ou
servante ? C’est une pauvre diable, j’aurais tant voulu qu’elle puisse se
marier, enfin peut être que cela viendra encore !
C’est
quand même terrible avec ces Racine qui ne savent pas s’entendre, je crois
qu’ils aiment toujours bien venir chez vous, on ne trouve pas toujours partout
une si bonne Rötteli toujours prête à sourire et aussi à doudle (perdre du temps) ! Car tu as beau
m’écrire que tu ne le fais plus, je connais cela, tu ne peux pas te changer. Et
pourtant je suis bien fière que grâce aux leçons et aux conseils d’un certain vilain
Röttu, les gens aiment aussi bien venir chez moi, chez nous. J’en ai encore
fait l’expérience ces derniers jours. Jans van der Lee était ici à Batavia pour
attendre sa mère qui est venue de Hollande. Elle logeait chez de bons amis, et
pourtant quand elle a su que j’étais ici, elle est venue tous les matins me
trouver ici à l’hôtel et alors qu’elle a beaucoup d’amis ici. Elle attend aussi
un bébé en juillet, son troisième !
Au moins
ne m’envoie plus rien, je sais bien que vous n’osez rien exporter de Suisse, et
je t’assure, nous sommes encore mieux placés que vous. Tout a renchéri ici,
mais jusqu’à présent nous ne manquons de rien. Garde et emploie ton argent pour
toi, et vraiment je ne manque de rien. Seulement il ne me sera plus possible de
t’envoyer un peu de cumin (des sous) de temps en temps, du moins
pas pour le moment, car il me faut d’abord voir comment j’arriverai à faire le
tour avec notre salaire d’ici et toutes les dépenses que nous avons. Mais
encore une fois, ne t’en fais pas pour nous, nous ne manquons de rien.
Et
maintenant, j’arrive au bout de la page une fois de plus et j’ai bien sommeil. Boili
dort déjà. Il n’a pas bonne mine ces derniers temps, et il se plaint d’avoir
des maux de ventre, je veux aller le faire visiter dans le courant de cette
semaine, car je ne voudrais pas qu’il tombe malade. Je serai si contente quand nous pourrons de nouveau manger à
notre propre table, une nourriture simple et saine, ces plats compliqués ici à
l’hôtel ne nous valent rien.
Encore une
fois, tous mes bons vœux pour ta fête, et ne te fais pas de souci pour moi je
suis calme, paisible et gaie et mon Boili est toujours bien gentil pour moi,
donc je n’ai rien de plus à désirer.
……Ge
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