samedi 3 juin 2017




Batavia

2 décembre 1939



A sa maman
Une fois de plus, il faut que je t’envoie mon baiser de bonne fête sur du papier, et nous qui espérions tant de pouvoir te serrer dans nos bras en ce jour du 19 décembre ! (anniversaire de Rose). L’homme propose et Dieu dispose. Sachons accepter et nous soumettre, et surtout sachons attendre avec courage et patience. N’est-ce pas Rötteli mia, tu m’écris toujours de si belles lettres à ce sujet !
J’espère que malgré la situation et les circonstances tu réussiras à avoir une journée agréable, le 19, et en tous cas, mes pensées seront entièrement et intensément avec toi, avec vous tous, comme je le suis d’ailleurs constamment de cœur. Maintenant que ces fêtes et la fin de l’année approchent, on pense malgré soi encore plus souvent aux chers à la maison, à la patrie, à tout ce qui aurait pu être et l’on se demande ce qui nous attend. Enfin, Mamali chérie, je dis comme toi, sachons accepter ce que le destin nous envoie. Plus que jamais il faut vivre au jour le jour et c’est vraiment ce que je fais.
Demain je pense que nos meubles arriveront, et alors gare la fête, il faudra installer la maison. Le jour après que nous l’avons louée et tout arrangé et payé, nous aurions pu en louer une bien meilleure avec un bon bout de jardin. Comme je voulais d’abord que Boili la voie, j’ai demandé la préférence jusqu’à ce matin, dimanche à 10 heures, mais déjà à 8 heures on m’a téléphoné qu’elle était louée !!! Je te dis, cela s’arrache les maisons ici. Nous en avons bien un peu des regrets, mais tant pis. D’ailleurs elle n’aurait été libre que le premier janvier, et après le temps pour les réparations et la remise en état, ce serait devenu 15 janvier avant que nous puissions y entrer. Cela aurait aussi été un handicap, car mon temps avance et il faut absolument que je finisse mon trousseau. Ainsi nous nous contentons donc de la Palmenlaan 54 (adresse : avenue des palmiers).
Je commence maintenant à avoir les pieds enflés, tous les jours et des fois même déjà le matin, mais il n’y a aucune trace d’albumine dans l’urine. Je deviens grosse ! et lourde ! et tu devrais voir comme le petit bouge ! Je ne peux plus m’asseoir n’importe comment surtout pas trop me pencher en avant, mais tout cela c’est normal et si je te le raconte, c’est parce que je sais que comme maman tu aimes tout savoir ce qui me concerne. Je continue toujours à avoir bonne mine, meilleure mine qu’il y a longtemps et je crois bien que tout le monde me trouve très allègre pour mon état, en tous cas il m’a semblé qu’Annie Elout était surprise de me voir si bien en train, et encore d’autres connaissances.
Est-ce que Padre pourrait faire savoir à Köbu Gassmann (propriétaire du Journal du Jura) notre nouvelle adresse ? J’aime toujours bien recevoir les journaux, et surtout maintenant je les lis avec beaucoup d’attention pour me tenir au courant de la situation en Suisse, créée par le blocus anglais. Oui, tu as bien soin de ne jamais m’écrire quoi que ce soit sur la situation actuelle en Suisse, et surtout comment et en combien elle vous concerne, alors je me tiens au courant d’une autre manière !!! Je suis contente que tu aies de temps en temps le plaisir de voir tes fils et d’avoir quelques bons moments à passer avec eux. J’ai toujours leur photo avec moi et il ne se passe pas un jour que je ne regarde pas mes hommes. J’en ai 4 et je les aime tellement. Vois-tu  aimer 4 hommes c’est déjà beaucoup, alors je crains qu’il ne reste plus de place dans mon cœur pour encore aimer une Rötteli. Un cœur c’est pas si grand !!! Hä Röttu, jetz han i Di wieder einisch ! (ha, je t’ai eue à nouveau)
A propos, tu m’écris dans ta dernière lettre que sur une des photos de Batoe tu vois que je suis grasse et ronde tout le tour, et que cela veut dire un Oscarli. Mais hélas, je crois bien que tu te trompes. Je porte l’enfant très en avant, comme madame Mogendorff, la Lismete, ce qui me fait prévoir une petite fille. Je pensais toujours que c’était le contraire, mais maintenant après ta lettre j’en suis presque sûre que ce sera une petite fille. D’abord cela a bien été un petit désappointement pour moi, car j’aurais tant voulu un garçon, en souvenir de mes petits frères qui ont pourtant aussi été un peu mes fils ! Mais j’ai su m’y faire, et maintenant je me réjouis aussi à l’idée d’avoir une Rötteli. Je suis déjà bien reconnaissante d’avoir un enfant. Nous ne somme pas encore tout à fait décidés pour le nom, mais je crois bien que ce sera Roseline, en souvenir d’un certain Röttu et de Linette. Comment le trouves-tu, ce nom ? Mais stpl. ne va pas le stämpere à tout le monde, il faut que cela reste une surprise. Si je te le dis déjà maintenant à toi, c’est parce que c’est ta fête et que je ne peux rien t’envoyer et que je voudrais quand même te faire un petit plaisir, quel qu’il soit. Tu comprends? Si c’est un garçon ce sera Conrad-Louis. Si je n’en garde pas le secret, c’est que Boili n’a pas pu le garder en écrivant à son père et alors je ne voudrais pas que vous soyez mis au courant par d’autres que par moi, comme c’est arrivé déjà. Seulement garde le secret pour toi, si possible. Eddy et Ans nous ont écrit pour nous demander à cause des noms. Vu qu’Oscar est l’aîné, ils nous laissent le choix de nommer notre fils Conrad, si c’est un fils, et eux, ils choisiront un autre nom, pour qu’il n’y ait pas trop de malentendus plus tard. Seulement, je crois bien qu’elle aura un fils et moi une fille. Enfin, qui vivra verra, et je saurai être contente avec ce que le bon Dieu m’envoie, je suis déjà heureuse qu’il en soit ainsi.
Tu m’écris que Flock a une place à Bâle ? Comme quoi ? Bonne d’enfants, ou servante ? C’est une pauvre diable, j’aurais tant voulu qu’elle puisse se marier, enfin peut être que cela viendra encore !
C’est quand même terrible avec ces Racine qui ne savent pas s’entendre, je crois qu’ils aiment toujours bien venir chez vous, on ne trouve pas toujours partout une si bonne Rötteli toujours prête à sourire et aussi à doudle (perdre du temps) ! Car tu as beau m’écrire que tu ne le fais plus, je connais cela, tu ne peux pas te changer. Et pourtant je suis bien fière que grâce aux leçons et aux conseils d’un certain vilain Röttu, les gens aiment aussi bien venir chez moi, chez nous. J’en ai encore fait l’expérience ces derniers jours. Jans van der Lee était ici à Batavia pour attendre sa mère qui est venue de Hollande. Elle logeait chez de bons amis, et pourtant quand elle a su que j’étais ici, elle est venue tous les matins me trouver ici à l’hôtel et alors qu’elle a beaucoup d’amis ici. Elle attend aussi un bébé en juillet, son troisième !
Au moins ne m’envoie plus rien, je sais bien que vous n’osez rien exporter de Suisse, et je t’assure, nous sommes encore mieux placés que vous. Tout a renchéri ici, mais jusqu’à présent nous ne manquons de rien. Garde et emploie ton argent pour toi, et vraiment je ne manque de rien. Seulement il ne me sera plus possible de t’envoyer un peu de cumin (des sous) de temps en temps, du moins pas pour le moment, car il me faut d’abord voir comment j’arriverai à faire le tour avec notre salaire d’ici et toutes les dépenses que nous avons. Mais encore une fois, ne t’en fais pas pour nous, nous ne manquons de rien.
Et maintenant, j’arrive au bout de la page une fois de plus et j’ai bien sommeil. Boili dort déjà. Il n’a pas bonne mine ces derniers temps, et il se plaint d’avoir des maux de ventre, je veux aller le faire visiter dans le courant de cette semaine, car je ne voudrais pas qu’il tombe malade. Je serai si contente  quand nous pourrons de nouveau manger à notre propre table, une nourriture simple et saine, ces plats compliqués ici à l’hôtel ne nous valent rien.
Encore une fois, tous mes bons vœux pour ta fête, et ne te fais pas de souci pour moi je suis calme, paisible et gaie et mon Boili est toujours bien gentil pour moi, donc je n’ai rien de plus à désirer.
……Ge



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