mardi 30 mai 2017




Kediri

16 novembre 1939
204

A sa maman
J’ai écrit à la maison il y a deux jours. Et hier j’ai reçu ta lettre 222. J’ai eu beaucoup de plaisir aux photos, tu es très bien avec ton hüteli (petit chapeau) ! Aussi les photos du pic-nic sont jolies, mais j’ai presque eu de la peine à reconnaître tout le monde Je suppose que la jeune fille sur les genoux de Nögg est la jeune Biedermann ? Ce n’est pas directement une tenue que je puis apprécier et je me demande ce que Padre aurait dit si je m’étais conduite ainsi dans le temps ? Et toi aussi surtout tu aurais su me faire remarquer… un tas de choses concernant cette conduite. Le moment est peut être déjà arrivé où je fais l’effet d’être vieux jeu, je n’en sais rien, et pourtant on dit toujours qu’aux colonies la vie est plus libre et plus lâche. Enfin, passons là-dessus, d’ailleurs cela ne me regarde en aucune façon. Nous avons peut être tous changé, chacun de son côté, et voilà, c’est la vie !
Tu es si bien avec ton hüteli, mais c’est vrai que tu commence à ressembler beaucoup à notre grandmamali, l’expression surtout. Si tout s’était bien passé et qu’il n’y eut pas eu cette terrible guerre, nous serions arrivés à Bienne ce soir ou même déjà hier et je t’aurais serrée dans mes bras. Enfin, résignons-nous, c’est partie remise, espérons et ayons confiance.

sept. 1939 Padre et ses fils

Je te crois que tu as chaque fois du plaisir quand tes rejetons-officiers font leur apparition pour quelques heures. Je puis si bien me les représenter maintenant, grâce à ces photos. Je les regarde au moins mille fois par jour, et chacun les trouve épatants, mes frères ! Je n’ai pas voulu l’écrire dans ma lettre à la famille, car j’imagine qu’ils le savent déjà assez qu’ils ne sont pas moches nos garçons.
Alors, mon Röttu, gondle et regondle à des meetings de Oxford ? Tu as bien fait, vas-y mais gare les …conversations ! Je pense que ce sera comme la gra’mamali avec son Histoire de la Réformation !!! Mais non, Rötteli, je sais bien que ceci est mieux et tu en tires un tel profit. Seulement il faut aussi me laisser te chicaner un peu, hein ? D’ailleurs je viendrai avec toi aussi quand nous serons ensemble, seulement pas si souvent. Car selon ta lettre, tu y est allée les 14, 18, 21 et 22 octobre, et peut être même encore entre temps. Làlà ! D’ailleurs on le voit à ta lettre tu n’avais pas tes pensées concentrées sur Java quad tu l’as écrite ! Ah mais maintenant taisons-nous, sans quoi je finis encore par fâcher une certaine Gondleuse et cela, ce n’est pas dans mon intérêt, car qui m’écrirait encore des lettres !!! C’est pas que je les apprécie beaucoup, ces lettres mais cela vaut toujours mieux que rien !!!
Comme toi, je suis très contente que les garçons s’entendent si bien, c’est un grand bien pour chacun d’eux.
Voilà, c’est assez pour ce soir, le Monsieur commence à protester, alors je vais m’étendre. Bon soir… !

17 novembre
Voilà de nouveau une journée de passé toute seule dans une grande maison vide ! Madame Fraay est partie pour Soerabaya il y a deux jours. Il fallait que la petite aille chez le dentiste, car elle a les dents qui avancent comme moi, alors elle porte un fil de fer et madame doit toujours profiter des vacances pour l’emmener à S. Elle ne voulait pas y aller d’abord pour ne pas me laisser seule mais je l’y ai obligée. Je me suis bien installé dans le pavillon, j’ai Kaidi, mon djongos pour me servir et ma foi cela ne va pas trop mal. A midi je vais dîner chez les Mogendorff car je ne veux pas cuire pour moi toute seule, mais le matin et le soir Kaidi me prépare mes repas ici. Je profite de cette solitude pour écrire, pour coudre, et vraiment j’en jouis. J’aime beaucoup être seule et je ne m’ennuie jamais. Le soir, j’ai mon chien qui dort sous mon lit, et Kaidi par terre devant ma porte, ainsi je suis bien gardée et tu n’as au moins pas à te faire du souci pour moi, Mamms !
Pendant que j’y pense, ne m’envoie pas de fil DMC. Ce n’est vraiment pas nécessaire, car il apparaît de nouveau petit à petit, les importations reprennent de la régularité, et il ne faut pas te faire du souci pour moi. Quand il y aura vraiment quelque chose qui me fait défaut et que j’aimerais avoir, alors je ne me gênerai pas de vous le demander.
Demain samedi, Oscar va venir pour le weekend. Nous devrions aller chez tante Engel, mais on va s’arranger pour rester les deux seuls ici. Moi aussi je devrais aller loger chez tante Engel, si elle savait que je suis seule ici, elle serait fâchée, mais  je n’en ai pas envie. Il y a le vieux Engelhart qui m’énerve. Je ne sais pas pourquoi, mais il raconte toujours les mêmes histoires et c’est un paon, il voudrait toujours qu’on l’admire et l’approuve Je n’ai jamais remarqué cela autant avant mais maintenant cela me va sur les nerfs. Il n’y a qu’à toi que je le dis, naturellement quand je suis avec eux, je ne fais pas les semblants. Mais depuis que je suis enceinte, je remarque que j’ai des sympathies et antipathies plus prononcées que normalement. Par exemple, Elout, je ne peux plus le sentir, je le déteste et des fois j’ai cela avec la Lismete (Mme Mogendorff) aussi. A propos, sa petite fille devient plus jolie de jour en jour c’est vraiment merveilleux comme ils croissent vite les petits enfants. Quand je vais là pour dîner, j’assiste souvent au diner du baby d’abord, elle le nourrit et c’est si joli ! Oh, comme je me réjouis !!!
La nuit passée je n’ai pas bien dormi, car Woldringh junior ne voulait pas se tenir tranquille, alors je m‘amusais à regarder comme il bougeait ; des fois cela me donnait des battements de cœur comme si j’avais bu du café fort, et pourtant je n’en bois pas une goutte, ni du thé fort, ni surtout des boissons alcooliques. Oh, je fais bien attention et je vis déjà maintenant rien que pour mon baby. Hier matin j’ai fait analyser mon urine, le docteur n’a rien trouvé et pourtant j’ai les pieds enflés tous les soirs, mais je pense que c’est aussi de la chaleur. Enfin, je vais faire attention, n’aie pas peur je ne me vepipäpele (dorlotte) pas mais je me surveille.
Nous avons enfin de nouveau reçu une lettre de papa Woldringh. Il a été à la Haye pour rendre visite à Eddy et Ans (frère de Oscar et son épouse), et il paraît qu’il a de nouveau eu un crève-cœur au sujet d’un tableau (Het gouden Land, C.L. Dake 1920, Gunung Gedeh, maintenant propriété de Conrad). Une peinture à l’huile qui lui avait été offerte par ses amis de la Banque, à l’occasion de son jubilée. Eddy et Ans, qui ont la garde de ses choses et aussi des beaux meubles avec lesquels ils ont installé leur maison, ont pendu ce tableau dans la salle d’attente (Eddy est médecin) et ils ont enlevé la plaquette en argent avec l’inscription du souvenir, donnant pour excuse que cela ne regardait pas les clients de savoir que le père d’Eddy avait été à la Banque etc. Je ne les comprends pas, s’ils ne tiennent pas à ce que des étrangers sachent l’histoire de ce tableau, il ne fallait pas le mettre dans la salle d’attente. Il y a des gens qui ne savent pas apprécier leur chance ! Quand on peut installer sa maison avec un tas de belles choses pareilles, il y aurait moyen de prendre quelques considérations. Cette Ans me fait un peu penser à Margrit Kreis.
Papa Woldringh m’a de nouveau recommandé de ne pas me faire de soucis, et si quelque chose n’allait pas et que nous étions dans la gêne, qu’il ne fallait pas hésiter de nous adresser à lui.
Alors toi, tu as un béguin à la poste ? Eh bien, la pomme ne tombe pas loin du pommier, car moi aussi j’en ai un ici et quand j’y vais on fait toujours des parties de blague. Ainsi je suis aussi bien au courant des choses de la poste en ce qui concerne mes lettres. Ce sera bientôt ta fête, mais je ne t’enverrai rien cette fois-ci !
Dimanche matin, 18 novembre 1939 ! Boili est arrivé hier soir et va repartir cet après midi, pour une nouvelle semaine. J’ai aussi eu des nouvelles qu’à Batavia il n’y avait aucune maison à louer, rien, rien de libre, il paraît que c’est terrible et cela me donne bien un peu de souci. Il nous faudra donc passer quelques mois à l’hôtel et qui sait si j’aurai même un toit pour recevoir mon baby en sortant de la clinique. Naturellement je me raisonne, et tâche de ne pas m’en faire trop, mais j’ai tout de même des moments où j’ai terriblement les bleus. Mais c’est fait comme exprès, j’ai toujours des embêtements pareils et il faut croire que cela ne m’est pas donné d’effectuer un changement de domicile dans de bonnes conditions mais toujours il y a l’une ou l’autre chose pour m’embêter. Quand je pense aux fraueli (petites femmes) en Suisse qui peuvent si bien préparer cet événement dans la paix de leur chez soi, entourées de leur famille et dorlotées à qui mieux mieux. Enfin, je n’ai pas à me plaindre, tout le monde est bien gentil ici avec moi, surtout les femmes qui, ici, sont très solidaires en ce point. Seulement quand je pense que les Sayers ont pu revenir de leur congé et s’installer dans une maison bien propre et entretenue et que moi maintenant je dois chercher, chercher sans trouver peut être. C’est une chose qui m’embêterait énormément de ne pas pouvoir installer une petite place bien à moi pour mon baby, et de devoir vivre ainsi sur la branche. Enfin, il ne faut pas te faire du souci parce que je me laisse un peu aller à ouvrir mon cœur quand il est trop plein. Cela vient de ce que j’ai été seule cette semaine et que hier j’ai justement eu cette mauvaise nouvelle d’une dame qui a cherché une maison pour moi à Batavia et n’a rien trouvé.  Une fois de plus je vais suivre tes bon conseils, et ne pas m’en faire, car tout vient comme cela doit dans la vie n’est-ce pas Rötteli mia ?
Je vais donc vivre au jour le jour, et profiter des bons moments qui me sont réservés sans me faire trop de souci pour le lendemain. T’en fais pas, la GE tient toujours sa tête haute à la fin de compte, car elle ressemble aussi à son Padreli !
gare de Kediri
Je vais vous quitter pour cette fois. Si tu seras un certain temps sans nouvelles, ne t’en fais pas, car la prochaine lettre viendra probablement de Batavia. Je vais loger chez Tante Engel demain pour quelques jours. Probablement que Boili sera licencié lundi prochain, il faudra faire ses bagages au plus vite et prendre le train pour Batavia, car Elout a déjà demandé au moins 8 fois quand Oscar arriverait enfin. Il semble qu’ils ne peuvent plus se passer de lui là-bas !


Il paraît que madame van Mastwyk, la femme du directeur dont je vous ai déjà parlé, attendait aussi un bébé, presque en même temps que moi, mais un beau jour le médecin n‘a plus perçu les battements du cœur du petit enfant, et il a fallu l’opérer pour enlever l’enfant mort. Ensuite il s’est produit une infection et madame a été très très malade pendant plusieurs semaines. Il paraît que c’est déjà la troisième fois que cela leur arrive, et ils aimeraient tant avoir des enfants. Il paraît que lui chaque fois qu’il téléphonait avec Boili, demandait après moi, comment je me portais etc.  C’est triste pour eux. Alors quand j’entends des choses pareilles, j’ai honte d’oser ronchonner pour l’une ou l’autre chose telle que par exemple cet embêtement de ne pas avoir de maison etc. Je ne devrais être que reconnaissante pour tout le bonheur que j’ai déjà eu et qui, si Dieu le veut, sera encore plus complet dans quelques mois.
Voilà, cette fois c’est fini Oscar attend car nous allons dîner chez les Mogendorff, et cette lettre doit partir.
Mille bons vœux à chacun avec un bon muntschi de votre Ge….
All all the best aussi aux Garçons dans leur vie de soldats, une bonne santé à tous et que Dieu vous protège et vous bénisse.



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