Kediri
12 novembre 1939
203
Je vous
confirme ma lettre 202 du 22 octobre. Il y a longtemps que je n’ai plus écrit
mais vous l’aurez bien compris, j’ai eu le
déménagement entre temps. Ma lettre est partie un jour avant que je reçoive
la 221 de ma Rötteli, et deux photos que je n’ai même pas pris la
peine de bien regarder !!! Elles ont pris place dans un portefeuille en
cuir ensemble avec celles d’un certain macacacaroni et celle d’un Boili. Je
n’ai que des hommes dans ce portefeuille ! Rötteli, tu m’annonces aussi
des photos de toi, mais jusqu’à ce jour je n’ai encore rien reçu, ce n’est pas
que je tienne à recevoir une certaine binette, toutes celles de tous ces
hommes, plus antipathiques les uns que les autres, me suffisent !!! Hein,
tu comprends bien et j’espère que tu ne te fais aucune illusion quant aux
sentiments de la girlie. Mais maintenant assez débité de bêtises, je n’ai pas
beaucoup de temps pour écrire et il faut pourtant que vous soyez mis au courant
de nos faits et gestes. Je vous écris à la main parce que Boili écrit à son
Aetti (papa en bernois) en ce moment
et naturellement il m’a chipé la machine.
J’ai donc
commencé à emballer le lundi 23 octobre et ça m’a pris une semaine. Tout est
bien allé, j’ai eu une aide excellente en mon djongos Kaidi, et tout le déménagement s’est fait sans que je me
fâche ou que je m’énerve une seule fois, ce qui est vraiment un record. J’avais
dit à Sayers qu’il pourrait entrer dans la maison le 1er novembre,
mais le 30 octobre le monsieur n’y tenait déjà plus, et a fait transporter ses
caisses, alors j’ai appelé l’aide de Boili, car je ne voulais pas me fâcher
pour une chose pareille. Enfin, le lundi 30 octobre à midi juste, j’ai quitté
la maison bien en ordre après avoir parcouru l’inventaire avec le monsieur
Sayers qui a tout trouvé en ordre et en excellent
état, ce dont il m’a vraiment remerciée
plusieurs fois. Ce lundi donc, dans l’après midi, nous sommes partis à
Soerabaya et mardi matin Boili est entré au service. Je suis restée à S.
pendant 2 jours, car il y faisait très chaud et j’avais hâte de rentrer quelque
part où je me sentais mieux à la maison que dans cet hôtel.
Nous avons
été chez Dr de Geus qui a tout
trouvé en ordre, urine etc, et nous recommandera à un spécialiste de Batavia,
un dr. dont on entend beaucoup de bien. Il nous a semblé qu’il regrettait de me
perdre comme patiente pas seulement à cause des sous, mais par sympathie
personnelle Quand nous étions dans la salle d’attente, j’ai été prise de fou
rire car nous étions 5 couples qui attendaient, les hommes se sentaient fiers
et importants comme des coqs et les femmes, toutes avec un bidon plus ou moins
gros. C’était comique ! Ce dr de Geus ne fait que des accouchements et Dr
Hiltermann à Batavia aussi !
En
revenant de Soerabaya je suis venue habiter ici chez Madame Fraay qui est
vraiment plus que gentille et attentive pour moi, de même que tante Engel.
Comme Boili n’est pas arrivé à savoir combien de temps durera cette
mobilisation ni combien de temps on le gardera au service, j’ai décidé de
rester ici. Mes meubles et tout mon ménage sont ici, emballés et le tout dans
un hangar de la fabrique, attendant d’être expédiés. Je n’ai avec moi qu’une
caisse contenant toute ma couture et une machine à coudre, car je travaille
ferme à mes robes et au petit trousseau. Tante Engel m’a gâtée aussi beaucoup,
chaque fois qu’elle vient me voir elle m’apporte quelque chose qu’elle a fait
et quand elle me quitte elle me vole quelque chose que j’ai préparé et elle le
coud à la maison. Mme Fraay aussi m’aide
tout ce qu’elle peut à couper et coudre mes robes etc. Chaque matin nous
allons baigner, c’est épatant pendant cette chaleur, et Dr de Geus me l’a
permis. Naturellement je ne nage pas beaucoup, seulement par petits bouts le
long du bord. Je me suis acheté un costume marine très simple et cher parce que
de très bonne coupe et ainsi j’ose bien me montrer.
Boili
vient de Soerabaya le samedi après midi à 5 heures jusqu’au dimanche soir à 5
heures et si j’ai envie d’aller là-bas, je puis partager sa chambre à deux
personnes pour un prix très réduit, seulement je n’y tiens pas trop parce qu’il
fait trop chaud et ici je peux me
laisser vivre plus à l’aise. Ce n’est pas que je me laisse aller, tu n’as pas
besoin d’avoir peur. Je travaille, je vais baigner, je marche etc, seulement
par exemple la nourriture ici à la maison est plus simple qu’à l’hôtel et cela me convient mieux. Mr. Fraay est
loin aussi , de sorte que nous sommes les deux femmes à la maison ensemble avec
la petite fille de 9 ans qui, elle aussi, brode des bavettes pour le bébé de
Tante Nelle, comme elle dit ! La semaine prochaine Mme Fraay ira rejoindre
son mari pour quelques jours, alors j’irai loger chez Tante Engel qui se
réjouit déjà de m’avoir. Tu vois que je n’ai pas à me plaindre. Le seul nuage
de notre ciel, c’est que vu la situation en Europe, personne ne va en congé,
tout le monde reste ici à attendre comme nous que la guerre prenne fin. La conséquence, c’est que les entreprises ont
partout sinon trop du moins assez de monde et ce qui est très ennuyeux
spécialement pour nous en ce sens qu’il y a une grande pénurie de maisons
partout mais surtout à Batavia. Il paraît que c’est formidable, quand une
maison devient libre, il y a déjà 50 intéressés avant même qu’elle soit vide.
Je me demande ce qui adviendra de nous. Nous pourrions avoir un flat meublé,
superbe, mais pour Fl. 400.- par mois, alors Oscar a dit à Elout que si nous
recevions un salaire de Fl. 1000.- nous penserions à prendre ce flat, mais
aussi il n’en est pas question. Financièrement nous n’avons aucun profit d’être
à Batavia, où notre salaire sera de Fl. 625.-. Il nous faut compter Fl. 125.-
de loyer par mois plus eau, lumière etc, et pas de docteur ni pharmacie libres,
tels que nous l’avions à Kediri. Oscar est furieux et moi ça m’embête aussi,
car nos dépenses vont augmenter. Naturellement que je saurai bien nouer les
deux bouts, quand il le faut je le puis bien, à condition que nous ayons la
santé. C’est vrai que cela n’ira pas tout à fait sans peine car petit à petit
nous avons mené une vie plus large, plus confortable et maintenant il s’agira
de nouveau de serrer la ceinture
pour bien des choses. Pour moi, ça va sans peine, mais Oscar est moins souple
sur ce terrain là, il aime bien ses aises, mon Boili ! Enfin, qui vivra verra,
et quand je pense à vous tous et à tout ce dont vous devez probablement vous
passer, j’ai presque honte d’oser faire la moindre remarque à ce sujet.
Papa W.
nous a enfin écrit, la première lettre depuis août. Il nous dit gentiment que
nous devons nous adresser à lui si jamais nous avons besoin d’appui financier,
car il ne faut en aucun cas que je me fasse le moindre souci de ce côté-là.
Pour le moment, ce n’est pas nécessaire, mais c’est toujours une idée
tranquillisante de savoir qu’on a quelque part une perche de secours.
Moi aussi,
je prie beaucoup et ça me donne une telle confiance et sérénité. Je n’ai pas de
peine à être gaie, malgré tout je le suis même plus qu’avant. J’ai un tel
bonheur en moi, que ça rayonne même en dehors. Je n’ai aussi pas à me plaindre
et les petits bobos je les supporte même avec plaisir, car je sais que tout
passera une fois, et alors la joie sera si grande ! Pendant que
j’emballais j’ai commencé à avoir les pieds enflés, mais je n’ai rien dans
l’urine. Le dr. m’a conseillé de ne pas manger beaucoup d’œufs ni trop de
viande mais surtout des légumes et des fruits. Aussi à part le « ränzli »
(petit ventre) je n’engraisse pas
énormément.
Voilà,
j’ai interrompu ma lettre pour aller dîner, une rijsttafel excellente, avec la
conséquence que j’ai trop mangé, je suis allée me coucher un peu et ma siesta a
été trop longue. Maintenant la lettre doit partir au plus vite. Je reste donc à
Kediri, soit chez Mme Fraay ou Engelhart jusqu’à nouvel avis. L’adresse des lettres reste donc Mexolie.
Nous ne savons pas encore exactement quand nous irons à Batavia, peut être pour le 1er décembre.
Un bon
baiser à chacun et toutes mes bonnes pensées. Mes garçons me regardent, l’étui
est ouvert sur la table, mais moi je ne vous regarde jamais !
Ge…..
P.S.
J’ai de
nouveau découvert un chapeau de pêche
Padre, mais le prix en a plus que doublé, il revient à Frs. 8.- faut-il quand
même l’acheter ?
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