Kediri
6 septembre 1939
A sa maman
J’ai reçu
hier ta lettre no 217 et t’en
remercie mille et mille fois. Tu ne peux pas t’imaginer le plaisir, la joie
profonde qu’elle m’a faite, car je n’attendais plus de vos nouvelles pour bien
longtemps, vu que le trafic par avion était interrompu. La lire et la relire et
l’embrasser, je n’ai fait que cela. Je me dépêche maintenant aussi de vite vous
écrire un petit mot seulement, car je n’ai plus beaucoup de temps avant le
départ du courrier, tout de même j’espère qu’elle arrivera à temps et ce sera
toujours mieux que rien.
Nous avons
été informés par la radio hier que les communications par avion avec la
Hollande avaient changé d’itinéraire mais qu’elles avaient repris normalement.
Espérons-le.
chüyer chäpeli |
Avant que
je l’oublie, j’aimerais encore te remercier une fois pour la belle étoffe de
Leni que j’ai reçue en bon état, ainsi que le fanion qui pend à la glace de ma
table de toilette.
un fanion |
Je vais le faire double pour en faire une belle, belle
pochette qui pourra contenir des objets de toilette de notre petit
prince !!! Car bien qu’il soit hollandais, il faut qu’il soit bien au
courant de sa deuxième patrie ! Il aura également des Edelweiss et des
Alpenrösli brodées sur ses petites chemises, j’en prendrai les modèles à la
petite « chüyer chäpeli » (petit
chapeau de berger) que tu m’as envoyée.
Comme le
temps presse, je ne veux pas répondre en long à ta 217, mais vous informer de
ce qui se passe ici. Nous nous portons bien, c’est à dire que Boili a encore
toujours un peu les intestins en désordre. Le médecin lui avait encore une fois
fait faire une cure de diatren, et ensuite ce sera à moi de le remonter avec un
bon petit régime. Il a mauvaise mine, mais cela provient aussi des nerfs, car
il s’en est terriblement fait à l’annonce des mauvaises nouvelles d’Europe.
Quant moi, j’en ai été malade 2 jours,
j’ai terriblement pleuré, je ne pouvais pas me retenir d’être triste, surtout
que nous nous attendions aussi à ce que Boili soit mobilisé.
Und i
gloube dass es das isch wo der Bueb ganz chrank gmacht het. Es isch ihm
schrecklich wenn er mi eleini muess lo i däm zuestand. I hätt das nie dänkt,
dass es eso tief geit, aber woni’s gmerkt ha do wohl gugger, de hani mi zäme
gbnoh un jetze geits mit mir ganz guet und es foht ou a mit ihm wieder besser
z’goh, dä arm lieb, lieb Bueb. Geschter bin i bim zahnarzt gsy, i muess drum jetze guet mit myne zähn ufpasse i
dere zyt. I han ihm gseit gha dass i angscht heigi, i do isch me mit mer cho. I
ha nume fange zwöi glyni löchli gha, u der zaharht het se gfrad i eim zue
gehandlet. Es het mer nid weh toh, aber i ha einisch us luter gwohnheit d’ouge
ze toh, u do isch me chrydewyss worde und der schweiss isch ihm uusbroche, nume
bym gedanke, dass i jetze muessi lyde. Wohl bäbk, das het mer du d’ouge uuf
toh, i hätt toch nie dänkt das es eso tief giet i Weiss u fuehe jo dass me mi
gärn het aber eso ! nei, das hätt i halt no nid dänkt. Du hesch es guet
gseit Rötteli, es isch hie es glück im winkel, ganz versteckt, aber so
tief !
Mit mir
geit es guet, weni einisch use pläret gha ha, bin i ruhig und gfasst worde und
jetze bin i so wie Du, Rötteli liebs, i nime ds läbe wie nes chunt. I cha toch
mit pläre nüt hälfe, weder Euch allne, no anderne, gägeteil und jetze
schüttleni das alles vo mer ab u bi fröhlech und munter wie süsch.
Traduction
Et je crois que c’est ce qui a rendu Buby si malade. C’est une horreur
pour lui de me laisser seule dans cet état. Je n’aurais jamais pensé que ce
serait si profond, mais lorsque je l’ai remarqué, tonnerre, je me suis dominée
et maintenant je vais très bien et lui va aussi mieux, le pauvre Bueb. Hier
j’ai été chez le dentiste, je dois faire bien attention à mes dents maintenant
pendant cette période. Je lui ai dit que j’avais peur, alors il m’a
accompagnée. Je n’ai que deux petits trous et le dentiste les a tout de suite
réparés. Cela ne m’a pas fait mal, mais par habitude j’ai fermé fort les yeux
et « on » est devenu tout pâle et on a transpiré, juste à l’idée que
j’avais mal. Tu penses, cela m’a ouvert les yeux, je n’aurais jamais pensé que
ce serait si profond. Je sais bien que l’on m’aime, mais cela je ne l’aurais
jamais pensé. Tu l’as bien dit, Rötteli, il y a ici un bonheur dans le coin,
tout caché mais si profond !
Je vais bien, une fois que j’ai vidé mon cœur, je suis tranquille et
sereine et maintenant je suis comme toi, Rötteli chère, je prends la vie comme
elle vient. Pleurer ne sert à rien et vous aide pas, ni les autres, au
contraire, je me détache de cela et je suis joyeuse et de bonne humeur comme
d’habitude
Je me
porte bien, je vais nager presque tous les jours, madame Fraay vient toujours
me chercher, car elle aime aussi y aller, et le soir bien souvent nous allons
encore marcher. Mais c’est surtout ces bains d’air et de soleil qui me font du
bien, nous y restons environ une heure et demie tous les matins. Je nage 2 fois
autour du bassin, et ensuite je vais m’étendre au soleil il fait tellement bon.
Après dîner je m’endors comme une marmotte. Cela me détend les nerfs, tu
devrais voir comme j’ai bonne mine et comme je suis reposée.
Samedi
prochain j’ai l’intention d’aller chez le docteur à Soerabaya, plutôt par
acquis de conscience que par nécessité, car je ne saurais pas ce qui peut me
manquer. Je prends encore toujours ce nestrovit, je n’ai pas encore vomi et
peut être bien que ce ne sera pas nécessaire, il y a bien une chose à laquelle
je dois faire très attention c’est de toujours manger à temps. Environ toutes
les deux heures je mange quelque chose beaucoup de fruits mais aussi des gschwelti
(pommes de terre en robe des champs).
J’en ai avalé 6 hier soir, en riant !!!
Informez-vous
au bureau de poste quand et comment vous devez envoyer vos lettres on peut
ainsi gagner du temps et de la sécurité. Tu m’écriras aussi si tu as reçu ces
Frs. 100.-. Oh, mes chers, c’est terrible de penser que nous sommes de nouveau
au même point qu’en 1914, même pire. Nous sommes toujours pendus à la radio et
avons deux fois par jour les derniers bulletins en hollandais, puis nous
écoutons les émissions anglaises allemandes et françaises, toutes nos soirées
se passent ainsi. Pendant ce temps, je cous à mes petites chemises et cette
joie tient bien l’équilibre contre les nouvelles plus ou moins alarmantes.
Pour en
venir au petit trousseau, laisse-moi te dire qu’il ne faut rien du tout
m’acheter. Si les temps avaient été meilleurs, tu aurais eu l’occasion de me le fournir presque complètement,
mais maintenant avec ces communications incertaines on ne sait jamais si les
choses arrivent ou pas et ce serait dommage que quelque chose se perde. J’ai
bien été tentée de faire et vouloir un tas de jolies choses pour notre
premier-né, mais j’ai tout à fait abandonné cette idée, les temps sont trop
sérieux pour penser à quoi que ce soit de luxe. Je me bornerai maintenant à
tout faire pour avoir un enfant sain, bien portant, premièrement en me portant
bien moi-même sous tous les rapports, et une fois qu’il sera là, il ne manquera
de rien qui soit nécessaire à sa santé et à son bien être, mais rien de plus.
Toutefois tu peux être certaine que son petit trousseau, quoique sans luxe,
sera très joli tout de même. A cet effet, madame Fraay m’a prêté un tas de
journaux, Modes et Travaux, un des meilleurs journaux français, Banely le
connaît aussi. J’ai trouvé là dedans des idées merveilleuses, des choses
jolies, jolies pour décorer les petites chemises etc. Un trousseau ici se
compose tout différemment de ce qu’il faut pour un bébé en Europe. Pour t’en
donner une idées, je te fais plus bas une liste de tout ce qu’il me faut, ceci
t’évitera surtout de m’acheter des choses inutiles. A l’âge de 3-4 semaines, on
laisse les bébés tout nus pendant la plus grande partie de la journée.
De tante
Engel, j’ai reçu le cadeau presque le plus utile que je puisse me souhaiter.
C’est un livre intitulé « Het baby boek » voor de huisvrouw in Indie (le Livre de Bébé pour la maîtrese de maison
aux Indes). Là dedans, je trouve tout, tout ce qui a rapport à un trousseau
de bébé, avec les patrons etc. pour les habits, comment il faut arranger le
berceau, comment il faut installer la chambre, concernant l’hygiène des
biberons de bouteilles, etc, comment il faut organiser le travail des baboe
pour qu’elle n’ait pas l’occasion de s’occuper de l’enfant, mais qu’elle soit
utile quand même quand la mère est occupée à nourrir l’enfant, à le baigner
etc. Ce livre est édité par la Gemeinnütziger Frauenverein des Indes
Néerlandaises, et surtout destiné à celles qui deviennent maman pour la
première fois.
Pour le
moment, je ne crois même pas que des choses de Max me seraient utiles, mais
plus tard, quad l’enfant sera un peu plus grand, alors ces beaux petits spielhösli
(petits pantalons) qu’il fait, cela
sera joli et bienvenu !!!
Naturellement
que je reçois de l’aide et des bons conseils de tous les côtés, mais ceux que
j’aime le mieux, ce sont encore ceux d’une certaine Rötteli, car j’y trouve
tant d’amour et de cœur ! Tu n’as aucune idée comme tes lettres rayonnent
en moi, comme elles m’apportent la paix et la joie la confiance et de la
facilité de vivre. Mynes Rötteli de mon cœur, et dire que nous sommes
maintenant séparées ainsi par une guerre ! Mais c’est comme tu dis, nous
sommes dans le cœur l’une de l’autre, et cela aucune guerre, ni rien en ce
monde-ci ne peut nous l’enlever. Comme toi, je vis au jour le jour, je prie et
je saurai garder ma confiance intacte.
Dis aux
garçons que je comprends trop bien qu’ils n’ont pas le temps de m’écrire,
d’ailleurs ce n’est pas du tout nécessaire, dis-leur cela. Nous nous aimons
assez les uns les autres pour avoir confiance en notre affection réciproque et
savoir attendre. Il en est de même de mon Padre, et cher Macaroni de mon cœur.
Il y a eu un moment où je regrettais presque d’attendre un petit enfant
maintenant, dans des temps pareils, mais au sortir de ma crise de tristesse,
j’ai senti que cela même était un bienfait que Dieu m’envoyait, car la nouvelle
vie qui se forme en moi, m’attache
ici, mes pensées et mon cœur qui, autrement seraient trop souvent auprès et
avec vous en Europe. Sans vous aimer moins, au contraire, je sens tout de même
en moi un nouveau lien qui m’attache encore plus étroitement à Oscar et m’aide
à supporter avec plus de résignation la séparation d’avec vous tous que la
guerre est brutalement venue nous imposer.
Pour en
revenir à ta lettre, si tu n’as pas encore acheté cette laine cyclamen, ne le
fais pas et voici pourquoi. J’ai encore beaucoup de jolies blouses que tu m’as
envoyées. Je ne les mets pas souvent, car ici il fait trop chaud. Elles m’ont
rendu d’immenses services à la montagne, à Batoe, où je ne portais que cela,
mais en des endroits pareils, des petites blouses genre sport me rendent plus
de service que les blouses habillées comme le serait celle couleur cyclamen. Tu
ne m’en veux pas si je t’écris ouvertement. Et puis, j’ai d’autres désirs.
Voici la
liste des choses nécessaires au petit trousseau :
60 petits draps
qu’on achète tout prêts, déjà lavés et emballage stérile
18 bandes pour le petit nombril
qu’on achète aussi faites dans un tissus spécial et livrées par la
pharmacie
18 petites chemises en 2 grandeurs
je les fais de ce mansouk que j’avais acheté d’Alexandre
6 chemises dito,
mais avec manches pour la nuit
6 mantelets en coton mercerisé
pour les nuits froides. On peut très bien les acheter ici, car il n’en
faut pas des trop épais
6 sacs de nuit en flanelle et en tissu poreux,
dont j’ai de très bons patrons et que je saurai faire moi-même
4 – 6 paires de petites chaussettes
pour les premiers temps. Les enfants portent ces petits bas les
premières semaines. Il s’agit seulement de petites chaussettes tricotées en
grosse laine douce… qui pourrait venir de Suisse !!! Muesch
es velo ha ? (t’as besoin d’un vélo ?= tu comprends?)
2 pièces de drap gommé
qu’on achète ici sans difficulté
6 linges de toilette
que je prends de mon trousseau, car j’en ai encore qui n’ont pas servi
24 molletons pour le berceau
qu’on achète ici tout faits, sans difficulté
6-8 taies d’oreiller
que je coupe du mansouk d’Alexandre, et que je broderai joliment
6-8 taies pour goelings (autre coussin), dito
6-8 draps de lit ou de berceau
que je découpe dans des draps de moi déjà usés ou tachés.
J’en ai quelques un ainsi, car Oscar en déjeunant au lit quand il est
malade, ne peut jamais le faire sans m’abîmer au moins un draps par jour de
taches de fruits qui ne s’enlèvent plus. Alors je couperai les morceaux encore
intacts et cela fera de bons draps doux pour le baby.
2-3 draps de dessus
qu’on emploie très rarement mais que je ferai dans ce mansouk brodés
comme les taies d’oreiller, plutôt par coquetterie que par nécessité
2-3 petites couvertures
en molleton ou flanelle pour les nuits très froides. J’ai déjà acheté du
molleton à cet effet.
Ce que j’aimerais bien, c’est un
petit cape pour bien emballer le baby s’il faut le transporter en auto.
J’ai l’intention d’en faire un en satin matelassé, mais si une certaine Rötteli
tient à en crocheter ou tricoter un, eh bien, avis aux amateurs !
Voilà tout le trousseau nécessaire, tel qu’il est conseillé dans le baby
boek, et que je tiens à l’avoir prêt dans trois mois Naturellement que je
recevrai un tas de choses telles que des petites chemises fantaisies, etc. des
petits mantelets en soie lavable, des bavettes etc.
J’ai déjà 5 petites chemises, cousues à la main que je vais broder et
orner de petites valenciennes. Nous n’achèterons pas de chambre d’enfants, mais
je ferai peindre en crème et argent les meubles de notre chambre de visite
actuelle et cela fera très bien l’affaire. Pour le bain, nous achèterons une
grande seille émaillée que Boili va orner de petits canards peints. Quant à
tout le reste, vous pouvez vous fier à moi pour faire quelque chose de gentil
avec un minimum d’argent et de moyens. J’achèterai quelques mètres d’une jolie
toile fleurie avec laquelle je garnirai le berceau et la chambre et voilà.
Ce matin pour aller au bain, j’ai repris mon ancien costume de bain que
tu m’as tricoté, et qui est encore toujours intact, alors que celui de Schürch,
le rayé, n’est plus mettable, il lâche tout partout, et seulement les rayes
blanches. En temps ordinaire, je te le renverrais et tu pourrais le lui
montrer, car ce n’est pas en ordre. Je ne l’ai mis que 2 mois au plus et jamais
dans de l’eau de mer, et je l’ai toujours fait sécher moi-même, à l’ombre et
emballé dans un linge, il n’y a donc pas faute de ce côté-là. Je vais m’en
acheter un à Soerabaya quand j’irai samedi, un tout simple et foncé que je
pourrai mettre pendant les prochains mois !!! Après je regarderai de
nouveau à l’élégance !
Maintenant je vais vous quitter, mes chers tous, il est temps que la
lettre parte. Je suis si heureuse que la neutralité de la Suisse ait été
reconnue, ainsi je vous sais encore en sécurité relativement. Je ne veux
toutefois rien écrire concernant la situation, car il se pourrait que nos
lettres soient ouvertes et soumises à la
censure et alors je ne veux pas courir le risque qu’elles soient retenues
pour l’une ou l’autre raison. Sachez seulement que nous vivons intensément et
cœur et âme avec vous tous en Suisse et en Hollande.
Mille bonnes pensées et toute notre affection à chacun de vous…….
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