jeudi 11 mai 2017






Kediri

25 août 1939

Mes bien chers tous,

Je vous écris à la main parce que Boili emploie la machine, et je ne veux pas attendre plus longtemps avant de vous donner de nos nouvelles. J’ai déjà attendu trop longtemps et j’en ai des remords maintenant avec toutes ces affreuses nouvelles de la situation en Europe. Dans quel état vous devez vivre, mes chers, je peux me le représenter par l’état dans lequel nous vivons nous-mêmes ici. Jusqu’à présent Oscar a toujours caché toutes les nouvelles alarmantes pour moi, mais maintenant il n’y a plus moyen et il faut bien que je me rende compte de la situation. Naturellement que mon cœur et mes pensées s’en vont vers vous mes chers tous. Je trouve terrible de ne pas pouvoir vous aider, vous protéger, vous venir en aide en quoi que ce soit, et je m’en veux de ne pas vous avoir écrit plus souvent car s’il arrive quelque chose la correspondance en souffrira. Mes chers, je prie pour vous, c’est tout ce que je peux. Je veux avoir confiance et veux tâcher de me conduire aussi « courageusement » que vous le ferez, en vrais Suisses.
Tout d’abord, je voudrais vous ôter un souci parmi tous ceux que forcément vous vous faites : c’est de ne pas vous en faire pour nous ici. Quoi qu’il arrive, nous ne manquerons jamais du nécessaire, le pays est si riche et le sol si fertile qu’il y a toujours à manger. Donc matériellement nous ne manquerons de rien. Même si mes lettres ne devaient pas vous parvenir régulièrement, vous n’avez aucun souci à vous faire pour moi. Ma santé aussi est bonne, il me semble qu’elle s’améliore de jour en jour et si ce n’était que j’ai toujours faim, je me croirais tout à fait normale. Je vais baigner et prendre un court bain de soleil tous les jours, ce qui me fait un bien énorme. J’ai meilleure mine que durant toutes ces années et j’engraisse. J’ai déjà beaucoup de robes que je ne peux presque plus porter. Il n’y a donc pas à vous en faire que de vous réjouir. J’ai commencé hier à faire la première petite chemise et Boili me regardait travailler.
En ce moment il est à la maison, au lit pour quelques jours. Le docteur a constaté un peu de malaria et son estomac ne semble pas en ordre, mais je crois que le docteur le met surtout sur le compte des nerfs et de la fatigue. Elout est encore toujours ici. Il me tarde qu’il parte et que nous puissions reprendre une vie tant soit peu régulière.
Merci de ta chère épître 215, Rötteli mia, et de toutes les autres lettres qu’elle contenait et qui m’ont fait tant plaisir. Remercie chacun mille fois. Je veux toujours écrire, mais avec tout ce monde dans et par la maison, je n’y arrive pas. Heureusement que j’ai un très bon djongos, mais justement aujourd’hui il est malade, alors c’est moi qui dois y en mettre un peu plus, mais cela ne me gêne pas. 

Je vous envoie encore frs.s. 100.- par avion aujourd’hui, car vous en aurez sûrement besoin, soit pour l’une ou l’autre chose à acheter, etc, ou à installer dans le Chalet. Acceptez-les de bon cœur, comme c’est donné de la part d’Oscar et de moi. Je peux faire si peu pour vous et je vous aime tant, mes chers tous. Ma Rötteli et mon Padre, je vous ai devant moi en écrivant et je pense naturellement beaucoup aux garçons, mes petits frères.
Les hommes sont ici dans la chambre vers Boili et discutent de nouveau, je veux pourtant essayer de me concentrer pour continuer ma lettre qui a été interrompue par des visites diverses pour la plus grande partie de la matinée.
Je viens de recevoir vos 3 photos de votre beau tour par la Suisse. Merci, merci mille fois. Vous ne savez pas le plaisir que cela m’a fait de voir vos bonnes binettes gaies et heureuses. Sitôt que Boili sera mieux je veux aussi que quelqu’un fasse une photo de nous deux, pour que vous aussi vous ayez du plaisir à nous voir et que vous puissiez vous réjouir de ma bonne mine. C’est fantastique, tout le monde me le dit. Je suis si contente que vous ayez eu du plaisir et je vous trouve bien, chacun : ma Rötteli avec son  hübsche Hüteli et mon Ma-ca-ca est plus Macaroni que jamais. Je suis contente que tu aies aussi bonne mine, mon Padreli. Est-ce que tu dois toujours marcher avec une canne ? A cause de tes rhumatismes ? Qu’est-ce que tu portes dans la boutonnière ? une montre ? Je trouve l’habit pas mal, il te va ! Quant à la binette, je n’ai pas de critique sauf une immense envie de l’embrasser, mon Macaroni à moi. Puisque nous en sommes là, je veux déjà maintenant te dire tous nos voeux pour le 23 septembre (anniversaire du Padre), comme je serai en pensées avec toi, avec vous tous ce jour-là spécialement. Padre, il y a longtemps que nous avons ici un petit cadeau pour toi, seulement je n’ose pas bien l’envoyer. Je n’ai pas voulu le donner à Boy Engelhart pour éviter une excuse de visite, ni à Mily, qui doit être en Suisse en ce moment. C’est une petite boîte à cigarettes, ou cigares ou n’importe quoi, en argent, avec les dates de l’ELEM, 1889 – 1939. La poste ici n’a pas voulu l’accepter en petit paquet parce que j’ai indiqué une valeur, et si je ne trouve pas d’autre solution, je l’enverrai par coli postal, si la situation s’améliore. Je te l’écris ici, faute de mieux comme cadeau de fête ! Le meilleur que je puisse souhaiter à part la santé de vous tous, c’est que vous puissiez fêter ce jour « en paix ».
A chaque instant nous sommes pendus à la radio, mais aujourd’hui les nouvelles ont été très vagues, sauf des mobilisations partout. Garçons, je pense que vous êtes aussi sous les armes et je pense tant à vous. Vous me comprenez sûrement, hein ?
Les Sayers reviennent d’Europe le 4 octobre, mais nous ne savons pas encore s’ils reviendront à Kediri.
Nelly août 1939
Merci d’avance pour le thé, Mamms, je le boirai comme tu me le conseilles, mais grâce à ce Nestrovit, je me porte à merveille, il y a énormément de gens qui le prennent ici et je le conseillerais aussi aux garçons c’est en forme de petits chocolats.


Tous mes bons vœux aussi à Minna, pour sa fête. Je penserai aussi à elle spécialement ce jour-là. Je pense toujours souvent à chacun, seulement j’ai souvent tant de monde ici que je ne puis pas écrire. Tantôt aussi, j’avais 4 hommes autour du lit de Boili, alors il faut leur offrir à boire et écouter ce qu’ils ont à raconter et répondre à leurs taquineries aussi. Ach, c’est gentil, toutes ces amitiés sans façon, seulement ça fait perdre du temps !
Je prie pour vous et vous embrasse chacun de tout mon coeur qui bat tellement pour vous. Et si c’est nécessaire courage ! je l’aurai aussi, je vous le promets.
Votre Ge…. et son Boili






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