Tjilatjap
10 novembre 1938
Merci
infiniment pour ton épître 194 qui a
été lue avec le plaisir ordinaire. Avant d’y répondre, je dois te raconter pour
quoi je ne t’ai pas écrit plus vite. La Näggeli a une nouvelle passion, c’est
de faire des Eiernuudle (nouilles aux œufs). Et si je les
réussis !!! Tu devrais voir cela, ce sont des merveilles. J’ai commencé de
les faire un jour que Buby était en tournée, et j’en ai mangé un plat immense,
de telle sorte que j’ai juste pu me lever de table et me traîner sur mon
lit ! Elles étaient
excellentes et j’en étais si fière, mais je dois dire qu’à la maison elles me
paraissaient encore meilleures. Comme j’étais seule, il n’y avait personne pour
les chiper, je pouvais en manger à mon gré ce qui fait que cela me paraissait
moins bon. Aujourd’hui j’en ai fait de nouveau, et la madame Kleber ici, cette
Norvégienne, elle en est folle aussi. Mais aussi tu devrais voir, ces nouilles
sont minces comme des feuilles de papier, et elles glissent comme des huîtres.
Enfin, quoi, pour les eiernuudle je suis un as ! T’es pas jalouse, cara
mia ?
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nouilles aux oeufs |
Ma recette ?: une demi livre de farine,
4 œufs, c’est tout. D’abord j’ai aussi mis un peu d’eau, mais pas pour les
derniers vu que j’ai ajouté un œuf. Seulement il me faut dire ceci : plus
je travaille la pâte, plus elle devient humide et elle colle aux doigts.
Faut-il la travailler longtemps ou très peu ? Je peux si bien les sécher au soleil ici, cela devient
sec comme des macaronis qu’on achète, alors je les mets en boîte et je peux les
conserver. Maintenant j’en ai encore pour un dîner.
J’ai
encore une autre nouvelle, c’est que je porte mon beau costume de bain tilleul.
J’ai fait un cordon de la même couleur que je passe dans deux anneaux cousus
aux côtés ce qui donne l’air plus habillé. Je n’ai pas encore été baigner avec
Oscar, mais je profite d’aller avec Elly Oliemans tous les matins une heure et
nous prenons des bains de soleil ce qui me fait un bien énorme. A Kediri je
n’aurai plus la mer, mais je crois qu’il y a une piscine. Faudra voir ce que
c’est. Je suis tout de même contente de recevoir le costume de Schurch (le magasin) aussi, je peux très bien en
employer deux. Avec ce costume tilleul je porte une cape de bain argenté, c’est
très joli.
Nous en
avons fait des yeux en lisant la lettre de Loulou ! Bon sang, c’est pas
moi qui aurais jamais osé me conduire de la sorte soit par timidité soit par
diplomatie. Quand cette Ans ! Elle me fait penser à Margritli Kreis et
beaucoup à cette Hans van der Lee de Bandoeng, dont je t’ai déjà beaucoup
écrit. Je comprends maintenant pourquoi papa Woldringh ne pouvait cesser de
dire au téléphone : comme cela fait du bien d’entendre ta voix ! Mais
entre nous, je soupçonne bien la Auntie (la
deuxième épouse de papa W) d’y avoir joué un rôle aussi en tombant malade
ainsi juste à ce moment-là. Il faut aussi la connaître, la Peggy, elle voulait
m’en jouer des tours aussi à moi, mais la Näggeli avait les qualités d’une
anguille dans ces occasions-là.
Je suis
contente pour la Banely. Pourvu qu’elle
puisse y rester longtemps à cette place. Et à toi, je t’accorde d’être
enfin seule !
On nous a
écrit maintenant de Kediri pour nous faire la proposition de laisser nos
meubles ici, mais Oscar va répondre que non, nous les prendrons avec à moins
qu’ils puissent nous donner l’assurance depuis Batavia, qu’après Kediri nous
retournerons ici à Tjilatjap. Dans ce cas-là, il serait logique que nous ne transportions
pas nos meubles pour 8-10 mois. Enfin, on verra encore comment cela finira. En
tout cas, je ne m’en fais pas, tout vient comme cela doit dans la vie.
Der
Schpränzu, du weisch scho wär i meine, dä wo obena üüs schtoht, dä het mer
gseit : wenn di ma di nid hätt, so wär er no lang nid woner isch. Das hani
aber em beihose nid gseit, das sägeni nie, aber i gloubes scho ne chli. (le supérieur de Oscar (Elout) m’a
dit : si ton mari ne t’avait pas, il ne serait pas là où il est. Je n’ai
rien dit à Oscar, jamais, mais je le crois bien aussi).
J’ai reçu
hier une très belle et gentille lettre de Annie Elout. Cela m’a fait plaisir.
Oui, je
vois que tu as aussi toujours quelque chose going on, tant mieux, mais pourvu
que tu ne te fatigues pas trop. Voilà que tu me gâtes de nouveau avec un petit
pullover, Mamms, vraiment, je ne suis pas du tout contente, surtout que tu ne
dois pas tricoter, tu le sais très bien. Et encore un pour Buby, c’est vraiment
trop, quoique quand je le lui ai dit, il a ri d’une oreille à l’autre de
plaisir. Le Boili est complètement rétabli de son angine et ce qui me fait le
plus de plaisir, c’est qu’il ne fume encore toujours pas. Voilà un mois qu’il n’a plus touché une cigarette, alors qu’avant il en
fumait 40 par jour.
J’ai de nouveau
été jouer au golf cette semaine, j’y retourne demain matin, c’est pourquoi je
n’ai pas été jouer au tennis ce soir, seulement Boili y a été. J’évite de trop
me fatiguer vu que je le serai encore assez quand il me faudra emballer.
Cette
semaine j’ai eu la visite de Mr. Fraay, le technical advisor. J’ai aussi eu un
tas de monde, pour souper, pour la rijsttafel
etc. maintenant que les gens savent que nous partons, chacun vient encore chez
nous. Ce week-end j’aurai aussi du monde. La semaine passée les Oliemans sont
partis pour deux jours, alors j’ai gardé les enfants, et Oscar et moi avons été
vivre là chez eux, nous avons aussi dormi là. Hier soir j’ai eu des visites, ce
soir j’en ai de nouveau etc, etc, ainsi le temps file comme un voleur et je
n’arrive jamais à faire tout ce que je voudrais. Je suis aussi en train de
liquider ma correspondance de Noël, c’est la quatrième lettre que j’écris
aujourd’hui. Et voilà, Mamms, toutes les nouvelles que j’ai à te donner pour
cette fois. Il ne faudra pas te tourmenter si je n’écris plus très souvent, du
moins très irrégulièrement, car tu comprends avec toutes ces visites à
recevoir, à faire, et mille une choses à liquider, le temps passe plus vite que
je ne le réalise.
Je peux
t’assurer que pour le moment tout va bien ici concernant la santé de nous deux.
Et aussi le reste, vraiment il n’y a aucune raison de te faire du souci si tu
ne reçois pas de lettre pendant un certain temps. Il ne faut pas non plus t’en
faire pour moi, je sais très bien me tirer d’affaire et je ne me rends pas
nerveuse au moins. Mais non, ici on apprend trop bien à prendre les choses
facilement.
Je viens
de faire une petite visite à madame Kleber, et je vais lui envoyer le reste de mes nouilles, elle les trouve
si bonnes, et c’est justement du manger pour une malade.
Tu me
demandes si je n’ai pas un désir pour Noël. Mamms mia, avec la meilleure
volonté du monde je n’en ai pas pour le moment, et stpl, ne te creuse pas la
tête pour m’envoyer quelque chose. J’aurai ce joli jumper, quelque chose que
j’aimerai plus que tout parce que cela me vient de toi, et je t’assure que si
je désire quelque chose, je ne me gênerai pas de te le demander. Ah oui,
pendant que j’y suis, j’aimerais bien de nouveau un petit corset de la Pauli,
mais pas du luxe, hein, je préfère en avoir un comme celui que tu m’as envoyé.
Je sais bien que je peux les avoir à Bandoeng, mais cela m’ennuie d’écrire, de
commander etc. et aussi ils sont moins chers en Suisse tout de même. Au
printemps tu m’enverras de nouveau de jolis souliers Bally, blancs. Pas
maintenant, car ils n’ont pas les beaux modèles d’été en cette saison. J’aime
donc mieux attendre au printemps pour avoir le dernier cri.
J’ai
immédiatement été voir pour un bol en laque japonaise plus grand, mais celui
qu’ils avaient ici était très grand et très, trop cher, trop cher. Je veux donc
attendre de pouvoir aller dans un autre magasin où ils auront plus de choix.
Dis-moi donc pourquoi tu le veux, alors cela facilitera mon choix.
J’ai aussi
déjà envoyé quelque chose pour une certaine fête, mais je ne dis pas quoi. Je n’ai
pas encore de chemises pour les garçons, il ne faut pas y compter pour Noël. Je
regrette, mais cela ne m’est pas possible. Toutefois je ne l’oublie pas, sois
tranquille.
Elly Oliemans
m’a aussi rapporté deux chapeaux de coolies pour le Father, ils ne sont
toutefois pas aussi grands que je l’aurais voulu, mais tant pis je vais essayer
de les envoyer tout de même si je peux. C’est des monstres et ce sera difficile
à emballer, je ne sais donc pas encore si vous les recevrez.
Il se peut
que j’aille encore à Bandoeng avant le déménagement parce que j’ai une dent qui
me fait mal et je dois aller chez le
dentiste. C’est justement une des deux dents de devant et c’est mieux si je n’attends pas trop longtemps.
Voilà, Mamms,
je n’ai vraiment plus rien à raconter pour ce soir, nous verrons demain matin.
Nous
sommes à vendredi matin, il fait de nouveau un beau soleil et j’attends le dr.
et ces dames pour aller jouer au golf pendant une heure ou deux.
Voilà, Mamms,
je suis de retour. J’ai très mal joué et juré comme un charretier. On est quand même gâtée ici : je
rentre à la maison et tout est bien en ordre, les chambres sont faites, le
dîner préparé, j’ai mon temps absolument pour moi. La baboe attendait même avec
mon kimono et mes pantoufles dans le cas où je voulais prendre une douche, dans
la glacière mon jus d’orange attendait aussi.
On est
gâté ici quand on sait organiser son monde, mais n’aye pas peur une fois de
nouveau en Suisse, je saurai vite m’adapter et tu me retrouveras pas plus gâtée
que la Minna. Naturellement je me fais servir ici parce que je serais bête de
travailler moi-même avec tant de domestiques, mais au fond de moi-même je reste
toujours indépendante et peux parfaitement me passer de leurs services, je
t’assure.
J’ai reçu
une lettre de Kitty cette semaine. Elle m’écrit sérieusement que je devrais avoir des enfants maintenant,
que ce serait nécessaire pour notre bonheur et qu’il fallait me dépêcher sans
quoi je deviendrais trop vieille. Elle a bien raison en certains points, mais
je ne peux tout de même pas suivre son conseil de venir en Europe maintenant
dans le but de me fortifier et me rendre fit d’avoir des enfants. C’est une
lettre qui m’a bien remuée un peu, mais Oscar m’a de nouveau calmée en me
disant que c’était avant tout notre business à nous et pas celui de Kitty qui
ne comprend rien du tout de la vie aux Indes. C’est vrai, elle se fait une idée
tout à fait fausse d’ici, en voilà une qui ne pourrait jamais, jamais s’y
faire, parce qu’elle voit les choses d’un point de vue absolument faux.
Pourtant tu ne lui diras jamais rien de cela, elle ne me veut que du bien, elle
n’en peut rien si elle n’est pas assez broad-minded pour comprendre la vie
telle qu’elle est hors de Hollande. Oscar la trouve narrow-minded, et je pense
qu’il y a encore beaucoup de connaissances que nous trouverons ainsi quand on
les reverra.
Cette
fois, je te quitte. N’oublie pas de donner des muntschis au Padre et aux
garçons de votre Ge…… et son Boili
Note de l’éditeur :
Recette
des nouilles : 1 œuf
entier, par 100 gr de farine blanche, très peu de sel, bien pétrir jusqu’à
obtention d’une pâte lisse, laisser reposer 1-2 heures, et abaisser le plus
mince possible, couper en lamelles de la largeur souhaitée…..laisser sécher au
soleil indonésien…..
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