jeudi 2 février 2017




Tjilatjap


10 novembre 1938


Merci infiniment pour ton épître 194 qui a été lue avec le plaisir ordinaire. Avant d’y répondre, je dois te raconter pour quoi je ne t’ai pas écrit plus vite. La Näggeli a une nouvelle passion, c’est de faire des Eiernuudle (nouilles aux œufs). Et si je les réussis !!! Tu devrais voir cela, ce sont des merveilles. J’ai commencé de les faire un jour que Buby était en tournée, et j’en ai mangé un plat immense, de telle sorte que j’ai juste pu me lever de table et me traîner sur mon lit !  Elles étaient excellentes et j’en étais si fière, mais je dois dire qu’à la maison elles me paraissaient encore meilleures. Comme j’étais seule, il n’y avait personne pour les chiper, je pouvais en manger à mon gré ce qui fait que cela me paraissait moins bon. Aujourd’hui j’en ai fait de nouveau, et la madame Kleber ici, cette Norvégienne, elle en est folle aussi. Mais aussi tu devrais voir, ces nouilles sont minces comme des feuilles de papier, et elles glissent comme des huîtres. Enfin, quoi, pour les eiernuudle je suis un as ! T’es pas jalouse, cara mia ?

nouilles aux oeufs

Ma recette ?: une demi livre de farine, 4 œufs, c’est tout. D’abord j’ai aussi mis un peu d’eau, mais pas pour les derniers vu que j’ai ajouté un œuf. Seulement il me faut dire ceci : plus je travaille la pâte, plus elle devient humide et elle colle aux doigts. Faut-il la travailler longtemps ou très peu ? Je peux si bien les sécher au soleil ici, cela devient sec comme des macaronis qu’on achète, alors je les mets en boîte et je peux les conserver. Maintenant j’en ai encore pour un dîner.
J’ai encore une autre nouvelle, c’est que je porte mon beau costume de bain tilleul. J’ai fait un cordon de la même couleur que je passe dans deux anneaux cousus aux côtés ce qui donne l’air plus habillé. Je n’ai pas encore été baigner avec Oscar, mais je profite d’aller avec Elly Oliemans tous les matins une heure et nous prenons des bains de soleil ce qui me fait un bien énorme. A Kediri je n’aurai plus la mer, mais je crois qu’il y a une piscine. Faudra voir ce que c’est. Je suis tout de même contente de recevoir le costume de Schurch (le magasin) aussi, je peux très bien en employer deux. Avec ce costume tilleul je porte une cape de bain argenté, c’est très joli.

Nous en avons fait des yeux en lisant la lettre de Loulou ! Bon sang, c’est pas moi qui aurais jamais osé me conduire de la sorte soit par timidité soit par diplomatie. Quand cette Ans ! Elle me fait penser à Margritli Kreis et beaucoup à cette Hans van der Lee de Bandoeng, dont je t’ai déjà beaucoup écrit. Je comprends maintenant pourquoi papa Woldringh ne pouvait cesser de dire au téléphone : comme cela fait du bien d’entendre ta voix ! Mais entre nous, je soupçonne bien la Auntie (la deuxième épouse de papa W) d’y avoir joué un rôle aussi en tombant malade ainsi juste à ce moment-là. Il faut aussi la connaître, la Peggy, elle voulait m’en jouer des tours aussi à moi, mais la Näggeli avait les qualités d’une anguille dans ces occasions-là.
Je suis contente pour la Banely. Pourvu qu’elle  puisse y rester longtemps à cette place. Et à toi, je t’accorde d’être enfin seule !
On nous a écrit maintenant de Kediri pour nous faire la proposition de laisser nos meubles ici, mais Oscar va répondre que non, nous les prendrons avec à moins qu’ils puissent nous donner l’assurance depuis Batavia, qu’après Kediri nous retournerons ici à Tjilatjap. Dans ce cas-là, il serait logique que nous ne transportions pas nos meubles pour 8-10 mois. Enfin, on verra encore comment cela finira. En tout cas, je ne m’en fais pas, tout vient comme cela doit dans la vie.

Der Schpränzu, du weisch scho wär i meine, dä wo obena üüs schtoht, dä het mer gseit : wenn di ma di nid hätt, so wär er no lang nid woner isch. Das hani aber em beihose nid gseit, das sägeni nie, aber i gloubes scho ne chli. (le supérieur de Oscar (Elout) m’a dit : si ton mari ne t’avait pas, il ne serait pas là où il est. Je n’ai rien dit à Oscar, jamais, mais je le crois bien aussi).

J’ai reçu hier une très belle et gentille lettre de Annie Elout. Cela m’a fait plaisir.
Oui, je vois que tu as aussi toujours quelque chose going on, tant mieux, mais pourvu que tu ne te fatigues pas trop. Voilà que tu me gâtes de nouveau avec un petit pullover, Mamms, vraiment, je ne suis pas du tout contente, surtout que tu ne dois pas tricoter, tu le sais très bien. Et encore un pour Buby, c’est vraiment trop, quoique quand je le lui ai dit, il a ri d’une oreille à l’autre de plaisir. Le Boili est complètement rétabli de son angine et ce qui me fait le plus de plaisir, c’est qu’il ne fume encore toujours pas. Voilà un mois qu’il n’a plus touché une cigarette, alors qu’avant il en fumait 40 par jour.
J’ai de nouveau été jouer au golf cette semaine, j’y retourne demain matin, c’est pourquoi je n’ai pas été jouer au tennis ce soir, seulement Boili y a été. J’évite de trop me fatiguer vu que je le serai encore assez quand il me faudra emballer.
Cette semaine j’ai eu la visite de Mr. Fraay, le technical advisor. J’ai aussi eu un tas de monde, pour souper, pour la rijsttafel etc. maintenant que les gens savent que nous partons, chacun vient encore chez nous. Ce week-end j’aurai aussi du monde. La semaine passée les Oliemans sont partis pour deux jours, alors j’ai gardé les enfants, et Oscar et moi avons été vivre là chez eux, nous avons aussi dormi là. Hier soir j’ai eu des visites, ce soir j’en ai de nouveau etc, etc, ainsi le temps file comme un voleur et je n’arrive jamais à faire tout ce que je voudrais. Je suis aussi en train de liquider ma correspondance de Noël, c’est la quatrième lettre que j’écris aujourd’hui. Et voilà, Mamms, toutes les nouvelles que j’ai à te donner pour cette fois. Il ne faudra pas te tourmenter si je n’écris plus très souvent, du moins très irrégulièrement, car tu comprends avec toutes ces visites à recevoir, à faire, et mille une choses à liquider, le temps passe plus vite que je ne le réalise.
Je peux t’assurer que pour le moment tout va bien ici concernant la santé de nous deux. Et aussi le reste, vraiment il n’y a aucune raison de te faire du souci si tu ne reçois pas de lettre pendant un certain temps. Il ne faut pas non plus t’en faire pour moi, je sais très bien me tirer d’affaire et je ne me rends pas nerveuse au moins. Mais non, ici on apprend trop bien à prendre les choses facilement.
Je viens de faire une petite visite à madame Kleber, et je vais lui envoyer le  reste de mes nouilles, elle les trouve si bonnes, et c’est justement du manger pour une malade.
Tu me demandes si je n’ai pas un désir pour Noël. Mamms mia, avec la meilleure volonté du monde je n’en ai pas pour le moment, et stpl, ne te creuse pas la tête pour m’envoyer quelque chose. J’aurai ce joli jumper, quelque chose que j’aimerai plus que tout parce que cela me vient de toi, et je t’assure que si je désire quelque chose, je ne me gênerai pas de te le demander. Ah oui, pendant que j’y suis, j’aimerais bien de nouveau un petit corset de la Pauli, mais pas du luxe, hein, je préfère en avoir un comme celui que tu m’as envoyé. Je sais bien que je peux les avoir à Bandoeng, mais cela m’ennuie d’écrire, de commander etc. et aussi ils sont moins chers en Suisse tout de même. Au printemps tu m’enverras de nouveau de jolis souliers Bally, blancs. Pas maintenant, car ils n’ont pas les beaux modèles d’été en cette saison. J’aime donc mieux attendre au printemps pour avoir le dernier cri.
J’ai immédiatement été voir pour un bol en laque japonaise plus grand, mais celui qu’ils avaient ici était très grand et très, trop cher, trop cher. Je veux donc attendre de pouvoir aller dans un autre magasin où ils auront plus de choix. Dis-moi donc pourquoi tu le veux, alors cela facilitera mon choix.
J’ai aussi déjà envoyé quelque chose pour une certaine fête, mais je ne dis pas quoi. Je n’ai pas encore de chemises pour les garçons, il ne faut pas y compter pour Noël. Je regrette, mais cela ne m’est pas possible. Toutefois je ne l’oublie pas, sois tranquille.
Elly Oliemans m’a aussi rapporté deux chapeaux de coolies pour le Father, ils ne sont toutefois pas aussi grands que je l’aurais voulu, mais tant pis je vais essayer de les envoyer tout de même si je peux. C’est des monstres et ce sera difficile à emballer, je ne sais donc pas encore si vous les recevrez.
Il se peut que j’aille encore à Bandoeng avant le déménagement parce que j’ai une dent qui me fait mal et je dois aller chez le dentiste. C’est justement une des deux dents de  devant et c’est mieux si je n’attends pas trop longtemps.  
Voilà, Mamms, je n’ai vraiment plus rien à raconter pour ce soir, nous verrons demain matin.
Nous sommes à vendredi matin, il fait de nouveau un beau soleil et j’attends le dr. et ces dames pour aller jouer au golf pendant une heure ou deux.
Voilà, Mamms, je suis de retour. J’ai très mal joué et juré comme un charretier. On est quand même gâtée ici : je rentre à la maison et tout est bien en ordre, les chambres sont faites, le dîner préparé, j’ai mon temps absolument pour moi. La baboe attendait même avec mon kimono et mes pantoufles dans le cas où je voulais prendre une douche, dans la glacière mon jus d’orange attendait aussi.
On est gâté ici quand on sait organiser son monde, mais n’aye pas peur une fois de nouveau en Suisse, je saurai vite m’adapter et tu me retrouveras pas plus gâtée que la Minna. Naturellement je me fais servir ici parce que je serais bête de travailler moi-même avec tant de domestiques, mais au fond de moi-même je reste toujours indépendante et peux parfaitement me passer de leurs services, je t’assure.
J’ai reçu une lettre de Kitty cette semaine. Elle m’écrit sérieusement que je devrais avoir des enfants maintenant, que ce serait nécessaire pour notre bonheur et qu’il fallait me dépêcher sans quoi je deviendrais trop vieille. Elle a bien raison en certains points, mais je ne peux tout de même pas suivre son conseil de venir en Europe maintenant dans le but de me fortifier et me rendre fit d’avoir des enfants. C’est une lettre qui m’a bien remuée un peu, mais Oscar m’a de nouveau calmée en me disant que c’était avant tout notre business à nous et pas celui de Kitty qui ne comprend rien du tout de la vie aux Indes. C’est vrai, elle se fait une idée tout à fait fausse d’ici, en voilà une qui ne pourrait jamais, jamais s’y faire, parce qu’elle voit les choses d’un point de vue absolument faux. Pourtant tu ne lui diras jamais rien de cela, elle ne me veut que du bien, elle n’en peut rien si elle n’est pas assez broad-minded pour comprendre la vie telle qu’elle est hors de Hollande. Oscar la trouve narrow-minded, et je pense qu’il y a encore beaucoup de connaissances que nous trouverons ainsi quand on les reverra.
Cette fois, je te quitte. N’oublie pas de donner des muntschis au Padre et aux garçons de votre Ge…… et son Boili


Note de l’éditeur :
Recette des nouilles : 1 œuf entier, par 100 gr de farine blanche, très peu de sel, bien pétrir jusqu’à obtention d’une pâte lisse, laisser reposer 1-2 heures, et abaisser le plus mince possible, couper en lamelles de la largeur souhaitée…..laisser sécher au soleil indonésien…..





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