jeudi 16 février 2017






Kediri

11 janvier 1939

A sa maman

Mais je les aime quand même tes Stämpere (longues lettres), elles n’ont qu’un défaut : elles ne sont jamais assez longues pour moi. C’est toujours fait comme exprès, tes lettres arrivent juste au moment où elles me font le plus plaisir, comme hier quand Buby repartait, ainsi j’ai eu ta lettre pour me tenir compagnie. Et tu vois, je te gâte aussi un peu, je t’écris de nouveau !
Merci, merci pour tous tes bons vœux et tes prières. J’ai encore juste pu chüschele (chuchoter) à l’oreille de Buby avant qu’il parte, que tu priais toujours pour son succès et il a été touché.
Ce bol japonais doit être employé avec l’assiette cela fait un, et c’est ainsi qu’on y sert la salade. Tu peux naturellement faire comme tu veux, je te le dis seulement pour que tu le saches.
Alors, il paraît que vous avez eu plutôt de la neige en Suisse, ce qui aura tempéré un peu ce grand froid. Je suis contente que vous ayez une bonne saison d’hiver, mais ne prenez pas froid. Oui, je sais que Tatali aimait tellement la neige, et elle en avait du temps pour la regarder tomber, pauvre âme. Je pense souvent à elle, maintenant que je suis souvent seule aussi, et je peux me représenter les sentiments qu’elle a eu toutes ces années de solitude. Le pire c’est que quand il était là, elle n’avait personne non plus, elle était seule aussi, et surtout tous ces dimanches qu’il ne voulait pas bouger. Mon Dieu, quand j’y pense !  Cela me donne toujours le frisson, aussi je fais bien attention de ne pas laisser cette habitude surgir ici chez moi. Non, de temps en temps cela va bien, mais autrement je fais toujours en sorte qu’il y ait une activité quelconque le dimanche. Ce soir je me suis coiffée en hauteur comme Tatali l’était dans le temps, je me la rappelle encore si bien, je l’admirais tant. Cela me va bien aussi cette coiffure en hauteur avec des boucles sur le milieu de la tête, c’est la première fois que cela me réussit bien ce soir. Je suis sûre tout le monde porte cela à Bienne, ici cela commence seulement, et je vais le faire aussi, surtout pour le soir.
J’espère que vous n’avez pas été trop embêtés avec cette Mies (fille Engelhart) ?
Chapitre Sossich (connaissances de Rome, voir who is who)), faites bien attention. Si Sossich aimerait aussi venir en visite chez vous, c’est sûrement qu’il a une carotte à tirer du Padre. Fais attention, n’introduis pas le voleur dans ta propre maison. Que Ebe (fille de Sossich) aime venir chez toi, cela je puis le comprendre, mais Sossich a une raison pour vouloir venir. Vois-tu, ne crois pas que je suis jalouse d’eux, pas du tout, mais c’est l’instinct qui me dit que tout ce qui brille n’est pas de l’or, là, il y a simplement quelque chose qui ne joue pas. Refuse-les, crois-moi, c’est plus facile de refuser leur visite par écrit que de leur refuser ce qu’ils vous demanderont ou proposeront une fois qu’ils seront vos hôtes. Que Ebe veuille se perfectionner dans la langue allemande cela c’est seulement une excuse, Madre mia, pour être chez vous. Fais attention, ou tu auras encore des déceptions de ce côté-là
Oui, j’ai reçu toutes les choses que tu m’as envoyées, et je regrette si j’ai oublié de t’en remercier J’ai donc bien reçu la ceinture de Tata avec le nœud en soie écossaise verte, le costume de bain de Schürch (pour lequel je t’ai remerciée il y a longtemps), la petite blouse tricotée beige, une petite chemise de dessous pour Boili, une petite chemise pour moi, la ceinture en élastique, l’agenda, le Bärndütdch Buech, les bas, le beau calendrier Heimat et un petit pullover blanc en laine mince. Est-il pour moi ou pour Boili ?

Kediri,  Hoofstraat/rue principale

12 janvier
J’ai interrompu ma lettre hier, parce qu’il faisait une belle soirée et je suis allée marcher avec le chien. Alors je reprends le filon.
Je suis contente que tu aies pu te payer une robe, cela me fait plaisir et quand je pourrai encore en ajouter je le ferai de tout mon cœur. Moi aussi, je compte te prendre avec aux Indes, mais tu as raison, ne faisons pas de projets, je veux d’abord voir comme tu te portes. Je suis si contente que tu sois dans ce groupe Oxford (Réarmement moral, Caux sur Montreux, voir Wikipedia), car tous les gens que j’ai rencontrés jusqu’à présent, m’ont toujours paru avoir la paix sur la figure. Je trouve un très bon principe de ne pas penser ni au passé ni au lendemain, mais seulement au présent. Je le fais aussi et vraiment on jouit beaucoup plus de la vie.

Kediri, rue principale

Est-ce que tu es bien sûre que cette fille Kocher est la maîtresse de Gaston Schmoll ? Mais c’est à en devenir jalouse !!! Enfin, dä muess es jo chönne, Uebung macht den Meister, aber e zäie niggu isch me de glych ! Me isch doch gwüss scho lang über 50. Enfin, es söll ne freud mache ! Dä het sy piggu im Läbe scho so viel bruucht, dass er gwüss hüenerouge dra het ! E wäh, Rötteli, me gseht halt, dass de gänge ne sou frou gsi bisch, numme soufroue chöi söttigi Schnuder meitli ha wie Du eis hesch ! (il doit savoir y faire et s’y prendre, mais c’est malgré tout un vieux sec. Il a plus de 50 ans, non. Enfin, si ça leur fait plaisir ! il a déjà tant utilisé son p… dans sa vie qu’il doit avoir des cors ! On voit bien que tu es une sale femme… !)
Stpl donne moi l’adresse de la Giggerli (3ème sœur de Rose), il y a longtemps que je ne lui ai plus écrit, et je veux le faire. Alors elle avait des dettes ? Qu’est-ce qu’elle fait à Zurich, est-ce qu’elle travaille quelque chose au moins ? Donne m’en des nouvelles.
Merci pour toutes les salutations de tout le monde, tu en feras de même.
Tu n’as pas besoin d’avoir peur que je rumine trop quand nous avons des déceptions, oh pas du tout. Je sais aussi que ce n’est pas bon et le Boili m’a déjà si souvent grondée que je ne le fais plus. J’ai en effet aussi ce défaut, comme toi un peu, mais quand je commence, alors Buby me gronde et me parle jusqu’à ce que je ne le fais plus. Pour cela il est gentil, le Bueb, il me comprend si bien, et je peux toujours tout lui raconter, il comprend tout de moi. Oui, quand on est vraiment deux à porter les déceptions, elles ne sont pas si lourdes et aussi moins importantes. Et tu sais, je suis souple, maintenant je suis déjà tout à fait habituée ici, je prends madame Sayers comme elle est, et je t’assure que maintenant je peux encore bien m’entendre avec elle. Il faut prendre les gens comme ils sont et non comme on voudrait qu’ils soient. Si je gronde ici dans mes lettres, c’est que je vide mon cœur, et puis après c’est fini.
Hier matin, madame Sayers est venue me chercher pour m’introduire dans une société de dames, quelque chose come le Lycéum à Bienne ( www.lyceumclub.org)  est une institution qui concerne les femmes intéressées par les aspects culturels, sociaux et scientifiques de la vie. Cette organisation féminine fait partie d'un mouvement international. Existe à Bienne depuis 1932). Il n’y a que 40 dames, toutes les mieux de Kediri naturellement, et madame S. s’est vraiment donné beaucoup de peine pour me présenter partout etc. Tante Engel en fait aussi partie et je l’ai vue hier. J’y ai aussi rencontré la fille aînée de Mr. Voskuil, elle viendra me voir une fois. Ils habitent près d’ici, il est adm. d’une fabrique de sucre. Je vois cela, j’aurai très vite des connaissances. Ce matin, je suis allée à une leçon de gymnastique où j’ai aussi rencontré plusieurs femmes, des jeunes, des vieilles. Le mois prochain, nous avons déjà pris rendez-vous pour aller nager 3-4 fois par semaine à la jolie piscine, et je vais entrer au club de tennis. 
piscine de Kediri

Ensuite, il y a madame Fraay (voir who is who), ici qui va m’apprendre à coudre et faire des patrons. Vois-tu j’aurai de nouveau beaucoup à faire. Et vraiment ainsi je ne sens presque pas que Boili est loin. Si seulement Tatali avait aussi fait cela, si elle s’était arrangé une vie à elle pendant que Max était loin. Cela rend élastique et quand le mari rentre, on a beaucoup à raconter et il ne peut pas se faire l’illusion qu’on a passé le temps à l’attendre, et qu’on ne peut pas vivre sans lui. Nei, Mamms, Du bruuchsch kei angscht z’ha….(tu n’as pas besoin d’avoir peur).
So Rötteli,  … porte toi bien et prends bien soin de toi.
Embrasse les hommes pour moi, mais ne leur donne pas mes lettres à lire, tu peux les leur lire, mais pas tout, tu sais, il y a des choses que je ne dis qu’à toi. Compris ?





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