Kediri
11 janvier 1939
A sa maman
Mais je
les aime quand même tes Stämpere (longues
lettres), elles n’ont qu’un défaut : elles ne sont jamais assez longues pour moi. C’est
toujours fait comme exprès, tes lettres arrivent juste au moment où elles me
font le plus plaisir, comme hier quand Buby repartait, ainsi j’ai eu ta lettre
pour me tenir compagnie. Et tu vois, je te gâte aussi un peu, je t’écris de
nouveau !
Merci,
merci pour tous tes bons vœux et tes prières. J’ai encore juste pu chüschele (chuchoter) à l’oreille de Buby avant
qu’il parte, que tu priais toujours pour son succès et il a été touché.
Ce bol
japonais doit être employé avec l’assiette cela
fait un, et c’est ainsi qu’on y sert la salade. Tu peux naturellement faire
comme tu veux, je te le dis seulement pour que tu le saches.
Alors, il
paraît que vous avez eu plutôt de la neige en Suisse, ce qui aura tempéré un
peu ce grand froid. Je suis contente que vous ayez une bonne saison d’hiver,
mais ne prenez pas froid. Oui, je sais que Tatali aimait tellement la neige, et
elle en avait du temps pour la regarder tomber, pauvre âme. Je pense souvent à
elle, maintenant que je suis souvent seule aussi, et je peux me représenter les
sentiments qu’elle a eu toutes ces années de solitude. Le pire c’est que quand
il était là, elle n’avait personne non plus, elle était seule aussi, et surtout
tous ces dimanches qu’il ne voulait pas bouger. Mon Dieu, quand j’y pense ! Cela me donne toujours le frisson,
aussi je fais bien attention de ne pas laisser cette habitude surgir ici chez
moi. Non, de temps en temps cela va bien, mais autrement je fais toujours en
sorte qu’il y ait une activité quelconque le dimanche. Ce soir je me suis
coiffée en hauteur comme Tatali l’était dans le temps, je me la rappelle encore
si bien, je l’admirais tant. Cela me va bien aussi cette coiffure en hauteur
avec des boucles sur le milieu de la tête, c’est la première fois que cela me
réussit bien ce soir. Je suis sûre tout le monde porte cela à Bienne, ici cela
commence seulement, et je vais le faire aussi, surtout pour le soir.
J’espère
que vous n’avez pas été trop embêtés avec cette Mies (fille Engelhart) ?
Chapitre Sossich (connaissances de Rome, voir who is who)), faites bien attention.
Si Sossich aimerait aussi venir en visite chez vous, c’est sûrement qu’il a une
carotte à tirer du Padre. Fais attention, n’introduis pas le voleur dans ta
propre maison. Que Ebe (fille de Sossich)
aime venir chez toi, cela je puis le comprendre, mais Sossich a une raison
pour vouloir venir. Vois-tu, ne crois pas que je suis jalouse d’eux, pas du
tout, mais c’est l’instinct qui me dit que tout ce qui brille n’est pas de
l’or, là, il y a simplement quelque chose qui ne joue pas. Refuse-les,
crois-moi, c’est plus facile de refuser leur visite par écrit que de leur
refuser ce qu’ils vous demanderont ou proposeront une fois qu’ils seront vos
hôtes. Que Ebe veuille se perfectionner dans la langue allemande cela c’est
seulement une excuse, Madre mia, pour être chez vous. Fais attention, ou tu
auras encore des déceptions de ce côté-là
Oui, j’ai
reçu toutes les choses que tu m’as envoyées, et je regrette si j’ai oublié de t’en remercier J’ai donc bien
reçu la ceinture de Tata avec le nœud en soie écossaise verte, le costume de
bain de Schürch (pour lequel je t’ai remerciée il y a longtemps), la petite
blouse tricotée beige, une petite chemise de dessous pour Boili, une petite
chemise pour moi, la ceinture en élastique, l’agenda, le Bärndütdch Buech, les
bas, le beau calendrier Heimat et un petit pullover blanc en laine mince.
Est-il pour moi ou pour Boili ?
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Kediri, Hoofstraat/rue principale |
12 janvier
J’ai
interrompu ma lettre hier, parce qu’il faisait une belle soirée et je suis
allée marcher avec le chien. Alors je reprends le filon.
Je suis
contente que tu aies pu te payer une robe, cela me fait plaisir et quand je
pourrai encore en ajouter je le ferai de tout mon cœur. Moi aussi, je compte te
prendre avec aux Indes, mais tu as raison, ne faisons pas de projets, je veux
d’abord voir comme tu te portes. Je suis si contente que tu sois dans ce groupe
Oxford (Réarmement moral, Caux sur
Montreux, voir Wikipedia), car tous les gens que j’ai rencontrés jusqu’à
présent, m’ont toujours paru avoir la paix sur la figure. Je trouve un très bon
principe de ne pas penser ni au passé ni au lendemain, mais seulement au
présent. Je le fais aussi et vraiment on jouit beaucoup plus de la vie.
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Kediri, rue principale |
Est-ce que
tu es bien sûre que cette fille Kocher est la maîtresse de Gaston Schmoll ?
Mais c’est à en devenir jalouse !!! Enfin, dä muess es jo chönne, Uebung
macht den Meister, aber e zäie niggu isch me de glych ! Me isch doch gwüss
scho lang über 50. Enfin, es söll ne freud mache ! Dä het sy piggu im Läbe
scho so viel bruucht, dass er gwüss hüenerouge dra het ! E wäh, Rötteli,
me gseht halt, dass de gänge ne sou frou gsi bisch, numme soufroue chöi söttigi
Schnuder meitli ha wie Du eis hesch ! (il
doit savoir y faire et s’y prendre, mais c’est malgré tout un vieux sec. Il a
plus de 50 ans, non. Enfin, si ça leur fait plaisir ! il a déjà tant
utilisé son p… dans sa vie qu’il doit avoir des cors ! On voit bien que tu
es une sale femme… !)
Stpl donne
moi l’adresse de la Giggerli (3ème
sœur de Rose), il y a longtemps que je ne lui ai plus écrit, et je veux le
faire. Alors elle avait des dettes ? Qu’est-ce qu’elle fait à Zurich, est-ce qu’elle travaille
quelque chose au moins ? Donne m’en des nouvelles.
Merci pour
toutes les salutations de tout le monde, tu en feras de même.
Tu n’as
pas besoin d’avoir peur que je rumine trop quand nous avons des déceptions, oh
pas du tout. Je sais aussi que ce n’est pas bon et le Boili m’a déjà si souvent
grondée que je ne le fais plus. J’ai en effet aussi ce défaut, comme toi un peu,
mais quand je commence, alors Buby me gronde et me parle jusqu’à ce que je ne
le fais plus. Pour cela il est gentil, le Bueb, il me comprend si bien, et je
peux toujours tout lui raconter, il comprend tout de moi. Oui, quand on est
vraiment deux à porter les déceptions, elles ne sont pas si lourdes et aussi
moins importantes. Et tu sais, je suis souple, maintenant je suis déjà tout à
fait habituée ici, je prends madame Sayers comme elle est, et je t’assure que
maintenant je peux encore bien m’entendre avec elle. Il faut prendre les gens
comme ils sont et non comme on voudrait qu’ils soient. Si je gronde ici dans
mes lettres, c’est que je vide mon cœur, et puis après c’est fini.
Hier
matin, madame Sayers est venue me chercher pour m’introduire dans une société de dames, quelque chose come le Lycéum à Bienne ( www.lyceumclub.org) est une institution qui
concerne les femmes intéressées par les aspects culturels, sociaux et
scientifiques de la vie. Cette organisation féminine fait partie d'un mouvement
international. Existe à Bienne depuis 1932). Il n’y a
que 40 dames, toutes les mieux de Kediri naturellement, et madame S. s’est
vraiment donné beaucoup de peine pour me présenter partout etc. Tante Engel en
fait aussi partie et je l’ai vue hier. J’y ai aussi rencontré la fille aînée de
Mr. Voskuil, elle viendra me voir une fois. Ils habitent près d’ici, il est
adm. d’une fabrique de sucre. Je vois cela, j’aurai très vite des
connaissances. Ce matin, je suis allée à une leçon de gymnastique où j’ai aussi
rencontré plusieurs femmes, des jeunes, des vieilles. Le mois prochain, nous
avons déjà pris rendez-vous pour aller nager 3-4 fois par semaine à la jolie
piscine, et je vais entrer au club de tennis.
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piscine de Kediri |
Ensuite, il y a madame Fraay (voir who is who), ici qui va m’apprendre à coudre et faire des
patrons. Vois-tu j’aurai de nouveau beaucoup à faire. Et vraiment ainsi je ne
sens presque pas que Boili est loin. Si seulement Tatali avait aussi fait cela,
si elle s’était arrangé une vie à elle pendant que Max était loin. Cela rend
élastique et quand le mari rentre, on a beaucoup à raconter et il ne peut pas
se faire l’illusion qu’on a passé le temps à l’attendre, et qu’on ne peut pas
vivre sans lui. Nei, Mamms, Du bruuchsch kei angscht z’ha….(tu n’as pas besoin d’avoir peur).
So Rötteli, … porte toi bien et prends bien soin de
toi.
Embrasse
les hommes pour moi, mais ne leur donne pas mes lettres à lire, tu peux les
leur lire, mais pas tout, tu sais, il y a des choses que je ne dis qu’à toi.
Compris ?
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