Kediri
2 février 1939
A la main
Mes bien chers,
Vite quelques mots pour vous dire que nous allons
bien et j’espère qu’il en est de même pour vous. Je suis entrée dans notre
maison le 23 janvier et le jour après j’ai de nouveau eu une attaque de foie.
Je suis restée au lit 2 jours, c’était pas gai dans tout ce cheni, mais je n’en
faisais pas et maintenant la maison est presque en ordre.
Je
continue à la machine, cela va quand même plus vite. Donc, quand tout me
faisait mal ainsi, j’ai fait venir le docteur qui a bien constaté une nouvelle
de ces crises. Je pense qu’elle provenait de ce que la nouvelle koki (baboe
cuisinière) a employé trop de graisse pour la rijsttafel, et aussi parce que j’étais très fatiguée. Enfin, Buby
qui devait partir en tournée a fait tous les soirs 100 km de plus pour revenir
coucher à la maison, afin de ne pas me laisser trop seule dans la nouvelle
maison. Maintenant cela va de nouveau bien, et je suis heureuse de pouvoir
enfin avoir ma diète et d’avoir une bonne koki sous mes ordres.
L’emménagement
dans la maison n’a pas été sans peine. La madame Sayers l’a laissée dans un état épouvantable, malgré que je lui
aie dit plusieurs fois que je voulais avoir le salon tout à fait vide, elle ne
pouvait pas se résoudre à ranger ses meubles. A la fin elle est partie, disant
que son mari règlerait tout. Le lendemain de son départ, je vais voir la maison :
rien n’était rangé. Dans la chambre
à coucher traînaient encore de vieilles pantoufles, des fleurs artificielles, les
jouets de la petite fille n‘étaient pas rangés, tout traînait là, c’était
dégoûtant et j’ai été bien fâchée. Comme Mr.
van Mastwyk (de la direction de
Batavia) était justement là et logeait à l’hôtel avec nous, je ne me suis
pas gênée pour lui en dire quelques mots. Il m’a donné raison en ce sens que
j’avais bien le droit d’entrer dans une maison vide et en ordre. A la cuisine,
madame S. m’avait demandé si je voulais avoir les tablards. J’ai dit que je
voulais bien les employer puisqu’ils étaient fixés et que moi j’avais laissé
les miens à Tjilatjap. Je pensais que c’était une chose bien comprise et
liquidée, mais voilà quand je vais voir à la cuisine après son départ, ces
tablards étaient pleins, mais archi pleins de vieux cheni, des vieilles lampes,
des vases, enfin un tas de choses qu’on conserve et que certainement je ne me
sentais pas le droit de jeter. Alors la Näggeli n’a pas fait long procès, elle
a demandé à Mr. Sayers de venir avec elle vérifier si tout était en ordre, elle
l’a conduit à la cuisine et lui a dit : Là, Monsieur, il a été convenu que
j’aurais l’emploi de ces tablards et pour cela il faut qu’ils soient vides.
D’un autre côté je n’ai aucune envie et ni le droit de jeter toutes ces choses
qui vous appartiennent, veuillez le faire vous-même. Alors vous auriez dû voir
ce Sayers qui s’est mis à faire de l’ordre tout en jurant tant et plus pendant
que moi je restais plantée à côté à le regarder. Oscar lui, se gênait pour
Sayers, aussi il n’est pas resté avec nous mais se promenait dans le jardin,
aber ds Näggeli hets düre gstieret (la
Nägeli s’est imposée). Comme cela il y a un tas de choses qui ne jouaient
pas, ils nous ont trompés dans mille et une petites choses.
A
l’instant, je reçois ta Stämpere 199,
et j’en suis si contente, merci, merci de tout cœur. Tu aurais dû voir comme je
l’ai arrachée des mains de la baboe ! Mais je vais vite continuer à écrire
tout ce que j’ai sur le cœur car je n’ai pas beaucoup de temps.
Dans mes
lettres précédentes, je vous ai souvent parlé de Hoekman, le bras droit de Buby ici et je vous ai dit comme Elout
l’avait prévenu contre nous, mais que nous avions réussi à le tourner de sorte
qu’il est devenu aimable et amical. C’est un type que nous aimions bien, Oscar
et moi, il m’était aussi sympathique
et tout laissait prévoir que l’entente serait bonne entre nous. Au bureau
aussi, cela allait bien, les deux hommes s’entendaient bien pour le travail.
Hier il est rentré avec Buby à midi pour boire un verre de bière, nous avons
causé et ri jusqu’à 1 ½ heure, ensuite il est rentré pour dîner. Hier soir
Oscar rentre du bureau blanc comme un linge et tout à fait dérangé. Vers trois
heures, Hoekman avait reçu un téléphone, paraît-il qu’il devait se rendre chez le juge et… ils l’ont gardé là, en prison, directement, pour la même chose (il est homosexuel) que le frère à mademoiselle Probst. Ce Hoekman
est un homme instruit, développé, distingué et il en souffre terriblement. Nous en sommes tous malades, nous n’en
avons pas dormi toute la nuit. Hier soir j’ai été fermer sa maison qui est si
jolie bien propre et en ordre, et de penser que lui passait la nuit à la
prison. Il ne peut naturellement plus rester à la Mexolie et maintenant c’est Mogendorff qui viendra ici, celui qui
était notre successeur à Tjiltjap. Il arrivera cette nuit déjà, car Oscar ne
peut en aucune façon diriger seul la fabrique. C’est naturellement un scandale terrible, c’est un procès
monstre à Batavia qui dure déjà depuis plusieurs mois. Il y a des hautes
personnalités qui sont accusées et des hommes desquels on le croirait le moins.
3.2.39 Hier soir Oscar a été voir
Hoekman en prison, il paraît que c’est affreusement triste. Tout le monde ici
en a eu un coup terrible et Hoekman avait beaucoup de très bons amis. Nous
sommes encore sous le coup comme tous ses amis du reste. Ce matin est arrivé
Mogendorff de Tjilatjap, lui aussi a eu un coup terrible, car c’était un bon
ami à Hoekman également. Mogendorff loge ici chez moi jusqu’à ce qu’il ait sa
propre maison. Sa femme est encore à Tjilatjap pour tout emballer ce qu’elle
vient de déballer il y a quelques semaines !
Je viens
de déballer une de mes dernières caisses, celle qui contenait nos lettres à
Oscar et à moi, plus quelques livres et les papiers militaires de Buby. Bien,
presque plus de la moitié a été mangée par les fourmis blanches. C’est une sorte de fourmi qui bâtit ces hautes
tours, je crois qu’on les appelle les
termites. La moitié de nos lettres sont rongées et certains livres reliés
avec du carton très épais pourtant, sont mangés jusqu’à la moitié des pages,
soit par le haut soit par le bas, c’est affreux à voir et j’en a beaucoup de
chagrin, surtout à cause de nos lettres. Dans la même caisse se trouvait aussi ton livre de cuisine, par miracle il
n’a pas été attaqué !
Maintenant
vite réponse à ta lettre, je n’ai pas le temps d’écrire beaucoup cette fois-ci
et vous ne m’en voudrez pas, hein ?
Ce lamé de
Banely (Fanny), envoie-le moi tel
qu’il est sans le faire laver chimiquement, je le ferai nettoyer ici, car
pendant le voyage il y a bien des risques qu’il se salisse de nouveau.
Toutefois il faudra l’envoyer emballé dans un boîte en fer blanc (boîte de
cigarette etc) fermée avec du leukoplast ou quelque chose de pareil, ceci pour
le voyage en mer qui gâte toutes les étoffes. Merci d’avance et aussi pour
toutes les autres choses. J’y reviendrai quand je les aurai reçues. Si jamais
Banely reçoit encore d’autres restes d’étoffes pour des robes, je me recommande
si elle ne les emploie pas pour elle. Il y a longtemps que j’aimerais me faire
un manteau du soir en velours mais je trouve que c’est encore trop cher, car un
manteau du soir est vraiment du luxe. Toutefois si Fanny reçoit du velours
qu’elle ne peut employer pour elle, alors hein, vous savez où l’envoyer.
Dimanche 5
février nous allons manger la rijsttafel chez tante Engel pour faire
connaissance avec la Mies et moi pour recevoir
mes jolies choses. J’espère qu’elle les aura avec elle, pas que je doive
encore attendre que ses malles
soient arrivées. Je lui ai fait envoyer un panier de roses en guise de
bienvenue ! Si je l’ai fait, c’est pour les ¾ pour tante Engel et un quart
parce qu’elle m’apporte des choses de vous. Je suis bien contente que tu m’aies
avertie, je serai quitte d’avoir une déception.
A la main dans les marges
Je répondrai plus tard au reste de ta lettre. Mlle
Gétaz m’a remerciée pour le petit plat en
métal ! Mais c’est de l’argent,
bon sang ! Pourrais-tu lui donner un signe dans ce sens ? Je ne veux
pas lui écrire pour lui dire que je lui ai fait un cadeau beaucoup plus cher
qu’elle ne croit !!! C’est en argent 800. J’ai aussi reçu une lettre de
Max !
Au revoir mes chers, votre Ge….
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