19381218
Kediri
18 décembre 1938
Mes bien
chers,
Notre
premier dimanche à Kediri, et déjà 8 jours que nous y sommes. Oscar est revenu
de tournée hier après-midi. Il a passé trois soirées à Soerabaya et a rencontré
beaucoup de monde, en somme il a été satisfait de la manière dont les choses se
sont passées. J’en suis bien contente et j’espère que cela continuera ainsi,
car il en dépend beaucoup pour sa carrière future.
Mon Padre,
avant de quitter Tjilatjap nous avons encore vite été à Bandoeng, surtout pour voir le docteur à cause de mon
foie. Je n’ai pas eu beaucoup de temps, car nous sommes arrivés le vendredi
soir et repartis le dimanche matin, et il a fallu voir et faire tant de choses
et de monde.
J’ai tout
de même trouvé une minute pour aller chez
Stöcker (le magasin d’horlogerie). Il
avait du monde de sorte que je n’ai pas pu causer longtemps avec lui. Il m’a
tout de suite dit, Ah, je suis sûr que vous venez demander où restent les
commandes que je vous avais promises ? En effet, je ne les ai pas encore
envoyées parce que nous avons eu terriblement à faire et que nous avions encore
beaucoup de commandes chez Meyer Stüdeli qui sont toutes rentrées à la fois à
cause des changements dans les tarifs de douane.
(Est-ce
que tu es au courant de ce changement, Padre ?)
Stöcker
m’a promis de nouveau qu’il n’oublierait pas de vous envoyer une commande et
que même il prendrait une de vos pièces dans son catalogue, ce qui en ferait un
article courant. Sur ces entrefaites je suis partie et je n’ai plus eu le temps
d’y retourner quand il y aurait eu moins de monde.
A mon
avis, il faudrait le relancer gentiment, doucement, pas trop le forcer de tenir
sa promesse, mais tout de même la lui mettre sous le nez. Et encore une fois,
soignez votre correspondance, le style de vos lettres. Vous n’avez aucune idée
combien on attache d’importance à tous ces détails de vos lettres qui sont vos uniques représentants ici à
l’étranger.
De chez
Stöcker, j’ai sauté dans un taxi et je suis allée relancer Engelke, du moins aller demander s’il était rentré d’Europe etc.
Grande fut ma surprise d’entendre dire qu’il était là et qu’il pourrait me
recevoir. Après avoir attendu un long moment il est enfin apparu. Un long type,
maigre et blanc à faire peur. Je me suis présentée et il s’est rappelé qu’on
lui avait parlé de moi chez Stöcker.
Voilà les
faits : il est revenu d’Europe il y a environ un mois. Il y avait été pour
se faire soigner de la dysenterie (amibes) qui lui a ruiné toute sa santé. Sa
femme et ses enfants sont restés à Lausanne où les petits vont à l’école. Il
est uniquement revenu pour liquider son commerce, c’est à dire, chercher
quelqu’un à qui il puisse le remettre. Il a quelqu’un de capable en vue et
espère que l’affaire réussira afin qu’il puisse retourner en Europe au plus
vite. Une fois en Europe il a l’intention de se faire acheteur pour les maisons
d’ici. Ginsburger est à Besançon, et encore toujours son compagnon, mais ils ne
font plus beaucoup ensemble, vu la crise et tous les changements qui se sont
opérés dans l’industrie horlogère. Pendant son séjour en Europe il a fait une
courte visite à Bienne, où il n’a passé que chez les Lévy Frères (Sygma, plus
tard associé de Milex Elem). Il travaille encore toujours un peu avec eux.
Il était allé à Bienne depuis la Chaux de Fonds et vu les mauvaises connections
des trains, il n’a pas pu faire d’autres visites, quoiqu’il aurait bien aimé
aller voir Schymansky avec qui il a noué de très bonnes relations depuis peu.
Il trouve Schymansky avoir des
modèles de très bon goût, des prix abordables, et trouve très agréable de
travailler avec eux.
Stöcker
aussi est entré en relations avec Schymansky, je vous en ai informé dans une de
mes précédentes, et lui aussi trouvait cette maison correctement polie.
Engelke a
bien reçu toutes les lettres que nous lui avons écrites. A ma demande pourquoi
il n’avait plus jamais donné signe de vie, il a répondu : Ach Madame, ich
schreibe überhaupt sehr wenig, so wenig möglich aber ich habe die besten
Erinnerungen an die Firma Elem, an den Geschäften die ich früher mit Ihnen
gemacht habe habe ich immer sehr gut verdient. (je n’écris presque pas, le moins possible, mais j’ai les meilleurs
souvenirs de la maison Elem, avec qui j’ai fait de très bonnes affaires.)
Il dit que
sur ce marché ici, il n’y avait plus beaucoup à faire comme grossiste, que tout
était tellement rogné sur les prix qu’il n’arrivait plus à faire quoi que ce
soit. Que des maisons comme Stöcker qui travaillaient directement la clientèle,
le consommateur et qui achetaient directement chez le fabricant, sans l’entremise
du grossiste que cela c’était encore la seule manière de gagner un peu sur les
articles. Engelke revendait beaucoup aux Chinois et dans le temps aussi à
Stöcker, mais pour des articles que lui payait à réception il fallait souvent
les placer avec un crédit de 6 mois et une année, de sorte que tout le profit
était perdu. Il a dit franchement que son rôle de grossiste ici était terminé.
Il paraît que la concurrence japonaise n’est pas trop à craindre sur ce marché
ci, c’est encore la montre suisse qui prime.
Son
acheteur pour la Suisse est Louis Schober ( ?) de la Chaux de Fonds ou du
Locle, je ne me rappelle plus. (Il faut excuser ce manque de mémoire, mais je
n’ai pas pu vous écrire immédiatement quelques unes des indications notées,
elles m’ont échappées). Il paraît que ce Louis Schober est aussi représentant
ou acheteur pour une maison américaine dont je ne puis plus me rappeler le nom
à l’instant c’est quelque chose comme la Ostar Watch, Drobe Watch etc. Je me
rappelle bien qu’il y a un O dans le nom. Peut être qu’il me reviendra à
l’idée, alors je ne manquerai pas de vous l’écrire.
Engelke a
encore la représentation générale de Election ou Cyma, une des deux, et je puis
vous dire que d’après mes observations ces deux marques sont bien introduites
ici.
Voilà mon
impression au sujet de Engelke. C’est un homme qui tant par sa santé détruite
que par son âge est fini pour les colonies. Il ne peut plus lutter. Il a dû
être un très bon vendeur un roué du métier. Il a encore un flux de bouche
formidable. Pendant ma visite, à un moment donné, il s’est mis à parler, à
parler sans discontinuer, s’imaginant sans doute qu’il avait devant lui un
client à qui il devait faire le boniment. Il me paraît honnête et de bonne
fois, toutefois plus habitué à rouler son monde qu’à être roulé lui-même. C’est un vieux singe dans le métier à qui
on ne la fait pas, du moins sur son marché.
Il va
revenir en Suisse dans quelques mois et m’a promis de vous rendre visite quand
il ira à Bienne. Il me semble inutile de lui écrire ici, mais mettez vous en
contact avec les Lévy pour savoir quand il sera à Bienne.
Son départ
ici dépend de la manière dont il peut se défaire de son commerce. Il doit avoir
une femme demi-sang. Si jamais vous l’invitez à manger, ne le forcez en rien,
car ce pauvre homme a un régime terriblement sévère et la plus petite exception
à la règle peut avoir pour lui des suites affreuses. S’il vous rend visite,
amenez-le à parler et sachez l’écouter,
il peut vous en apprendre beaucoup concernant le marché ici et la manière de
travailler en Orient.
Il me
semble qu’il a eu beaucoup de plaisir à ma visite, car il regrettait que je
parte si tôt, je crois qu’il aurait fait des frais pour me montrer Bandoeng,
etc.
Si vous
tenez à avoir mon opinion personnelle, la voilà. J’ai eu beaucoup de plaisir
aussi à revoir un type du métier tel que je les voyais si souvent quand j’étais
encore au bureau. Il n’est pas devenu hollandais du tout mais il a su rester le
type propre à ta génération, Padre, tout à son métier, roué, calé pour ses
affaires et flexible dans toutes les situations grâce à son métier et à tous
ses voyages.
Et voilà
maintenant mon dimanche matin à sa fin. Je vais rejoindre Oscar qui est en
visite quelque part chez le Technical advisor de la fabrique.
A vous tous
encore une fois, Bon Noël, beaux jours de fêtes, et que la nouvelle année
apporte à chacun de vous ce qu’il en attend, mais avant tout une bonne santé.
Avec mes
sentiments affectueux, je reste de tout mon cœur toujours votre vieille …..
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