Batavia
19 février 1937
A sa maman
Et bien,
tu en fais toi, du « gondlage » (gondle=se ballader) toi !
D’abord à St Gall et ensuite encore à
Rome. Mais tu as raison, gondle, et fous-t’en une bosse, profite. Merci de
tout cœur pour ta bonne longue lettre
154 que j’ai lue avec un immense plaisir comme toujours d’ailleurs.
J’avais
justement été chez le docteur. Je t’avais donc écrit que mes intestins sont de
nouveau bien en ordre, plus de trace de la dysenterie, plus d’amibes donc, et cela, je le dois à ce thé d’ici (sariawan tea),
mais cela je ne l’ai pas dit au docteur. Par contre j’ai terriblement maigri.
Je ne pesais plus que 52 kg 250, (pour 1m
72) et je me sentais bien fatiguée et sans entrain. C’est sûr, pendant
longtemps, je ne mangeais pas beaucoup, jusqu’à ce que je m‘étais habituée à ce
régime. Maintenant j’y en fous de nouveau, je bouffe et bouffe. Le docteur me
donne donc de ces injections d’arsenicum,
comme celles que Rummel m’avait données en son temps. J’en ai déjà eu 5 et on
ne me reconnaît presque plus. J’ai une mine épatante déjà. Le docteur voulait
m’en donner 20 mais vu que je réagis si vite, il ne m’en donnera que 10 ou peut
être encore moins. En une semaine j’ai déjà augmenté de 1 kg 250. Je n’étais
donc pas si faible que cela. Oh, je te dis, je jouis de nouveau de la vie, je
vois tout en rose, et tous les jours je marche longtemps. Enfin, je suis
contente de reprendre le dessus et maintenant je vais faire mon possible pour y
rester. Je continue toujours mon régime, c’est à dire que je ne mangerai plus
de porc, ni de choux et pas trop d’autres choses grasses. Pour le reste, c’est
normal.
Mardi le
23 février 1937. Cette lettre est restée en suspens parce que j’ai dû écrire à Cunégonde (surnom de Coen le frère cadet de Oscar, voir lettre précédente)
pour sa fête, puis à Ans, la fiancé
d’Eddy.
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Mahjong (plaquettes) |
Samedi soir j’ai eu Boy et Mimi (Hausermann)
à souper et jouer au mah-jong (jeu chinois très apprécié, style bridge mais avec des dés ou plaquettes). On a
bien ri, et Boy, quand il a entendu que je savais faire la fondue, veut se
charger de me procurer du Neuchâtel pour en faire une. Il connaît un Suisse ici
qui fait toujours venir du Neuchâtel par caisse, mais cela lui revient très
cher. Bref, il paraît qu’il en a les moyens, alors !!
Hé, voilà
justement le Douglas qui arrive de Hollande, c’était très beau, il a passé
juste au-dessus de moi. Vraiment il n’y a plus de distances !
Mamali,
Rötteli, sale femme, tu vas me raconter tout au long comment tu fais ta fameuse
fondue. Tu sais, je me le rappelle bien, bon sang, ces fameuses fondues,
mais j’aime tout de même mieux encore l’avoir par écrit pour au moins être tout
à fait sûre de ne pas me tromper. On a aussi des Dru- töpfli (casserole en fonte) ici, c’est pourtant
dans un töpfli pareil que tu la fais
n’est-ce pas ? Je ne sais pas encore quand cela se fera, mais j’aime
toujours être préparée. Crois tu que je pourrais aussi en faire une avec du
Bordeaux blanc, dry ? Qu’en pense-tu ? faut-il essayer ? Je peux
acheter ici du Bordeaux sec à Frs. 3.- la bouteille. Je ne l’ai pas encore
essayé, mais probablement qu’il n’a du Bordeaux que le nom.
Dis, il ne
faut pas le dire à qui que ce soit, mais cela a tout l’air que Bigot a aussi
gêné à Elout auprès de la direction à Amsterdam, en ce qu’il a pris sur lui
tous les résultats et les bons coups de commerce que Elout a réussi avec la
Mexolie pendant ces dernières années. Bigot en a parlé comme si tout venait de
lui, alors que c’est Elout tout seul qui a « managed », et maintenant
à Amsterdam ils ont l’idée que Elout n’a pas fait plus qu’un employé quelconque
et que son salaire est trop haut pour le travail qu’il produit. Elout en est
tout malade, car il avait mis sa confiance en Bigot pour retrouver un peu
d’appréciation de la part d’Amsterdam. Cela a tout l’air qu’ils veulent se
débarrasser d’Elout pour mettre Buby à sa place. Elout le croit aussi. Tu peux
te penser comme Annie est aigrie, mais il y a de quoi Nous avons été chez eux
dimanche soir, et sommes restés à souper. On s’entend bien, et ils nous aiment
bien aussi, j’en suis bien contente. Mais vois-tu, le monde est mauvais, on ne
peut avoir confiance en personne. Je ne peux pas encore croire que ce soit par
méchanceté que Bigot a agi ainsi, je ne peux pas encore le croire mauvais, mais
il est faible et il se peut bien qu’il ait déchargé sur le dos d’Elout absent
les torts qu’on lui reprochait à Amsterdam et qu’il se soit paré des plumes
d’Elout. Mais tout de même, enfin, c’est une bonne leçon et quoique nous n’en
soyons pas touchés directement, nous en prenons un nez plein, Buby et moi.
Naturellement je n’en fais pas les semblants où que ce soit, j’ai même encore
écrit une gentille lettre à Bep (Mme Bigot) ce matin. Mais tu sais, au fond de
moi-même je commence à ne plus avoir confiance en personne, sans toute fois
devenir pessimiste. Non, pas du tout, mais plus on se méfie des gens, moins on
en a des déceptions. Mais tu sais, ne dis rien à personne de tout cela, il faut
être tellement prudent, et les B. sont maintenant en Europe, on ne sait jamais
avec quelles gens ils peuvent avoir à faire. Je te dis, il faut être tellement
prudent, et puis, nous ne savons encore rien de définitif, il se peut aussi que
tout ne soit qu’un malentendu, alors je ne voudrais pas avoir fait du tort à B.
Tu es la seule à qui je me confie.
Hier j’ai
été chez le docteur pour ma 6ème piqûre, j’en aurai donc bientôt fini. Après le
docteur, j’ai été chez Margot qui a toujours un grand plaisir quand je viens.
Je ne sais pas comment les semaines passent. C’est fou, je suis aussi très
rarement à la maison, sauf les mardis, jours fixés pour la correspondance, mais
sans cela je suis toujours en l’air. Je me sens si bien maintenant, plus du
tout fatiguée, et j’ai une mine resplendissante.
Demain je
vais à Tandion Priok, (port de Batavia)
voir partir les Peddemors, tu sais le docteur de Keboemen. Ils vont en Hollande
pour de bon, parce que lui ne peut pas supporter le climat d’ici le métier est
trop fatigant. Ce sera aussi toute une matinée de fichue et après on est de
nouveau presque à la fin de la semaine.
Je viens
d’avoir une courte visite d’Annie Elout avec Fransje. J’avais le trac qu’elle
puisse lire quelque chose de ce que j’ai écrit plus haut, mais sans faire les
semblants j’ai vite jeté un papier sur la lettre, ainsi ce n’était pas possible
(elle laisse son papier dans la machine
pour y ajouter au fur et à mesure un paragraphe). Fransje a eu du plaisir à
boire du sirop dans un verre à liqueur, il faut pourtant peu aux gosses pour s’amuser.
Annie veut toujours t’écrire, chaque fois qu’elle me voit elle dit, bon sang
Nelly, je ne suis pas encore arrivée à écrire, qu’est-ce qu’elle va penser de
moi ta maman ? Je l’ai assurée que tu ne lui en voulais pas, que tu
comprenais bien qu’elle avait assez à faire avec son poupon.
Je te l’ai
déjà écrit, mais il faut que je te le répète, j’ai de si beaux cheveux
maintenant que chacun m’en fait le compliment. Je n’en ai pas plus qu’avant,
mais ils sont tellement bien ondulés maintenant. Et ce nouveau coiffeur a
attrapé le coup aussi bien que Marcel, chaque fois il me répète que ce serait
bête de me faire faire la permanente. Ils sont bien coupés aussi et j’ai
vraiment le sentiment High life et cela fait du bien. De plus en plus je
me détache de Keboemen et
redeviens vraiment élégante. Tu as peur que ces petites robes de Max soient de
nouveau trop jolies, non, Mamali, laisse seulement faire Hedy. Vois-tu ces
robes je les porterai à des occasion indépendantes, c’est à dire pour aller à
un concert, ou danser à l’hôtel des Indes ou n’importe où, à des occasions où
nous serons pour nous, tu comprends, où nous payons notre consommation, alors
cela ne regarde personne ce que j’ai mis et j’ai bien le droit d’être bien
habillée vu que je ne dois rien à personne. Avec la belle robe blanche, c’était
ainsi, les circonstances ne m’ont encore jamais permis de la porter à une occasion
pareille, indépendante, et qui demande une toilette chic. Comme soirée, il n’y
a eu que celle de chez Jöbsis, et là j’étais invitée avec tout le monde de la
banque, c’était officiel et je ne voulais pas faire de jalousies, vu que là
chacun avait sa place et son rang.
D’ailleurs tu verras bien sur la photo que nous sommes presque au bout
de la table avec les jeunes, quoique nous avons encore eu une meilleure place
qu’il n’aurait fallu. Tu sais, cela ne veut pas dire qu’on nous traitait du
haut en bas, mais c’est ainsi. Je suis sûre qu’à un dîner d’officiers, ce sont
aussi ceux qui ont le plus de galons qui sont assis au haut de la table, enfin,
tu comprends bien, hein !
D’ailleurs
il paraît que Jöbsis en passant dans le bureau de Buby a de nouveau demandé
comment je me portais et a dit que nous devions aller chez eux une fois.
Maintenant Buby veut que j’aille chez madame J. un matin et alors probablement
qu’elle nous invitera pour un soir.
Zut, je
suis au bout de ma lettre et je m’aperçois que je n’ai pas encore répondu à la
tienne. Allons, vite au travail !
J’ai eu du
plaisir de lire comme tu as dansé avec Nöggu (Charlot) pour lui apprendre la
valse. Est-ce qu’il a eu du plaisir à ce bal ?
So, so,
donc vous avez eu Laurie en visite ! De lire cela m’a rappelé tout mon
temps en Angleterre, tant de choses que j’avais presque oubliées. Je suis
contente que Laurie soit devenu quelque chose de bien. Je voudrais tant qu’il
rencontre Flock et que cela donne quelque chose, car je crois bien que le
caractère de Flock s’adapterait bien à celui de Laurie. Te rappelles-tu quand
tu avais peur que je le marie un jour ? Mais maintenant je ne crois pas que
j’aurais pu être heureuse avec lui, et j’espère que toi non plus tu ne voudrais
qu’il en soit ainsi, malgré qu’il soit en Europe.
Tu es
quand même une sale femme quand tu écris que Buby lit dans mes livres de
cuisine seulement parce qu’il n’a jamais bien à manger. Attends, quand je
reviendrai, on va faire un concours
entre les deux, on verra laquelle des deux aura plus de succès. Non ce
n’est pas gentil de ma part, hein, moi qui te dois tout ce que je sais, mais
enfin tu me comprends.
Quand tu
te sentiras encore mieux que maintenant, ne reprendras-tu pas ton projet de
venir aux Indes pour quelques mois ? Maintenant que cette jeune Huguenin y
vient, je pense souvent à ton projet, ne penses-tu pas que tu pourrais
entreprendre ce voyage, penses-y ! Ou bien alors je te reprendrai avec
pour quelques mois. J’aimerais tant que tu voies ce beau pays.
Quelles
nouvelles avez-vous encore de Bulgarie.
Qu’est-ce qu’il fait, Ivan, et surtout Oswald, qu’est-ce qu’il devient, et
elle ? (cousins germains par la sœur
du papa de Nelly) Je lui avais écrit mais je n’ai jamais reçu de réponse.
Ce que tu
me dis de la Mineli, qu’elle travaille dans une fabrique, me renverse. Là ce
n’est pas tout à fait comme cela devrait ; de plus en plus je crois que la
Mineli a été mariée pour ses sous et rien de plus. Naturellement je ne connais
pas les circonstances du Congo, mais cela me paraît impossible qu’une
Européenne aille travailler dans une fabrique si elle n’y est pas extrêmement
obligée. Moi je pense que ce type a eu un peu d’argent, qu’il a tout dépensé
dans les premiers temps pour jeter de la poudre aux yeux de la Mineli, et
maintenant elle doit lui aider à manger de la vache enragée, même peut être
travailler pour lui, qui sait. Enfin, ne dis jamais tout ce qu’elle te raconte,
ne vas pas ouvrir les yeux à madame Widmer, même pour l’empêcher de raconter
des bêtises aux autres femmes. Qu’est-ce que cela peut bien faire les autres
femmes à Nidau ne peuvent pas contrôler ce qu’elle raconte et ne sauront pas si
c’est juste ou faux. La pauvre femme.
Dis-toi
bien qu’il vaut mieux m’avoir heureuse aux Indes que malheureuse dans ton
voisinage. Et maintenant je me sens de nouveau bien, je n’ai plus du tout mal à
l’estomac ni au ventre. Le docteur a quand même eu raison quand il m’a dit qu’à
la fin du copte il croyait que c’était les nerfs. Depuis qu’il m’a dit
quatch ! vous n’êtes plus malade, j’ai commencé à me sentir mieux. C’est
naturellement aussi ce thé seriawan
qui m’a aidé. Je mange de nouveau comme un ogre et tout le monde me dit que je
reprends bonne mine d’une manière fantastique. J’en suis contente et je te
garantis maintenant je vais faire attention et me soigner aux fines herbes,
toujours aller turnelele (la gym) et
bädelele (se baigner)…
Ah, nous
passons de belles soirées avec notre radio. Buby est étendu sur le banc et
écrit à Coen. Il m’a chipé tous les coussins disponibles pour les fourrer sous
son derrière ! Moi je suis assise à ma petite table à écrire devant la
fenêtre ouverte.
Cette
semaine j’ai encore eu la petite Lensink à dîner avant qu’elle parte rejoindre
son mari à Sumatra. Elle aurait un joli potager
à gaz (cuisinière à gaz), qu’elle
avait acheté il y a une année. Un modèle très moderne avec toutes les
perfections possibles qui a coûté Fl. 90.-. Elle me l’aurait laissé pour Fl.
45.-, mais Buby n’a pas voulu, il
préfère garder cet argent pour une auto.
Moi aussi d’un côté, mais d’un autre côté, j’aimerais pourtant beaucoup
avoir un four, c’est si pratique.
Enfin, je sais bien que s’il nous arrivait d’être placé hors de Batavia malgré
tout, je ne pourrais plus l’employer et cela serait une chose de plus sur le
dos. Tout de même, j’aimerais tant faire des tourtes, des gâteaux, me servir d’un grill… ! C’est bien la
première fois que Buby ne tient pas à m’accorder un désir, et je n’insiste pas,
vu que je me rends aussi compte des désavantages d’un achat pareil.
Motherli,
voilà longtemps que je n’ai plus rien entendu du Padre. Comment cela
va-t-il ? Est-ce qu’il pense encore à sa Ge… quelquefois ? Je ne suis
pas encore arrivée à écrire à Mottet, ni à Charlot, ce qui me tracasse. J’ai
peur que Charlot finisse par m’en vouloir ou croire que je ne lui porte pas
assez d’intérêt, ce qui, bon sang, n’est pas le cas.
Maintenant,
je vais te quitter, car demain matin je dois me lever tôt pour aller à Priok (le port). Tu feras ma commission à
Charlot, et donneras aux hommes un bon muntschi de la Ge. Pour toi, comme
d’habitude…. All the best pour vous tous.
Votre Ge….
et son Buby
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