Batavia
21 mai 1937
Je ne vais
pas écrire une trop longue sauce ce soir, car c’est déjà vendredi et demain la
lettre doit partir de bonne heure.
Merci pour
ta lettre 161 qui a comme toujours
été reçue et lue sans aucun plaisir !
Mamms,
j’ai reçu ton rapport de voyage. Merci, merci, je le trouve très bien et l’ai
lu avec plaisir.
Comment
avez-vous passé Pentecôte ? J’espère bien. Quand allez-vous à
Sutz ? Est-ce que Padre ne te fait pas déjà la meule ? Merci de
tout cœur, mon cher vieux Macaroni, pour tes belles petites fleurs de
printemps, elles sont si jolies dans leur pochette de cellophane, on dirait un
petit médaillon. Mon Padre ! Je t’aime au moins pas !
Rötteli
comment as-tu fait pour tomber ainsi ? Tu m’as fait un beau trac, comment
va ton genou maintenant ? Raconte-moi tout.
Aujourd’hui
la Consulate est tombée en bas mes escaliers. Elle s’est terriblement
égratignée aussi, mais sans cela il n’y a pas de mal. Pourvu que ce soit le cas
pour toi aussi, que tu n’aies pas encore des histoires avec ton genou.
Ecris-moi.
Mon pied
va beaucoup mieux. Après 3 compresses avec ces herbes de la doekoen l’enflure avait disparu, et ses
massages aussi m’ont fait un bien énorme. Je peux marcher comme si de rien
n’était, naturellement je fais encore attention où je pose mon pied et quand je
marche trop j’ai bien un peu mal, cela provient de la fatigue. Mais depuis deux
jours je sors de nouveau. Quel bonheur, car je n’y tenais presque plus.
A
Pentecôte, c’est à dire le lundi de Pentecôte, nous étions invités à une rijstaffel
d’adieu de la part des Oppel. Buby
ronchonnait et ne voulait pas y aller. Nous aurions bien voulu partir pour
Bandoeng et n’importe où, mais nous n’avions pas le sou et ne pouvions pas aller loger chez les van der Lee (Ir et Bernard), puisqu’ elle est à
l’hôpital. Alors Buby a donné mon pied comme excuse jusqu’au dernier moment, il
ne pouvait pas se décider, mais enfin le lundi matin il a quand même téléphoné
qu’il acceptait mais il m’a bien
recommandé de boîter. Vous auriez dû voir comme j’ai bien fait cela, et
j’avais mon pied bandé et des fois je m’oubliais et je marchais normalement,
alors j’entendais derrière moi la voix « suave » de Buby qui me
disait : sois prudente Dear, sois
prudente ! Alors je recommençais de plus belle ! Quelle
comédie ! Le plus beau c’est que deux jours après on va au cinéma, moi
dans des souliers sans bas et sans bandages et on rencontre toute une clique
des gens qui étaient aussi avec nous. Je n’ai pas même expliqué la chose, ils
penseront ce qu’ils voudront. Mais revenons à cette rijstaffel. C’était
passablement ennuyeux.
![]() |
Nelly, 3ème de droite dexième rang |
Nous étions 45
personnes. D’abord nous avons pris l’apéritif dans le lobby de l’hôtel des Indes. Il y avait concert
et beaucoup de monde. J’ai inauguré la robe
de Max, la rouge et j’ai eu beaucoup
de succès, mais du chagrin aussi, car le soir je me suis aperçue qu’elle était
usée au derrière. Ce n’est presque pas croyable, mais pourtant la vérité.
J’étais pourtant assise dans un fauteuil en cuir et ensuite sur une chaise
rembourrée, mais cette étoffe se détend terriblement. Les plis que j’ai bien
fait repasser ne veulent pas tenir non plus. Il faut peut être traiter l’étoffe
d’une façon spéciale, j’irai demander, car ce matin j’ai vu qu’ils exposaient
le même genre d’organza, seulement pas mon dessin de fleurs. Les magasins en
sont pleins, mais c’est très cher, une chose que je ne pourrais jamais me
payer. Je suis si contente de ton
cadeau, Maxilein ! La jaune, je
l’ai laissée longue et la prends comme robe à danser. Elle me va à ravir, elle est
chou simplement. Vous auriez dû voir comme les femmes me lorgnaient ! Pour
aller à table nous devions choisir des billets de loterie. Ayant plus de
messieurs que de dames, il y en a eu qui ronchonnaient parce que sur leur
billet il n’y avait pas de no féminin, nous en avons bien ri. Ce qui m’a fait
plaisir c’est que Buby a été placé à côté, non, entre les deux plus vieilles femmes de la banque, et en
face de lui il avait Witkoop. Vous pensez comme il s’est amusé ? De temps
en temps je le regardais qui trônait entre ces deux bonnes femmes, et
j’entendais ses méninges craquer à chercher des sujets de conversation !
Moi, j’ai eu un peu plus de chance, étant de nouveau à côté de ce s’Jacob, le
même qu’au dîner Jöbsis dont vous
avez la photo. De l’autre côté j’avais Mr. Rietdyck et vis à vis Mr. van
Mastwyk. Madame Oppel avait à sa droite le plus jeune employé de la Banque, il
n’a que 15 jours qu’il est aux Indes, il est encore tout jeune, 20-22 ans.
Alors quand les plus vieux avaient prononcé leurs discours, quelqu’un a donné
la parole au plus jeune !!! Pauvre gosse, il ne devait pas se sentir bien
à l’aise, mais nom d’une pipe, il ne s’est pas fait prier. Il a dit quelques
phrases, remercié les Oppel, leur a souhaité bon voyage, après il a dit and now
the best is to leave it at that ! en hollandais naturellement, mais il a
eu beaucoup de succès pour la manière détachée dont il a dit cela.
La table
était merveilleusement décorée de fruits des Indes. Et le coup d’œil était
superbe, aussi celui des 30 djongos l’un derrière l’autre portant les plats sur
leurs épaules, avec leurs beaux turbans. C’était une vue unique, d’ailleurs
l’hôtel est réputé dans tout l’Orient pour cela. Et tout ce qu’il y avait à
manger !!!! C’était fou. Pour le dessert il y avait des cafés glacés et
une bonne tourte feuilletée, mille feuille. Le plus drôle, c’est que le chef de cuisine est un Suisse ! je
le sais de la Consulate.
Pour
rentrer, Maître s’Jacob m’a offert son auto juste au moment où Schreuder venait
aussi m’offrir la sienne, alors j’ai proposé qu’on aille tous ensemble chez
nous. A la fin on était deux autos remplies et on est allé chez Schreuder où on
devait boire trois d’un même verre ! Après chez Schreuder on a continué
chez les Boese (dont la jeune femme
est française) là on a pris le thé et l’apéritif et vers 8 heures je les ai
tous invités à venir souper d’une schnitteli chez moi. Avec Schreuder et de
Beaufort j’ai vite été acheter du pain, et de la charcuterie, entre autre aussi
du Schabziger ! Une fois arrivés à la maison nous étions 7, ils m’ont aidé
à mettre la table etc. Nous étions 7 dans mon petit flat ! Buby faisait le
Ober et à la place de Whisky soda il
a versé de l’huile dans un verre. Je
venais d’acheter un bidon d’huile que j’avais fait transvaser dans des bouteilles.
La baboe a bien lavé les bouteilles,
mais pas enlevé les étiquettes,
ainsi il y avait une bouteille de whisky qui contenait de l’huile. On a bien
ri. Celui qui m’a aidé le plus était Schreuder. Il était en train de couper du
pain à la cuisine, et moi j’avais mis le lait sur le feu pour du café quand on
m’a appelée. Je lui ai dit : garde un œil sur le lait et cela l’a fait
rire. Il a protesté à grands cris qu’il était surmené, etc. En voulant faire
marcher le ventilateur Buby a fait sauter une sûreté, ainsi pendant un long
moment on était sans lumières !!! Ils sont partis vers minuit et en
faisant le compte de la journée on a été bien content d’y avoir été à cette rijstaffel.
Avant hier
on a été au cinéma voir un film très gai : Theodora goes wild, avec Irene
Dunne. Un film américain. Nous avons ri comme des fous. En entrant on a
rencontré les van Mastwyk et aussi Schreuder, nous avons tous été nous asseoir
ensemble, on est sorti avec le fou rire et Buby a dit à Schreuder de venir
boire quelque chose et il est resté pour souper. Je suis contente qu’en
apprenant à le mieux connaître Buby le comprenne mieux. Et voilà .
Ce matin
j’ai eu la visite de mes deux Perruches,
Jacqueline (la Neuchâteloise) et la Consulate. On a de nouveau tenu un défilé
de mode, et pour cela j’aime bien rester en relation avec Jacqueline, parce
qu’elle me donne toujours de très bons conseils pratiques, et enfin elle est
bien au courant de la mode elle ne pense qu’à cela toute la sainte journée.
Mais elle est jolie à croquer. La Consulate est fausse, une vraie catholique.
On est encore toujours grandes amies, mais je me tiens sur le qui-vive. Cela
entre nous, hein ?
Mes chers,
je suis au bout…….
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