jeudi 8 septembre 2016





Batavia

23 mars 1937


A sa maman, à Rome
Ma petite sale femme, Rötteli, qui m’a fait un si grand plaisir avec sa binette de passeport. Ta sale binette je l’ai reçue à Premboen où Buby m’a envoyé ta lettre. Tu fais une petite bouche comme quand tu parlais d’une femme qui était une « distinguée » ou quelque chose de pareil. C’est tout à fait cette expression que tu as ou plutôt ta bouche. Je me demande où tu as fait faire cette photo, en tout cas il y a quelque chose ou quelqu’un qui ne t’est pas sympathique à ce moment là. Tu n’as pas changé, et sais-tu que tu es jolie ? comment fais-tu pour toujours être bien ? ta robe te flatte aussi. Enfin je n’y ai aucun plaisir !!! Les Engelhart ne savaient pas que j’avais une photo de toi. Ils te trouvent aussi très bien. Je leur ai dit que tu allais  probablement en Italie flirter avec le Pape et que je me faisais du souci pour ta vertu ! Ils ont bien rigolé et m’ont dit que j’étais incorrigible. Diable, il y a de quoi quand on est le Dräckli de la Rötteli.
Je  t’envoie ma lettre écrite sur le double, parce que je viens de m’apercevoir que mon ruban est usé, il me faudra le remplacer, mais tu sais je suis comme papa, je veux l’user jusqu’au bout.
Il y a longtemps que tu n’as plus rien entendu de moi. Voilà la raison. Je t’avais écrit je crois que j’irais à Keboemen vu que les van Tinteren devaient déménager à Banjoewangi. Zut, Mamms, je viens de m’apercevoir que je ne t’ai plus écrit depuis le 19 février, cela fait donc plus d’un mois. Bon sang, Mamali, je te demande pardon. Je ne sais pas comment cela s’est fait, tu vois le temps passe tellement vite que je ne me rends pas compte des semaines qui passent. Pourvu que tu ne te fasses pas de souci.
Je ne me rappelle plus même si je vous ai écrit que les v.T. devaient quitter Keboemen subitement. Wies n’avait que 10 jours pour tout emballer et quitter. Does est placé à Banjoewangi, c’est un avancement pour lui. Quand j’ai su la nouvelle, j’ai tout de suite décidé d’aller voir à cause de mes meubles. Je suis donc partie le 10 mars directement pour Premboen. Tante Engel aussi était en train d’emballer et avait toute la maison sens dessus dessous. Le lendemain de mon arrivée nous sommes allées à Djocja, tante Engel, sa belle-sœur et moi. Mr. E. ne pouvait pas s’absenter parce qu’il avait la dysenterie. Nous avons assisté à la réception de mariage d’une aristocrate javanaise (voir photo lettre du 22.3.1937, post précédent) que Tante Engel connaissait bien. Nous logions chez les Dencher, un collègue de la loge de Mr. E. que je connais aussi, mais pas sa femme. Nous devions passer la nuit chez eux, et la femme (qui entre parenthèse est une intrigante) n’avait fait préparer qu’une chambre à un lit double. Elle ne m’aime pas, sans me connaître, mais elle a beaucoup entendu parler de moi par son mari qui était venu chez nous à Keboemen, et par les Engelhard et Wies qui la connaît aussi.  Enfin on était comme deux chats ensemble, par devant on faisait miau et par derrière on aiguisait nos griffes. Quand elle a vu ce lit, Tante Engel a décidé de repartir le soir même après cette réception. Après le dîner nous avons été nous reposer un peu et alors j’ai un peu fait la folle avec ces deux femmes. Je leur montrais ce que nous faisons à notre cours de gymnastique, entre autre la danse du ventre. Elles faisaient les hauts cris, à la fin elles m’ont suppliée d’arrêter, qu’elles n’en pouvaient plus de rire. Cette belle-sœur, elle a fini par me regarder comme le bon dieu et c’est au moins 50 fois qu’elle m’a invitée à venir chez elle à Bandoeng. Au commencement je ne l’aimais pas, je l’appelais la mitrailleuse, le canon, parce qu’elle parle beaucoup, mais en la connaissant mieux elle m’est devenue bien sympathique et elle m’aime beaucoup. Enfin, pendant tout ce temps que nous rigolions, la madame Dencher pouvait se demander pourquoi et rager !!! Au moins elle a vu qu’elle ne pouvait pas m’atteindre, mais je ne désire plus me frotter à elle. Enfin, cette réception le soir était plus intéressante que belle. Nous étions environ une dizaine d’Européens seulement, parmi des centaines de Javanais. C’est fou ce qu’on se trouve vite perdue au milieu d’une autre race. Les jeunes mariés étaient assis sur une sorte de trône, la jeune fille était merveilleusement attifée dans le costume de noce. Ils n’osaient pas se parler, ni même se regarder. Enfin cela m’a fait beaucoup d’impression, je ne peux pas te le décrire, ce serait trop long et je n’y parviendrais pas. Je vais voir à vous envoyer une photo si je puis m’en  procurer une. La mariée était fardée d’une façon toute spéciale en vert, jolie comme tout. Il a fallu tout un jour pour la préparer et la parer. Il y en avait des bijoux ! Et de penser que quelques jours après elle vivrait de nouveau tout à fait à l’européenne, vu que son mari est médecin et a étudié en Europe, mais on ne l’aurait pas dit en le voyant là dans ses habits de soie violette avec des broderies d’or.
Le samedi 13 mars je l’ai passé à Keboemen chez les van Tinteren. C’était leur dernier jour et ils le passaient dans ma maison vu que tout chez eux était déjà emballé.  Ils ont été bien gentils pour moi, mais je ne sais pas, Wies me devient de plus en plus antipathique. La vie aux Indes la gâte beaucoup. Elle n’a pas beaucoup à faire et passe ses journées à bavarder et à dire du mal des gens. Elle ne sait parler que de cancans et ne cherche pas à meubler son esprit de choses plus intéressantes. Elle devient bien ennuyeuse. Naturellement je n’en ai rien laissé paraître, ni même quand elle m’a dit comme les Visser avaient été gentils pour eux, qu’elle ne pouvait pas comprendre comme je n’avais pas pu m’entendre avec eux. Elle m’a aussi laissé entrevoir que ce n’était pas de la faute à madame Visser ! Enfin je me suis dit : Tiens, voilà un bibi, tu dois faire attention à l’avenir, Nelly.  Cette fois-ci adieu les confidences ou mon opinion sincère sur les gens. Ha, on ne m’y attrapera plus, pas même avec tante Engel que j’ai parlé à cœur ouvert. Il n’y aura que toi à qui je dirai ce que je pense des gens, et mon Buby bien entendu ! Voilà une expérience de plus, et je pense que ce ne sera pas la dernière ! Il ne te faut pas penser pourtant que je sois aigrie, oh non !, je ne me laisse plus toucher par des choses pareilles. Wies a aussi cru devoir me dire que j’étais bête d’aller rendre visite aux Röhwer, mais je ne l’ai pas écoutée et j’y suis allée, j’ai même dîné chez eux. Lui, il était gentil comme d’habitude d’ailleurs, elle m’a d’abord fait sa fameuse mine jalouse, mais après elle est quand même devenue plus civile. Je suis tout de même madame Woldringh de Batavia maintenant ! En fin de compte c’est à eux que j’ai remis les clefs de ma maison non sans d’abord avoir tout bien emballé et laissé la maison dans un ordre parfait. J’ai repris mon linge et mes livres ici. A Keboemen il ne reste donc plus que les meubles vides, et quelques caisses de porcelaine et de choses de cuisine, qui ne se gâtent pas. J’aurais pu vendre mes meubles au successeur de Does, mais avec trop de perte, et ils sont encore si jolis et modernes que je serais bête de m’en défaire. Les Visser étaient en vacances, je ne les ai donc pas vus, excepté lui qui est revenu pour le départ de Does. Quand j’avais fini à Keboemen, j’ai encore aidé Tante Engel à emballer. Elle en avait tant la pauvre.  Ensuite il est venu une lettre de Buby qui, à la fin, disait : Enjoy yourself but I will look forward to your coming home. Alors qu’est-ce que tu veux qu’on fasse dans un cas pareil : je suis rentrée aussi vite que possible, malgré que j’avais l’intention de rester loin aussi longtemps que possible. Cela fait du bien que les hommes soient seuls de temps en temps, on apprécie d’autant plus après. (leçon de Rötteli).
Vendredi Saint nous partons pour Padalarang où nous resterons jusqu’à Lundi de Pâques. Cela fera du bien à Buby qui a travaillé presque toutes les nuits jusqu’à 3 heures du matin, ces derniers temps. Il n’en peut plus. Après Pâques Elout va en voyage et Buby devra faire seul, ce sera aussi un temps difficile pour lui, c’est pourquoi je veux qu’il se repose bien pendant ces jours de Pâques.
Moi, je me porte de nouveau d’une façon splendide. Enfin tu pourras lire la lettre à Faaather qui part en même temps que celle-ci.
Je viens de recevoir ta lettre 157 de Rome, je suis contente que tu aies eu du plaisir, mais stpl. ne fais pas trop, ne te force pas avec tout ce sight seeing. Laisse Charlot aller voir toutes ces choses historiques.
Toi, fais des promenades et jouis à ton aise des beautés qui t’entourent, tu en profiteras plus que de marcher derrière des guides à la manière des vieilles anglaises. Prends les jours comme ils viennent, jouis-en, flâne par les rues, les places, les parcs, réjouis toi de respirer l’air de Rome et ne gâtes pas ton séjour par trop de « tourisme à la Baedecker » (guide de voyage allemand). C’est bon pour Charlot qui doit encore s’instruire, quoi que ces conseils je voudrais aussi les lui donner.
Hier, non dimanche, nous avons été invités à une rijsttafel par les Enders, sous directeur de la Banque. Ils sont aussi sur la photo. Ce sont des gens bien sympathiques, ils demeurent à côté de chez Jöbsis. Elle n’est pas très intelligente, mais c’est une dame avec une bonne éducation, plutôt une éducation soignée. Ils ont longtemps vécu en Chine et lui parle chinois très bien. C’était très intéressant. Nous y étions avec d’autres jeunes de la Banque. J’avais mis la robe de Tatali, et son béret bleu roi qui me va si bien avec cette robe et de jolis souliers en daim bleu marin, et des gants blancs avec les décors bleus.
Hier lundi, j’ai ouvert la porte de la cuisine comme chaque matin pour que la baboe puisse entrer. Alors un moineau est entré, il a volé par la cuisine et s’est cogné trois fois distinctement à la vitre de la porte allant à la chambre à manger. Je n’aimais pas cela, et j’ai ouvert la porte pour essayer de le faire sortir de la cuisine, mais l’oiseau, d’un seul trait a passé devant moi et s’est envolé par la fenêtre de la chambre à manger. Cela m’a fait une drôle d’impression.
Cara mia, je vais répondre en détail à toutes tes lettres après Pâques, sitôt que je serai rentrée de Padalarang. Tu ne m’en voudras pas, n’est-ce pas que je t’aie laissé attendre si longtemps.  J’essaye encore de me faire une robe pendant ces deux jours, une petite robe pour jouer avec les enfants là-haut.
Les garçons seront donc séparés pour leur fête. J’espère qu’ils la passeront chacun agréablement. Je dois encore leur écrire, c’est pourquoi j’abrège un peu ta lettre à toi, vu que j’ai aussi écrit au Padre.
Merci pour tout ce que tu m’envoies, ainsi que pour la recette de la fondue.
Je vois que tu es en train de perdre ton cœur à chaque coin de rue, ah, tu as raison, j’en ferais autant. A Naples nous avons logé à l’hôtel Vesuvio, juste en face du fort l’Ovo, je crois qu’il s’appelle C’est une forteresse dans la mer, vous ne manquerez sûrement pas d’aller la voir, eh bien notre hôtel est juste en face. Nous avions une chambre au troisième, dans l’aile droite du bâtiment. Nous nous sommes embarqués au Molo Pisacano, Immacola della Nuova. C’était dur de partir, mais je ne le regrette pas. La prochaine fois on s’embarquera ensemble, hein Mamms, bah, la terre est ronde et bien petite, et les Indes c’est si beau.
M. Engelhart aimerait tant que Boy puisse venir comme paying guest au Chalet, surtout pour la compagnie des garçons. Je n’ai pas réagi, ne sachant pas ce que vous en penseriez. Il est revenu trois fois sur ce sujet mais la Näggeli n’a pas donné dans le tableau.
Et maintenant, je vais te quitter pour encore écrire aux garçons. Il est déjà 11 heures et le sandmann vient aussi. Soigne-toi, ne fais pas trop. Je suis contente que Charlot te surveille et te force à la prudence.
Mille et un muntschi etc








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire