vendredi 16 septembre 2016




Batavia

6 avril 1937


C’est fou comme le temps passe vite, je n’en reviens pas que nous sommes déjà au mois d’avril, Pâques passées et nous acheminant vers Pentecôte.
Nous avons donc été à Padalarang passer les fêtes de Pâques. Il a fait beau, nous avons joué au tennis, le soir on filait à Bandoeng (20 km) au cinéma et puis dansé (à Pâques !). Les matins on jouait au tennis, et pendant tout le temps on jouissait et respirait l’air frais de la montagne. Le plateau de Bandoeng est si beau, entouré des montagnes violettes. Un jour, le samedi de Pâques, en allant à Bandoeng le matin pour lädele (lèche vitrine), nous sommes tombés sur Ir (sœur de Kitty et épouse de Bernard van der Lee) et sa belle-mère. Ir était un peu fâchée parce que je ne lui avais plus écrit depuis bien longtemps et qu’elle m’invite toujours à venir passer quelques temps chez elle, mais cela me dit rien. J’aimerais bien y aller pour l’air frais, mais pour la compagnie, zut, ils sont devenus tellement nouveaux riches (lui est médecin en vogue), ils peuvent se payer tout ce dont ils ont envie, et si je vais là en visite il faudrait aussi me revancher, mais je ne puis pas les avoir. Je suis si contente d’habiter un flat, cela me dispense d’avoir des visites, je ne sais pas combien j’en aurais déjà eues pour passer la nuit ici avant de s’embarquer, et Wies aussi aimerait venir avec la petite pendant que Does (van Tinteren) fait son service, mais zut, il n’y a rien de fait. Cela m’a déjà économisé bien des sous ainsi. Naturellement je chante sur tous les tons mes regrets de ne pouvoir loger personne !!!
Le lundi de Pâques nous avons été nager au-dessus de Bandoeng dans un très joli bain, avec des pelouses entourées de grands cyprès, et de fleurs merveilleuses formant des taches multicolores. C’était vraiment très joli. Ce qui l’était moins, c’était la rentrée, lundi soir, à Batavia. Ouf, cette première nuit avec un air lourd et épais, mais on s’y habitue vite de nouveau. Il faut bien d’ailleurs, mais ils ont quand même de la chance de demeurer là-haut, les van der Lee.  Tout de même ces quelques jours nous ont fait beaucoup de bien et Buby s’est remis au travail avec nouvel entrain. Ce rapport annuel n’est pas encore parti, c’est presque un cauchemar, surtout maintenant que Elout est loin aussi. 
Les Elout sont donc partis vendredi passé. J’ai été chez Annie un matin pour lui aider à emballer, mais zut, je ne pouvais pas faire grand’chose, elle n’avait pas d’organisation, piquait de gauche à droite des objets qu’elle fourrait dans un coffre pour les en ressortir un moment plus tard et les mettre dans une valise et vice-versa. Je viens de recevoir une longue liste déjà de choses que je dois aller chercher pour elle dans sa maison parce qu’elle les a oubliées. C’est fou ce qu’elle se complique la vie et ce qu’elle vit difficilement.
Nous avons le téléphone maintenant. Notre No.5042 Weltevreden. Tous les matins à 6 heures on reçoit des télégrammes et un peu après les cours de coprah et d’huile de Londres, c’est-à-dire, c’est le bureau Anéta, l’agence télégraphique donc, qui nous les transmet directement à réception. Alors Buby commence par téléphoner à gauche et à droite, il achète, il vend, il télégraphie aux fabriques de sorte qu’à 8 ½ heures quand il se rend au bureau, le gros des affaires pour la journée est presque déjà fait. Il doit travailler ensemble avec Wittkopp qui n’est pas facile. C’est un type qui se décide difficilement, qui a le trac de prendre une responsabilité ou plutôt la responsabilité de ses actes. Enfin, Buby en voit de toutes les couleurs avec lui, et cela l’embête car il n’a pas les coudées franches. Enfin, espérons que tout finira bien par s’arranger jusqu’au retour d’Elout. En tous cas c’est une belle chance pour Buby de s’y mettre, mais aussi faudrait le voir, il a toujours la tête pleine d’affaires, presque plus moyen de lui parler d’autre chose. D’ailleurs c’est assez naturel, après quelques temps cela ira mieux, il s’y habituera aussi et prendra plus facilement les choses.
Depuis quelques jours j’ai un pensionnaire. C’est le jeune Seeuwen qui était jeune administrateur à Banjoewangi jusqu’à son congé d’Europe dont il est revenu il y a environ 15 jours. Ils ne savent pas encore où il sera placé, alors en attendant il travaille au bureau ici et aide Oscar. Comme sa femme reste à Soekaboemi (entre Bogor et Bandoeng) et qu’il est tout seul ici, Oscar le prend à dîner chez nous. Nous ne le connaissions pas avant, et c’est ainsi une bonne occasion pour Buby d’apprendre à le connaître. Comme il sera de nouveau administrateur, Oscar aura probablement aussi beaucoup à faire avec lui, de sorte que c’est bien si nous nous en faisons un ami. A moi cela ne me revient pas plus cher, ou du moins presque pas, car je ne fais rien d’extra. Pour Buby c’est un stimulant, vous devriez voir comme il mange mieux ! A part moi, je dois rigoler un peu, sais-tu, il a les mêmes défauts que papa ; quand il y a du monde, c’est lui qui bouffe le plus, c’est comme s’il avait peur qu’il n’y en ait pas assez, non pas directement de cette manière-là, enfin, il mange deux fois plus que d’ordinaire. Ainsi moi je suis contente de chaque visite qui vient.
Dimanche passé nous avons vite été dire bonjour aux van der Stock. Ils avaient un ami en visite et Margot était en train de faire un plat hollandais du stockvish (de la morue).  Ils nous ont invités à rester manger avec eux. Moi j’ai d’abord refusé parce que je pensais bien qu’il n’y en aurait pas tout à fait assez, mais Buby a tout de suite accepté et malgré que je l’ai averti de ne pas trop se servir vu que j’avais encore mon dîner à la maison, une bonne rijsttafel, il a empilé sur son assiette comme s’il n’avait plus mangé depuis des semaines. Margot et moi n’avons pas trop mangé, moi allégant mon estomac, mais une fois arrivée à la maison je me suis fait servir ma rijstaffel et j’ai bouffé come si de rien n’était. Buby, je l’ai obligé à me tenir compagnie et à bouffer aussi, un peu pour le punir d’avoir ainsi mangé là-bas. Il n’en pouvait plus, mais nom d’une pipe, il a tout de même fallu qu’il goûte à la rijsttafel. C’est un miston.
Mes chers, je ne sais pas encore exactement quand la jeune Huguenin arrive. Pouvez-vous me dire par quel bateau elle part, si elle a pris un bateau hollandais. Il y a toujours la liste des passagers arrivants aux Indes dans les journaux, mais naturellement seulement des bateaux hollandais. Je ne voudrais pas la manquer.
Je viens de recevoir cet après midi ta lettre 158. Elle est fameuse et m’a fait un plaisir immense. C’était comme si j’étais avec vous. Comme je suis contente que Nögg ait aussi pu en profiter, même si c’est que pour quelques jours. Je me réjouis d’avoir ce rapport de voyage de Mamms, gare !!! (à Rome).
Oui, je ne t’ai pas écrit régulièrement ces derniers temps, mais je pense que tu ne m’en voudras pas maintenant que tu sais pourquoi. Je me porte de mieux en mieux, je pèse déjà 58 kg et mon appétit est toujours encore énorme. J’aurais encore trois fois une piqûre par mois et puis ce sera suffisant pour une période de trois ans au moins dans le climat de Batavia.
Dimanche prochain j’aurai les van der Stock avec leur ami pour manger de la soupe aux pois avec des gnägi (pieds de porc) et des frankfurterli (saucisses de Francfort). C’est dommage que je ne pourrai pas jouir du festin mais je ne vais pas me charger l’estomac inutilement. Je serai donc raisonnable.
Mamali, tu aurais bien raison de filer à Bruxelles (où habite maintenant Papa Woldringh). C’est une ville jolie et aimable et je crois que Papa W. aura du plaisir à ta visite. Il nous a écrit qu’ils t’avaient invitée et nous prie d’insister auprès de toi pour que tu y ailles. Donc, Rötteli ! C’est mon pauvre Pater. On te délaisse mon vieux, qu’est-ce que tu en dis ? tu t’en fous, hein ?
Je vais cette semaine rendre visite à cette jeune femme de Neuchâtel qui habitait ici au flat avant de partir en Europe pour 3 mois. Maintenant ils ont une maison et elle m’a demandé de venir la voir. Elle va me faire faire la connaissance de la femme du consul suisse qui est soleuroise, paraît-il. J’en serai bien contente, car je désire pourtant me faire un petit cercle de connaissances françaises.
Mes chers, je vous quitte, il est déjà presque 11 heures. ….. all the best…..




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