lundi 25 juillet 2016






Batavia

22 septembre 1936

A sa maman
Dans le monde entier il n’existe qu’une sale femme, la pire et celle que j’aime le plus : c’est ma Rötteli. Merci de tout mon cœur pour ta bonne longue lettre à laquelle je vais maintenant répondre librement, puisque je viens de finir celle pour tout le monde ! Maintenant c’est mon dessert, de t’écrire à toi toute seule, bien entre nous.
Tout de même d’abord il faut que je te gronde un peu, car sans y penser tu m’as joué un sale tour, en ne tenant pas compte de cette lettre dans laquelle je te disais à qui tu devais distribuer les cadeaux apportés par tante Engel.
C’est surtout au sujet de ce bracelet que tu as remis à Banely (Fanny) et qui était destiné à Flock. Mamali, je le lui ai déjà écrit depuis une année, et c’était le cadeau de noce que nous lui avions toujours promis et jamais donné. Je lui en ai parlé tant et tant de fois dans mes lettres, elle savait que tante Engel le lui apporterait et maintenant toi tu le donnes à Fanny.  J’avais encore bien pris soin de t’écrire à temps comment tu devais distribuer les choses, pensant qu’ainsi au moins il n’y aurait pas de malentendus. Qu’est-ce qu’il me faut faire maintenant ? Ne lui donne pas d’autre cadeau, à Flock, c’est inutile. Pourrais-tu le redemander à Fanny ?? Je ne pense pas que tu aies le cœur de lui faire cela, et moi non plus d’ailleurs, puisqu’elle en a eu tant de plaisir. D’un autre côté, il me faut tenir parole à Flock, puisque c’est un cadeau promis depuis trois ans, sans quoi il me semble que cela me porterait malheur de ne pas tenir parole. Elle sait que c’est un bracelet en argent qu’elle doit recevoir. Je t’avais écrit dans cette lettre du 29 avril 1936 : sauf les cadeaux pour Papa, Tata et Flock, tout le reste tu peux en faire ce que tu veux. Puisque Tatali n’est plus, je pense que tu garderas cette petite corbeille en écaille avec argent pour toi. Enfin tâche de retrouver cette lettre, et puis, dis-moi au plus vite ce qu’il faut faire. Si, comme je le crains, tu ne peux pas redemander ce bracelet à la Fanely, il me faudra en acheter un autre pour Flock, car il faut qu’elle l’aie. Cela m’embête un peu, parce que ce sera de nouveau une dépense de plus, vu que j’ai la note du docteur en perspective et ces injections qui ne seront pas bon marché, mais enfin tant pis.  Ah, espèce de charrette, toi !
Entre nous, je sens bien que tu n’as plus trop de sympathie pour Flock, je le comprends, va, et je ne t’en veux pas. Moi-même, je me suis beaucoup détachée d’elle, je n’arrive presque plus à lui écrire. Cela lui fait de la peine, et vraiment j’ai pitié d’elle, c’est pourquoi je fais mon possible pour être gentille et bonne pour elle. Il te faut penser, elle n’a pas de Buby comme moi pour remplir sa vie et encore une personne, une sale femme de la qualité de ma Rötteli ! Je dois de nouveau écrire à Flock, alors que vais lui dire la vérité, simplement que tu ne pouvais plus retrouver ma lettre et que tu t’étais trompée de cadeau, car il ne faut pas qu’elle puisse croire que tu ne lui accordais pas ce bracelet. Enfin, réponds moi aussi vite que possible là-dessus.
Entre temps tu auras eu sa visite et celle d’Itje. Quant à la visite des Engelhart, je crois deviner que tu n’en as pas eu le plaisir que tu en attendais. Je puis bien me représenter que cela vient de ce que tante E. ne t’a pas assez raconté de moi, et pourtant je lui ai souvent répété de raconter autant que possible. Je pense plutôt que la bonne tante E. a été timide de parler en allemand. Elle n’a pas le talent des langues ! et puis votre vivacité à vous tous l’aura aussi ébahie, de sorte qu’elle ne pouvait plus retrouver le filon. Tu sais, chez elle cela doit monter lentement comme le lait et vous ne lui en aurez pas laissé le temps. Je devine aussi, d’après l’attitude de tante E. qu’elle a eu de graves crève-cœur à cause de sa fille qui n’est pas du tout gentille avec elle. Enfin, je suis tout de même contente qu’en général toute cette visite soit bien passée Je crois bien que je te ressemble beaucoup, car souvent je suis surprise moi-même d’un geste ou d’une pensée, et je dois me dire : tiens, c’est comme Mamali. La dernière ressemblance c’est de boire de la bière, maintenant et après je rotte comme toi.
Enfin, tu peux rire !
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Est-ce que Loulou va à Londres pour y rester ? Qu’est-ce donc cette affaire qu’ils sont en train de monter ? Tu m’en as déjà souvent parlé sans jamais me dire de quoi il s’agit. J’en suis curieuse à la fin de compte.

A propos, Annie Elout aimerait bien avoir des petites chemises pour Fransje, son petit garçon de 4 ans. Ce sont des petites chemises de Hanro. Pour que tu ne puisses pas te tromper, je t’en envoie une vieille qu’Annie avait achetée en Autriche. Tu en achèteras deux pareilles, seulement un numéro plus grand, tu les laveras et tu me les enverras comme mes cosy. Annie va me les payer. On ne peut pas obtenir de choses suisses ici, à cause des contingents. Attends que tu aies le modèle avant d’aller les acheter. L’argent te sera remboursé aussi. Ach, cette Annie n’a pas la vie facile. Elle est terriblement grosse et la chaleur l’ennuie beaucoup, et elle a encore beaucoup à faire et celle a des soucis d’argent. La semaine passée, je lui ai ourlé 20 petits draps. Cela la décharge un peu. Tu sais je fais ce que je peux pour elle et en fin de compte je l’aime assez. Elle n’est pas toujours agréable mais elle a vraiment aussi des qualités.
Et maintenant j’arrive à la fin de ma feuille. Je me réjouis de recevoir de tes nouvelles, tu sais que tes lettres sont toujours ce que j’aime le mieux d’Europe. 
Maintenant je te quitte. N’oublie surtout pas de retrouver cette lettre concernant les cadeaux et écris-moi là dessus stpl.






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