Batavia
22 septembre 1936
A sa maman
Dans le
monde entier il n’existe qu’une sale femme, la pire et celle que j’aime le
plus : c’est ma Rötteli. Merci de tout mon cœur pour ta bonne longue
lettre à laquelle je vais maintenant répondre librement, puisque je viens de
finir celle pour tout le monde ! Maintenant c’est mon dessert, de t’écrire à toi toute seule, bien entre nous.
Tout de
même d’abord il faut que je te gronde
un peu, car sans y penser tu m’as joué un sale tour, en ne tenant pas compte de
cette lettre dans laquelle je te disais à
qui tu devais distribuer les cadeaux apportés par tante Engel.
C’est
surtout au sujet de ce bracelet que
tu as remis à Banely (Fanny) et qui était destiné à Flock. Mamali, je le lui ai déjà écrit
depuis une année, et c’était le cadeau
de noce que nous lui avions toujours promis et jamais donné. Je lui en ai
parlé tant et tant de fois dans mes lettres, elle savait que tante Engel le lui
apporterait et maintenant toi tu le donnes à Fanny. J’avais encore bien pris soin de t’écrire à temps comment tu devais distribuer les choses, pensant qu’ainsi au moins il n’y aurait pas
de malentendus. Qu’est-ce qu’il me
faut faire maintenant ? Ne lui donne pas d’autre cadeau, à Flock, c’est
inutile. Pourrais-tu le redemander à Fanny ?? Je ne pense pas que tu aies
le cœur de lui faire cela, et moi non plus d’ailleurs, puisqu’elle en a eu tant
de plaisir. D’un autre côté, il me faut tenir parole à Flock, puisque c’est un
cadeau promis depuis trois ans, sans quoi il me semble que cela me porterait
malheur de ne pas tenir parole. Elle sait que c’est un bracelet en argent
qu’elle doit recevoir. Je t’avais écrit dans cette lettre du 29 avril 1936 : sauf les cadeaux pour Papa, Tata
et Flock, tout le reste tu peux en faire ce que tu veux. Puisque Tatali
n’est plus, je pense que tu garderas cette petite corbeille en écaille avec
argent pour toi. Enfin tâche de retrouver cette lettre, et puis, dis-moi au
plus vite ce qu’il faut faire. Si, comme je le crains, tu ne peux pas
redemander ce bracelet à la Fanely, il me faudra en acheter un autre pour
Flock, car il faut qu’elle l’aie. Cela m’embête un peu, parce que ce sera de
nouveau une dépense de plus, vu que j’ai la note du docteur en perspective et
ces injections qui ne seront pas bon marché, mais enfin tant pis. Ah, espèce de charrette, toi !
Entre
nous, je sens bien que tu n’as plus trop
de sympathie pour Flock, je le
comprends, va, et je ne t’en veux pas. Moi-même, je me suis beaucoup détachée d’elle, je n’arrive
presque plus à lui écrire. Cela lui fait de la peine, et vraiment j’ai pitié
d’elle, c’est pourquoi je fais mon possible pour être gentille et bonne pour
elle. Il te faut penser, elle n’a pas de Buby comme moi pour remplir sa vie et
encore une personne, une sale femme de la qualité de ma Rötteli ! Je dois
de nouveau écrire à Flock, alors que vais lui dire la vérité, simplement que tu
ne pouvais plus retrouver ma lettre et que tu t’étais trompée de cadeau, car il
ne faut pas qu’elle puisse croire que tu ne lui accordais pas ce bracelet.
Enfin, réponds moi aussi vite que possible là-dessus.
Entre
temps tu auras eu sa visite et celle d’Itje. Quant à la visite des Engelhart, je crois deviner que tu n’en
as pas eu le plaisir que tu en attendais. Je puis bien me représenter que cela
vient de ce que tante E. ne t’a pas assez raconté de moi, et pourtant je lui ai
souvent répété de raconter autant que possible. Je pense plutôt que la bonne
tante E. a été timide de parler en allemand. Elle n’a pas le talent des
langues ! et puis votre vivacité à vous tous l’aura aussi ébahie, de sorte
qu’elle ne pouvait plus retrouver le filon. Tu sais, chez elle cela doit monter
lentement comme le lait et vous ne lui en aurez pas laissé le temps. Je devine
aussi, d’après l’attitude de tante E. qu’elle a eu de graves crève-cœur à cause
de sa fille qui n’est pas du tout gentille avec elle. Enfin, je suis tout de
même contente qu’en général toute cette visite soit bien passée Je crois bien
que je te ressemble beaucoup, car souvent je suis surprise moi-même d’un geste
ou d’une pensée, et je dois me dire : tiens, c’est comme Mamali. La
dernière ressemblance c’est de boire de la bière, maintenant et après je rotte
comme toi.
Enfin, tu
peux rire !
----
Est-ce que
Loulou va à Londres pour y rester ? Qu’est-ce donc cette
affaire qu’ils sont en train de monter ? Tu m’en as déjà souvent
parlé sans jamais me dire de quoi il s’agit. J’en suis curieuse à la fin de
compte.
A propos, Annie Elout aimerait bien avoir des
petites chemises pour Fransje, son petit garçon de 4 ans. Ce sont des petites chemises de Hanro. Pour que tu
ne puisses pas te tromper, je t’en envoie une vieille qu’Annie avait achetée en
Autriche. Tu en achèteras deux pareilles, seulement un numéro plus grand, tu
les laveras et tu me les enverras comme mes cosy. Annie va me les payer. On ne
peut pas obtenir de choses suisses ici, à cause des contingents. Attends que tu
aies le modèle avant d’aller les acheter. L’argent te sera remboursé aussi.
Ach, cette Annie n’a pas la vie facile. Elle est terriblement grosse et la
chaleur l’ennuie beaucoup, et elle a encore beaucoup à faire et celle a des
soucis d’argent. La semaine passée, je lui ai ourlé 20 petits draps. Cela la décharge un peu. Tu sais je fais ce
que je peux pour elle et en fin de compte je l’aime assez. Elle n’est pas
toujours agréable mais elle a vraiment aussi des qualités.
Et
maintenant j’arrive à la fin de ma feuille. Je me réjouis de recevoir de tes
nouvelles, tu sais que tes lettres
sont toujours ce que j’aime le mieux
d’Europe.
Maintenant
je te quitte. N’oublie surtout pas de retrouver cette lettre concernant les
cadeaux et écris-moi là dessus stpl.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire