Keboemen
18 mai 1936
A sa maman
Bon sang,
j’ai bien été surprise de recevoir ta lettre depuis St Gall et je n’en croyais
pas mes yeux en lisant les nouvelles de Tata. (Hémorragie cérébrale) Pauvre Tata, elle me fait une
immense pitié, surtout parce qu’elle a été si seule quand c’est arrivé. Comment
va-t-elle maintenant ? je pense qu’elle est encore bien malade et que la
reconvalescence sera longue. Est-ce qu’elle pourra au moins se remettre
complètement ? Mes pensées ne vous quittent presque plus depuis que j’ai
eu ta lettre. Pauvre Tata. Oui, heureusement que tu étais encore en Suisse
quand c’est arrivé, mais toi-même fais attention, ne te surmène et aussi ne te
fatigue pas trop. Tu sais, il te faut bien veiller sur toi aussi, tu me l’as promis.
En même
temps que ta lettre j’ai reçu les journaux de Tata, ceux de Noël avec ses
muntschis (becs) écrits par place.
Cela m’a bien fait mal au cœur de penser qu’elle était maintenant si malade. De
moi, tu lui donneras toutes les bonnes nouvelles possibles et aussi toutes mes
meilleures pensées et affectueuses salutations. Elle a eu si peu de sa
vie ! Toi, dans ta vie, tu as eu beaucoup de chagrins, beaucoup de
crève-cœurs, mais au moins tu as eu une vie remplie, et elle est encore si
jeune.
Moi aussi
je trouverais une bonne idée que vous puissiez la prendre à Sutz, car elle en
aura de tout l’été pour se remettre. Que dit le docteur ? Cela a aussi
donné un coup à Max. Est-il rentré de voyage ou seulement du bureau ?
C’est avec impatience que j’attends ta prochaine lettre avec d’autres
nouvelles.
Tu m’as de
nouveau tellement gâtée, que je ne sais pas comment te remercier. Samedi après
midi Buby m’a apporté deux paquets de la poste. L’un contenait les restes de la
robe jaune de Leni, pour lesquels je te ou la remercie, sincèrement. Le
deuxième paquet contenant le plus beau, le plus pur de tes chefs d’œuvre faits jusqu’à présent. Ce petit jumper est simplement une merveille et il me va comme un
gant. Et quelle belle idée, ces boutons avec ces chainettes ! Oh, ce
jumper avec mes beaux souliers en
daim beige et mon costume en toile de lin couleur ficelle ! Tout est
assorti, et tout me va bien comme à une girlie. Je le porterai avec une large
ceinture marron, et je vais m’acheter un petit chapeau dito. J’ai déjà un beau
sac de crocodile véritable de Linette, ainsi j’aurai un ensemble épatant pour
le matin. (Mais j’éviterai d’aller ainsi chez madame Elout !!!)
J’ai aussi
bien reçu votre carte de Tüscherz (rive
nord du lac de Bienne), merci.
Ces
derniers 15 jours on a de nouveau eu un gstürm (stress). Demain il y aura 15 jours, Visser dit à Oscar qu’il
pouvait aller en tournée pour lui. Nous sommes donc partis pour Djocja, Solo, où nous sommes restés chez John et Jans. Nous
avons aussi couché là. La situation est encore toujours la même, John semble
toujours aller plus bas en étant amoureux maintenant d’une de ses baboe, et tu peux penser ce que Jans
doit endurer de crève-cœur car il ne les lui épargne pas. Oscar a bien essayé
de lui dire quelque chose mais une vraiment bonne occasion lui a manqué, de
sorte que nous sommes repartis sans avoir pu parler ouvertement. Jans est venue
avec nous à Semarang où elle allait
passer le week-end chez son oncle. Là à Semarang, nous n’avons pas eu le temps
d’aller chez Franz et Anne, Oscar avait trop à faire et nous voulions rentrer
tôt. Heureusement aussi que nous sommes rentrés tôt, car en arrivant je trouve
toute la maison encombrée de malles,
de valises etc. et la baboe de Wies qui m’informe que Madame viendra ce soir avec la petite. Je ne les attendais que dans
deux jours, grâce à un message par téléphone qui ne m’a pas été bien transmis.
Wies a encore téléphoné privé et on lui a simplement répondu que les Woldringh n’étaient pas à Keboemen !
Je te demande un peu ? Wies ne savait pas que penser, et à la fin cela lui
est venu à l’idée que nous étions peut être en tournée, et c’est pour cela
qu’elle est venue quand même. Je me suis donc dépêchée de les installer.
J’avais aussi fait de la place pour les parents, c’est les Röhwer qui les ont
pris, et les ont choyés et dorlotés à qui mieux mieux !!! Mais les parents
n’avaient aucune liberté pour venir ici !!!
Après deux
jours les meubles sont arrivés et nous avons commencé à installer la maison. Le
premier soir que Wies et Does couchaient dans leur nouvelle maison, j’ai offert
une bouteille de blanc que nous avons bue là, dans leur voorgalery pour fêter
leur entrée et leur succès. La Rickshaw, qui voulait aussi venir, s’est retirée
quand elle m’a aperçue ! Je te dis, ils crèvent de jalousie, et ils me
traitent comme si j’avais la lèpre, mais surtout c’est la jalousie parce que tu
peux te penser c’est un va-et-vient d’une maison à l’autre ! Quant à nous,
nous ne savons encore rien de définitif, mais je pense que cela n’ira plus
longtemps et je devrai emballer vite, vite.
Hier Oscar
vient du bureau, c’était dimanche, avec une bouche riant d’une oreille à
l’autre. La Mexolie a donné à tous ses employés un mois de salaire extra en remerciement de leur concours pendant
l’année 1935 ! Oui, c’est
chic, hein ? La Mexolie a fait du bénéfice, mais pas assez pour verser des
tantièmes, alors elle a fait ainsi. C’est déjà beau et en ces temps, il faut
savoir se contenter de tout, excepté le vieux Röhwer qui trouvait que ce
n’était pas assez ! Ils vont rouvrir une fabrique d’alcool à Wattes, de
sorte que cela donnera de nouveau du changement de personnel. Il y aura peut
être des gens de la Mexolie qu’ils mettront dans l’alcool, on ne sait pas
encore, mais en tout cas Elout, qui devait venir ici un de ces jours, est
terriblement occupé et ne fait que voler entre Batavia et Soerabaya. Buby a
aussi l’impression qu’il y a quelque chose qui se prépare, mais on ne sait pas
quoi. En tout cas, c’est plutôt bon signe qu’ils ouvrent de nouveau une
fabrique qui a été fermée ces deux dernières années.
Comment va
mon Faaather ? Il y a si longtemps que je n’ai rien entendu de lui et toi
non plus tu ne m’as rien écrit sur lui. J’espère qu’il se porte toujours bien,
ou du moins pas trop mal. Je trouve une bonne idée de sa part d’avoir offert de prendre Tata au Chalet.
Est-ce que vous louerez quand même alors ? Ou est-ce que tu donneras une
belle chambre à Tata et que tu loueras les deux petites ? Les garçons
seront loin pour quelques mois, hein ? Pour en revenir au Padre, de peur
qu’il oublie sa Ge…, elle va lui tirer une carotte. C’est pas bien gentil,
hein, Pater, de te tirer encore des carottes, mais vois-tu, il le faut bien,
cela te rappellera ta Ge… Non, c’est pas chic de te chicaner comme cela, tu vas
encore croire que j’ai vraiment peur que tu m’oublie. Voilà ma carotte :
un bâton de rouge pour l’argenterie.
Cela n’a pas besoin d’être un bâton entier, seulement un bout, mais il faut
qu’il soit bon, c’est pour poutzer (nettoyer)
mon argenterie. En venant ici j’avais acheté des boulettes de poudre chez Luthy
Ott mais ces djongos, cela ne sait pas être économe et maintenant tout est déjà
au diable. C’est pour cela si le rouge en bâton est aussi bon que la poudre,
j’aimerais un bâton auquel le djongos puisse frotter la ouate, ainsi il n’y a
pas de danger qu’il en emploie trop. Merci d’avance, Padreli, et tu ne penseras
pas que ta Ge… est trop profiteuse qué non. Je sais bien qu’elle l’est, mais
elle aime mieux ne pas en avoir le nom, tu comprends !
Ce soir
nous avons de nouveau eu la visite de madame Peddemors et ensuite le docteur
est venu. Ils aiment bien venir chez nous et une fois qu’ils y sont, ils ne
peuvent plus décoller. Cela me fait rire souvent. Demain ils viennent aussi
pour jouer au tennis. Tu peu penser comme cela fait bisquer les Röhwer de
toujours voir comme j’ai du monde maintenant. Le vieux Röhwer est tombé de deux
marches d’escalier et cela lui a fait une commotion cérébrale. Il doit se tenir
tranquille, le pauvre vieux, lui qui n’a déjà rien à faire sans cela qu’à se
tenir tranquille. Oh, il faut que je te raconte une bonne. Madame Peddemors sait maintenant que
nos rapports avec la Rickshaw ne sont pas bons, elle ne l’aime pas non plus. Un
jour elle était ici avec le dr. et elle me demande : Savez-vous le nom
qu’on donne à madame Röhwer au village ? Non, lequel ? On l’appelle Si-Marietje. – la Rickshaw s’appelle Marie-Antoinette, tout le monde
l‘appelle Marie, et « Si »
veut dire monsieur ou madame en Javanais, mais pour les gens de la plus basse classe.
C’est comme Sidi Bambula !!! J’ai ri comme une folle en entendant cela et
cela te fera certainement aussi plaisir. La Si-Marietje. C’est un signe que les
gens la connaissent aussi ici dans le village.
Je crois
que je ne t’ai pas encore remerciée pour les merveilleux bigoudis que tu m’as
envoyés. Je les ai reçu un jour après le départ de ma dernière lettre. Merci
mille et mille fois. Ils sont épatants. J’en ai fait l’essai sur Wies, parce
que pour e moment j’ai les cheveux très courts, c’est plus pratique quand on ne
peut pas courir chez le coiffeur quand on veut. Mais sitôt que je serai à
Batavia je veux aussi une de ces coiffures modernes, alors ils me seront
extrêmement utiles, car avec mes cheveux souples, je n’aurai plus besoin de
permanentes. Déjà maintenant j’ai toujours de belles vagues dans les cheveux,
de sorte que des bigoudis pareils suffirent amplement pour faire tenir de
petites boucles. Merci de tout mon cœur. Il faudra que je t’envoie de nouveau
une fois du kroepoek.
Je ne sais
pas si je vous avais raconté qu’on avait décidé avec les Engelhart que nous
prendrions leur chauffeur pendant leur absence. Il est arrivé il y a environ 15
jours, et je lui ai fait apprendre le service de djongos par le mien. Soer (c’est donc le chauffeur) se fait
déjà très bien, le matin quand il fait le ménage, il va travailler à la puce,
et tu devrais voir comme ce carrosse ronfle maintenant. Oscar en est tout feu
et flamme. Tout le monde nous envie Soer, nous devons le payer assez cher mais
il vaut sa paye. Mon ancien djongos, Toemar, est chez Wies maintenant. Soer me
rappelle Chuggou (Louis), il peut raccommoder tout ce que tu lui mets dans les
mains, avec rien, il sait pétouiller et faire quelque chose. Peut être qu’une
fois à Batavia je prendrai sa femme comme baboe, car ce sont des gens sur
lesquels on peut compter. Il est déjà 8 ans chez les Engelhart.
Tu sais,
cette paye extra que nous avons reçue, la moitié s’en est allé aux économies et
le reste, je dois le garder pour payer des frais d’auto et des factures de ce
mois qui seront grosses parce que j’ai eu ces visites. Mais je t’assure il n’y
en a pas beaucoup à la Mexolie qui ont mis de côté du moins une partie de cet
argent. La plupart doivent l’employer pour payer
des dettes. Does et Wies aussi, et avec cela ils ont déjà pris un mois
d’avance sur leur salaire, et il leur reste encore des dettes à payer à
Tjilatjap. C’est fou comme les gens vivent ici, tout à crédit un beau jour ils s’enfoncent dans les factures qui
arrivent de droite et gauche et ils se noient dans leurs dettes. Tu sais, ta
Ge… elle sait compter !!! Et maintenant je vais te quitter…
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