Batavia
17 juillet 1936
A sa maman
Sais-tu
que des fois tu es une sale femme avec une méchante langue par dessus le
marché ? Je t’en veux, moi,
de te moquer de notre Puce, et de notre machine
à écrire, disant que ni l’une ni l’autre ne valent quelque chose, et
naturellement qu’en dedans de toi tu penses que c’est surtout les propriétaires
de ces deux objets qui sont rien du tout, des Dreckli (petites merdes),
quoi !
Je mets ta
lettre sous le double, vu que mon ruban
est de nouveau usé, et pour raison d’économie, il faut qu’il dure encore.
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vue de l'est |
Moi aussi
je pense encore si souvent à Tatali, et surtout à cette solitude à laquelle
elle était condamnée. Cela a dû être terrible pour elle quand Max était loin,
mais tout aussi terrible quand il était là, puisqu’il ne prenait jamais
d’égards et ne se pliait pas à ses désirs, ne voulant jamais sortir etc. Oui,
la Tatali est bien mieux où elle est. Depuis que je suis ici, j’ai déjà eu
quelquefois ces ombres qui passaient, ou cette impression que je t’ai décrite
dans une de mes lettres précédentes.
Si Charlot
avait été mieux soigné au service il ne serait pas dans cet état maintenant.
Peu à peu je commence à détester le service militaire. J’ai écrit à Charlot à
Adelboden (problème de poumons, cure en
altitude).
Tes
changements dans la chambre des garçons au Chalet, je n’en sors pas. Tu m’écris
que tu as mis les lits à la place du buffet blanc, mais alors les lits sont
entre la porte du corridor et celle qui donne sur la galerie où pendaient les saucisses à sécher ?
Et ce petit buffet blanc est alors dans le coin où se trouvaient les deux lits
des garçons ? Je ne peux pas bien me représenter cela, moi, et je ne crois
pas que tu l’ais arrangé ainsi. Enfin, tu m’en donneras encore une fois la
description. La chambre des visites doit être bien avec un lit plus petit. Oui,
je crois bien que le Chalet est de nouveau High-life avec ces beaux vieux
meubles qui lui donnent un cachet que tout le luxe moderne ne pourrait pas lui
donner.
Oui, il y
aura déjà 3 ans que mon Padre m’a conduite en haut le chemin (du chalet vers l’église pour le mariage)
et que nous pleurions tous les deux, et toi, qui était si courageuse. Tu étais
splendide. Eh bien, quand tu referas ce chemin pour la troisième fois, tu
pourras être aussi heureuse que la première (réf.
à ses deux frères). Cette année la fête tombe sur un week-end, ainsi on
pourra peut être fêter un peu.
Cette
semaine, quand Buby sera loin, je vais me faire mon costume de lin. La jupe est
presque prête, reste encore la jaquette, et je pourrai porter mon beau petit
jumper avec le petit Hüteli (chapeau)
que j’ai acheté. Est-ce que je t’ai parlé de mon Hüteli ?
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le Hütteli |
Je suis entrée
dans le magasin, j’ai regardé autour de moi, et j’ai sauté sur ce chapeau et
personne au monde aurait pu m’en faire acheter un autre. Il est plat comme une
omelette mais avec mon costume il sera très stylish. Il y a si longtemps que tu
m’as demandé des photos de moi dans mes différentes toilettes, et jamais tu ne
reçois rien. Il te faut me pardonner et je t’assure quand Buby sera de nouveau
de retour, il va en faire. Nous n’avons plus fait de photos depuis des mois et
des mois, par raison d’économies et puis une fois qu’on a perdu l’habitude, on
n’y revient pas de si vite.
20 juillet
Oh, il
faut que je te raconte une chose qui te fera plaisir. Depuis qu’il est ici,
Buby a vu un rapport sur le personnel de la
Mexolie. Sur la fiche de Röhwer, à la question « développement
général » il y avait écrit : nihil. Sur le dernier rapport de
conduite de Buby, Visser a mis : est reçu avec plaisir partout, mais reste
distant. Par là Visser a naturellement cherché à excuser certains faits et
gestes de sa femme qui nous fuyait et ne voulait plus nous recevoir.
J’ai
maintenant pris un abonnement pour aller
nager tous les jours à la piscine de Manggarai. J’y retrouve les enfants
Bigot et Anne Elout. Il fait beau et c’est sain. J’ai de nouveau bonne mine et
me porte bien. Buby aussi grâce à ce Sanatogen.
Je ne sais
pas si je t’ai déjà écrit que je ne cuis plus maintenant. Nous mangeons les
repas de l’hôtel et jusqu’à présent j’en suis très contente. Tout le monde me
dit que j’ai bien raison de ne pas m’en faire et de profiter de mon temps à
Batavia. C’est aussi ce que je fais.
Un
collègue de Buby, Mr. Bos, demeure aussi ici, c’est lui qui doit s’occuper de
l’administration des flats. Il est marié depuis 6 mois et sa femme, bien
qu’elle ne soit pas mon genre, ne m’est pas antipathique, alors tous les matins
nous allons marcher un peu, soit qu’elle ait des commissions ou que moi j’en
aie. C’est bien quelqu’un pour aller faire les magasins et moi je m’en donne
une bosse. Je sens déjà comme mon goût se rafermit, il devient de nouveau plus
sûr et plus décidé. Je vois tant et tant de belles choses ! Seulement on
ne peut pas tout acheter, et heureusement que je ne peux pas coudre aussi vite
que je le voudrais, sans quoi je me ferais une toilette tous les jours !
Non, non, n’aies pas peur, je reste raisonnable. Il le faut bien, nom d’une
pipe !
Au début
de ma lettre je te disais que tu avais une si gentille langue, hein ? Et
bien, tu n’as pas eu si tort que cela, car ce matin notre Puce n’a pas voulu
marcher, et maintenant Soer (le chauffeur des Engelhart) a découvert
qu’un des axes était cassé. C’est plus qu’enmerdant, cela coûte de nouveau
terriblement cher et met mon budget sens dessus dessous. Je n’ai déjà plus le
sou et nous avons déjà entamé notre paye du mois prochain. C’est affreux, mais
je n’ai pas de dettes. Ces Fl. 400.- de paye me semblaient une vraie fortune au
commencement, mais diable, je crois que je n’arriverai pas même à mettre
quelques sous de côté. Enfin on verra, c’est sûr que maintenant il a fallu
commencer et faire ses expériences, je connais aussi mieux les magasins et peux
acheter plus avantageusement.
Pendant
que j’y pense, il ne faut pas me gâter pour ma fête, tu le fais déjà assez
pendant toute l‘année. Je viens de recevoir l’avis de deux petits paquets qu’il
faut aller chercher à la poste. Je pense que ce sont les bérets et les Sie &Er. (magazine suisse allemand).
Mais revenons
à nos moutons. Je voulais te dire d’acheter des chemises et des petits
pantalons que tu donneras à Tante Engel. Je ne veux pas des Cosy, mais des
choses du Lama, c’est encore les articles qui ont le mieux tenu ici, seulement
maintenant ils commencent à lâcher. N’achète pas de luxe, mais du mince et du
solide. J’aime bien qu’il y ait une bonne coupe mais pas besoin de jolie
dentelle etc. Il faut que cela soit solide avant tout, de la bonne qualité qui
résiste bien aux lavages. Tu peux m’acheter des chemises et des petits
pantalons ou aussi des culottes, cela m’est égal. Enfin tu sais bien ce que
j’aime, hein, tu m’en as déjà si souvent envoyé. Cela je vais te le payer. Je
t’écris toujours que je vais te payer et ne le fais jamais, c’est à en avoir
honte, mais n’est-ce pas tu ne perds pas confiance en moi, tu sais bien que je
le ferai un jour une fois, sitôt que j’en aurai l’occasion.
Il y a
encore une chose que je voudrais te demander. Si cela ne te fait rien de te
séparer des deux perles que Stern t’a données, tu sais, pas cette
dernière fois, mais à sa visite précédente, eh bien, cela me ferait plaisir de
les avoir, car ici j’ai l’occasion de les faire monter bon marché. Pour le
reste, je ne désire rien d’autre.
Je ne sais
pas si je t’ai écrit que j’avais l’occasion de faire faire un buste sur mesure ici. Cela me reviendrait à Fl. 22.50, soit
environ Frs.s.45.-. Je ne crois pas que je vais en commander un aussi longtemps
que je suis ici à Batavia où j’ai tant d’occasion de coudre avec des patrons,
des leçons, des conseils etc. mais si un jour il nous faudra retourner à une
fabrique et que je serai loin de tout, alors avant de quitter Batavia je
commanderai un buste pour avoir plus de facilité.
Voilà, mon
Buby est parti. Son bateau quittait à 4 heures cet après midi, mais il a encore
dû aller travailler au bureau, ainsi il est parti d’ici à 2 h. comme
d’habitude, de sorte que je n’ai pas été le voir partir. D’un côté cela vaut
mieux ainsi, depuis que je t’ai quittée, que je vous ai tous quittés à Bienne, je déteste tous les départs. Cela m’a
bien fait de la peine quand Buby est parti, mais tout de même moins que si
j’avais été au bateau. Maintenant ils
voguent dans la belle nuit étoilée, et demain ils seront à Semarang. Il
doit faire si beau sur la mer maintenant, et je pense qu’ils vont se ficher une
bosse à faire la noce. Ils voyagent première classe et Elout est invité par la
compagnie de navigation parce qu’il lui fait faire beaucoup d’affaires de
transports de coprah. Tu peux te penser ce qu’ils seront fêtés, ces deux,
pendant les 5 jours que dure la
traversée.
Quand tu
as rencontré Elsy Amsler, ne lui as-tu pas dit que je n’avais pas le temps de
lui écrire, et d’ailleurs que je lui envoyais un cadeau par madame
Engelhart ? Tu n’as pourtant pas perdu cette lettre où je te dis tout ce
que tante Engel doit te remettre et que toi tu devras distribuer. Pendant que
j’y pense, si tu peux aussi donner quelque petite chose à madame Gassmann de ma part, cela ferait bien mon affaire. Ils
m’envoient toujours si régulièrement le Journal
du Jura. Je le reçois à Batavia maintenant. Je pense que mon Padre leur a
donné l’adresse.
Merci de
toutes les nouvelles que tu me donnes. Alors tes voisines ? elles t’en ont
encore fait voir ? Je pense que la Hanny est enceinte. Cela doit les
étonner bien des fois que je ne le sois pas encore. Qu’est-ce que cela doit les
faire jaser. Pourvu qu’elles te fichent la paix, ces deux vaches.
Cette
semaine un soir j’irai souper avec Does au restaurant chinois. Il retourne samedi
à Keboemen et comme il va avec sa voiture, il m’a offert de l’accompagner, car
peut être que Oscar reviendra par Keboemen, mais je ne crois pas que je le
ferai. Je n’ai aucune envie de revoir les deux chipies. Mais enfin il fait
encore mieux ici. Cela ne me fait rien du tout d’être seule, il y a des gens
tout autour de moi, partout on entend la radio etc. et madame Bos vient aussi
de temps en temps voir ce que je fais. Je suis aussi invitée à souper chaque
soir chez les Bigots, et il faut que
j’aille chez Anne Elout aussi. Elle
a beaucoup changé à son avantage, Anne, depuis qu’elle attend son baby, et elle
m’aime bien, je le sens, et lui aussi. Et Bep Bigot aussi. Pour le moment nous
n’avons pas encore beaucoup d’autres connaissances mais cela viendra.
J’espère
que tu ne te feras pas trop de souci à cause de ma lettre précédente, qui
sonnait un peu bleue ? Maintenant je suis de nouveau tout à fat remise, tranquilise-toi.
Je suis très contente et satisfaite de ma vie et toujours heureuse avec mon
Buby, qui m’aime toujours bien. Seulement par moments il est si fatigué, comme
ces dernières semaines, et il a eu beaucoup de difficultés au bureau parce
qu’il n’a pas d’expérience avec la
Banque, alors quand il rentre il est vidé et ne dit pas beaucoup. La Ge…
est assez bête pour croire qu’il ne l’aime plus autant, ou se faire des idées….
Je tombe
de sommeil maintenant et je vais te quitter pour aller au lit.
Cette
lettre je l’écris à toi seule, mais tu en donneras aussi la lecture à mon Faaatherli,
gäll ?
J’ai reçu
des racines à rhumatisme très grosses cette fois, je vais les lui envoyer. Et
mes frères, il y a longtemps que je n’ai eu de leurs nouvelles. Comment va
Loulou maintenant ?
Un bon muntschi
à chacun et toujours mes meilleures pensées pour vous tous.
Votre Ge…
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