Batavia
22 septembre 1936
Mes bien
chers,
C’est
demain la fête à Padreli, encore une fois je te souhaite tout ce qu’un cœur de
Ge… qui te chérit tendrement, peut te souhaiter. J’espère que vous passerez
tous une bonne journée.
Nous aussi
nous avons passé une très bonne journée hier. Il y avait des manœuvres navales, tous les bureaux
avaient congé pour cela, et nous avions une invitation pour y assister depuis
un des bateaux K.P.M. Il fallait être à bord à 6 ½ heures du matin, mais à 5
heures quand je me suis réveillée, il pleuvait à verse, un temps horrible, alors
nous nous sommes rendormis. J’avais peur d’attraper froid sur le bateau au cas
où je ne pourrais pas bien me mettre à l’abri de la pluie. Vers 7 heures la
pluie a cessé et le temps est devenu magnifique. Nous avons bien regretté de
nous être laissés intimider par la pluie, mais zut, c’était trop tard.
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Bogor nov. 2013 |
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Bogor, nénuphars |
Alors
pour tout de même profiter de ce jour de vacances, nous avons décidé d’aller à Buitenzorg (aujourd’hui Bogor), au Jardin des Plantes (ce jardin botanique est encore toujours
célèbre). Buitenzorg n’est qu’à 60 km d’ici. Nous avons passé un beau matin
dans ce jardin immense et merveilleux.
La seule chose qui rappelait le jardin botanique, c’était que toutes les
plantes étaient étiquetées. Tantôt il avait l’aspect d’une forêt vierge.
Tantôt
c’était un magnifique jardin soigné, aux pelouses bien dessinées, aux plates
bandes de mille et une couleurs, aux bosquets fleuris et bien taillés, et des
pièces d’eau où s’épanouissaient des nénuphars blancs et roses, bleus et violets
d’une beauté fantastique. Nous avons aussi vu des plantes qui mangent les
insectes et toutes les orchidées possibles et impossibles. Vers 1 heure nous
sommes allés prendre un petit lunch et vers 3 ½ heures nous étions de nouveau à
la maison, fatigués et satisfaits.
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Bogor |
En ce
moment je prends des fortifiants, une sorte de vin chinois qui s’appelle
Optonicum. Pour le reste je me porte bien… si je fais attention à ma diète. Ils
ont quand même trouvé des amibes
dans les selles et maintenant j’ai eu 5 piqûres et je dois encore faire une
cure de « diathrène » (je ne sais pas comment on écrit cela) pour les
tuer complètement. Cela va me faire une grosse note chez le docteur, ce qui est
embêtant, mais l’essentiel est tout de même que je me porte bien de nouveau.
J’ai déjà bien meilleure mine, toujours bon appétit.
Depuis ma
dernière lettre la noce a continué. Nous avons donc assisté au départ et à
l’arrivée du nouveau Gouverneur Général. Nous étions aux premières loges pour
assister à ce cortège. Les Lensink étaient venus pour voir aussi et Bigot, qui
se trouvait là, nous a offert sa voiture pour s’asseoir. Bigot était là avec
les van Mastwyk, son collègue, et Mr. Nikkels, le sous directeur de la Banque,
qui ces derniers mois habitait au
Flatgebouw, avant son départ pour l’Europe.
Le soir de
ce même jour (mercredi donc) Nikkels donnait une petite soirée d’adieu pour les
gens de la Banque, ses collègues, et aussi les plus jeunes. Par exception nous
avons aussi été invités, et je lui ai aidé à arranger un peu. Nous étions une
trentaine de personnes. Il y avait une bowle exquise et un petit hors d’œuvre.
C’était une petite réunion tout à fait inofficielle. Nous avons donc fait connaissance avec tout ce monde de la
Banque, qui tous nous connaissaient et nous regardaient un peu comme des bêtes
spéciales parce que nous nous appelons Woldringh.
En y arrivant j’avais cru être une des moindres, car enfin, la position de Buby
n’est pas encore très haute, mais quelle ne fut pas ma surprise de me trouver
(sans vouloir trop me vanter) une des mieux. J’avais mis ma robe à succès,
cette bon marché, fait d’après un modèle de Hedy ! et quelques beaux
bijoux. Je voulais bien avoir l’air modeste mais tout de même ne pas cacher que
j’étais la belle-fille de papa Woldringh. Il ne faut jamais se prendre pour la
queue de la poire, c’est une chose que j’ai bien fini par apprendre ici aux
Indes. J’ai trouvé la plupart de ces femmes assez étroites d’idées, moches même.
D’excellentes mères de famille, femmes de maison, mais rien de plus, malgré que
les maris occupent des positions qui ne sont pas à dédaigner. L’animation
laissait assez à désirer, on se parlait par petits groupes. Bigot a commencé un
petit discours à l’adresse de Nikkels, celui-ci a répondu et plusieurs autres
se sont levés pour en faire autant. Tout semblait redevenu calme quand tout à
coup Bigot se lève et vient vers moi, me demandant de dire quelques paroles de la part des dames. Je l’aurais bien étranglé,
mais il insistait et à la fin je ne pouvais plus me défendre si je ne voulais
pas faire trop mauvaise figure et surtout aussi pour lui, je ne pouvais pas lui
faire subir cet échec. A la fin, je lui ai dit que s’il me soufflait ce que je
devais dire je voulais bien répéter ses paroles. Je me lève donc et me senti
comme à des examens à l’école. Il
était assis derrière moi et me soufflait des phrases grandiloquentes que j’ai
tâché de tourner au comique pour me
donner une contenance, puis à un moment donné il s’est tu et j’ai dû continuer
toute seule. J’ai donc fini par quelques bons vœux à l’adresse de Mr. Nikkels
et me suis rassise avec le cœur aux culottes. Mais Bigot semble avoir eu un
plaisir fou du tour qu’il m’a ainsi joué. Maintenant je lui en suis assez
reconnaissante, parce qu’ainsi il m’a lancée un peu et je crois qu’une autre
fois je n’aurais plus trop la frousse de dire quelques mots si l’occasion se
présente. Vous savez, je suis quand même contente d’être un peu welsche et de posséder cette petite
dose de je-m’en-foutisme qui facilite la vie jusqu’à un certain point.
Merci,
merci pour tes chères lettres, le No 142
est donc la dernière reçue. J’ai aussi reçu tes souliers qui me plaisent
beaucoup comme souliers de marche, seulement dommage qu’ils me soient trop
grands. Ils ne sont pas trop longs, mais trop grands, enfin avec une semelle
cela ira. Je les ai inaugurés hier, pour aller au Jardin des Plantes.
Je ne sais
pas si je vous ai déjà écrit avoir bien reçu la lettre de mon Charlot. Je suis
contente que tu passes un temps intéressant à ce contrôle dans la montagne.
Et
Loulou ? Ton service t’absorbe beaucoup et maintenant j’apprends que tu retournes à Londres. Mon vieux, je
n’ose pas te reprocher ton silence, vu que moi non plus je ne t’écris jamais.
J’en ai toujours l’intention et surtout un fort besoin, car je pense souvent à
toi, mais jamais je n’arrive à mettre mon désir à exécution.
Je suis de
nouveau occupée à la couture, ayant plusieurs robes qui ont lâché au lavage, il
faut les remplacer. J’ai trouvé très bon marché une petite étoffe anglaise, une
sorte de voile bleu marine à gros pois blancs. Je vais m’en faire une petite
robe tout simple, mais rassig !(de
la gueule).
Une fois
de plus je vais vous quitter pour cette semaine. Ma lettre n’est pas trop
longue cette fois-ci parce que je dois encore écrire à Papa Woldringh à qui
Buby n’arrive plus à écrire la moindre ligne.
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