dimanche 24 juillet 2016




Batavia

22 septembre 1936

Mes bien chers,
C’est demain la fête à Padreli, encore une fois je te souhaite tout ce qu’un cœur de Ge… qui te chérit tendrement, peut te souhaiter. J’espère que vous passerez tous une bonne journée.
Nous aussi nous avons passé une très bonne journée hier. Il y avait des manœuvres navales, tous les bureaux avaient congé pour cela, et nous avions une invitation pour y assister depuis un des bateaux K.P.M. Il fallait être à bord à 6 ½ heures du matin, mais à 5 heures quand je me suis réveillée, il pleuvait à verse, un temps horrible, alors nous nous sommes rendormis. J’avais peur d’attraper froid sur le bateau au cas où je ne pourrais pas bien me mettre à l’abri de la pluie. Vers 7 heures la pluie a cessé et le temps est devenu magnifique. Nous avons bien regretté de nous être laissés intimider par la pluie, mais zut, c’était trop tard. 
Bogor nov. 2013

Bogor, nénuphars
Alors pour tout de même profiter de ce jour de vacances, nous avons décidé d’aller à Buitenzorg (aujourd’hui Bogor), au Jardin des Plantes (ce jardin botanique est encore toujours célèbre). Buitenzorg n’est qu’à 60 km d’ici. Nous avons passé un beau matin dans ce jardin immense et merveilleux. La seule chose qui rappelait le jardin botanique, c’était que toutes les plantes étaient étiquetées. Tantôt il avait l’aspect d’une forêt vierge.

 Tantôt c’était un magnifique jardin soigné, aux pelouses bien dessinées, aux plates bandes de mille et une couleurs, aux bosquets fleuris et bien taillés, et des pièces d’eau où s’épanouissaient des nénuphars blancs et roses, bleus et violets d’une beauté fantastique. Nous avons aussi vu des plantes qui mangent les insectes et toutes les orchidées possibles et impossibles. Vers 1 heure nous sommes allés prendre un petit lunch et vers 3 ½ heures nous étions de nouveau à la maison, fatigués et satisfaits.

Bogor 

En ce moment je prends des fortifiants, une sorte de vin chinois qui s’appelle Optonicum. Pour le reste je me porte bien… si je fais attention à ma diète. Ils ont quand même trouvé des amibes dans les selles et maintenant j’ai eu 5 piqûres et je dois encore faire une cure de « diathrène » (je ne sais pas comment on écrit cela) pour les tuer complètement. Cela va me faire une grosse note chez le docteur, ce qui est embêtant, mais l’essentiel est tout de même que je me porte bien de nouveau. J’ai déjà bien meilleure mine, toujours bon appétit.
Depuis ma dernière lettre la noce a continué. Nous avons donc assisté au départ et à l’arrivée du nouveau Gouverneur Général. Nous étions aux premières loges pour assister à ce cortège. Les Lensink étaient venus pour voir aussi et Bigot, qui se trouvait là, nous a offert sa voiture pour s’asseoir. Bigot était là avec les van Mastwyk, son collègue, et Mr. Nikkels, le sous directeur de la Banque, qui ces derniers mois  habitait au Flatgebouw, avant son départ pour l’Europe.
Le soir de ce même jour (mercredi donc) Nikkels donnait une petite soirée d’adieu pour les gens de la Banque, ses collègues, et aussi les plus jeunes. Par exception nous avons aussi été invités, et je lui ai aidé à arranger un peu. Nous étions une trentaine de personnes. Il y avait une bowle exquise et un petit hors d’œuvre. C’était une petite réunion tout à fait inofficielle. Nous avons donc fait  connaissance avec tout ce monde de la Banque, qui tous nous connaissaient et nous regardaient un peu comme des bêtes spéciales parce que nous nous appelons Woldringh. En y arrivant j’avais cru être une des moindres, car enfin, la position de Buby n’est pas encore très haute, mais quelle ne fut pas ma surprise de me trouver (sans vouloir trop me vanter) une des mieux. J’avais mis ma robe à succès, cette bon marché, fait d’après un modèle de Hedy ! et quelques beaux bijoux. Je voulais bien avoir l’air modeste mais tout de même ne pas cacher que j’étais la belle-fille de papa Woldringh. Il ne faut jamais se prendre pour la queue de la poire, c’est une chose que j’ai bien fini par apprendre ici aux Indes. J’ai trouvé la plupart de ces femmes assez étroites d’idées, moches même. D’excellentes mères de famille, femmes de maison, mais rien de plus, malgré que les maris occupent des positions qui ne sont pas à dédaigner. L’animation laissait assez à désirer, on se parlait par petits groupes. Bigot a commencé un petit discours à l’adresse de Nikkels, celui-ci a répondu et plusieurs autres se sont levés pour en faire autant. Tout semblait redevenu calme quand tout à coup Bigot se lève et vient vers moi, me demandant de dire quelques paroles de la part des dames. Je l’aurais bien étranglé, mais il insistait et à la fin je ne pouvais plus me défendre si je ne voulais pas faire trop mauvaise figure et surtout aussi pour lui, je ne pouvais pas lui faire subir cet échec. A la fin, je lui ai dit que s’il me soufflait ce que je devais dire je voulais bien répéter ses paroles. Je me lève donc et me senti comme à des examens à l’école. Il était assis derrière moi et me soufflait des phrases grandiloquentes que j’ai tâché de tourner au comique pour me donner une contenance, puis à un moment donné il s’est tu et j’ai dû continuer toute seule. J’ai donc fini par quelques bons vœux à l’adresse de Mr. Nikkels et me suis rassise avec le cœur aux culottes. Mais Bigot semble avoir eu un plaisir fou du tour qu’il m’a ainsi joué. Maintenant je lui en suis assez reconnaissante, parce qu’ainsi il m’a lancée un peu et je crois qu’une autre fois je n’aurais plus trop la frousse de dire quelques mots si l’occasion se présente. Vous savez, je suis quand même contente d’être un peu welsche et de posséder cette petite dose de je-m’en-foutisme qui facilite la vie jusqu’à un certain point.
Merci, merci pour tes chères lettres, le No 142 est donc la dernière reçue. J’ai aussi reçu tes souliers qui me plaisent beaucoup comme souliers de marche, seulement dommage qu’ils me soient trop grands. Ils ne sont pas trop longs, mais trop grands, enfin avec une semelle cela ira. Je les ai inaugurés hier, pour aller au Jardin des Plantes.
Je ne sais pas si je vous ai déjà écrit avoir bien reçu la lettre de mon Charlot. Je suis contente que tu passes un temps intéressant à ce contrôle dans la montagne.
Et Loulou ? Ton service t’absorbe beaucoup et maintenant j’apprends que tu retournes à Londres. Mon vieux, je n’ose pas te reprocher ton silence, vu que moi non plus je ne t’écris jamais. J’en ai toujours l’intention et surtout un fort besoin, car je pense souvent à toi, mais jamais je n’arrive à mettre mon désir à exécution.
Je suis de nouveau occupée à la couture, ayant plusieurs robes qui ont lâché au lavage, il faut les remplacer. J’ai trouvé très bon marché une petite étoffe anglaise, une sorte de voile bleu marine à gros pois blancs. Je vais m’en faire une petite robe tout simple, mais rassig !(de la gueule).
Une fois de plus je vais vous quitter pour cette semaine. Ma lettre n’est pas trop longue cette fois-ci parce que je dois encore écrire à Papa Woldringh à qui Buby n’arrive plus à écrire la moindre ligne.
OOOOOO et bonne fête

Bogor, monument en souvenir de Lady Raffles , par son mari




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