21 mai 1934
Keboemen les Bains
Ouf !
quelle semaine, et surtout quelle fin de semaine ! Mais commençons par le
commencement, comme toutes les gens d’ordre.
Mardi
passé à midi, la Ricshaw (nouveau
nom de madame Röhwer, elle s’appelle Marie, et veut qu’on lui donne le petit
surnom de Ric, qu’elle trouve
élégant, alors j’en ai fait la Ricshaw
pour notre usage particulier !!!) est venue nous demander si on avait
envie d’aller à Premboen jouer du tennis, le soir. Oui, nous étions d’accord et
à 5 heures, je suis partie en auto avec la Ricshaw, madame Hartong et encore
une demoiselle de la ville, Miss Barker, institutrice à l’école chinoise,
pendant qu’Oscar prenait le train avec M. Röhwer et v.d.Bijilaardt, de la
fabrique de glace (je l’appellerai « Glaçon »
pour plus de simplicité. A Premboen, chez les Engelhart nous étions une
vingtaine, et comme leur tennis est illuminé, nous avons joué jusqu’à minuit.
C’était très agréable, Mme Hartong avait apporté des sandwichs et de la tourte
et nous avons soupé ainsi toute la flotte, pendant que les Engelhart prêtaient
leur djongos et servaient à boire, du thé, de l’eau glacée et du sirop. Vous
voyez que tout se passe très simplement, sans chique, et surtout sans
dérangement, pas d’alcools, c’est trop cher. Une autre fois, c’est nous, la
Ricshaw et moi, qui apporterons à manger, soit du nasi goreng ou l’un ou
l’autre plat chinois. Nous avons eu une soirée très agréable, pour la première
fois j’ai aussi joué au tennis et grâce aux leçons de Buby je n’ai pas trop mal
joué, mieux que beaucoup de dames. Nous sommes tous rentrés en auto, moi dans
celle des Röhwer et les messieurs dans celle des Hartongs. J’ai vu le jardin de madame Engelhart, mes chers, c’est une merveille. Elle a des
centaines de sortes de fleurs et un jardin potager qui a excité mon envie,
d’immenses têtes de salades, des laitues etc. Attendez que les miennes
poussent ! Elle a aussi une nichée de jeunes chiens, et elle va nous en
donner un, sitôt qu’elle peut le séparer de la mère. La race est douteuse, mais
je crois que cela donnera une gentille petite bête. Oscar en a un plaisir fou.
M. Engelhart m’a demandé des timbres avions suisses, naturellement que je vais
lui en donner une série, Faaather, tu ne grogneras pas, et vous m’en mettrez
toujours de toutes les sortes, s.v.p. Ces E. sont de gentilles gens, pas de
mixed pickles, vraiment de la bonne société. Elle, elle est laide comme tout,
on peut la comparer à un morse avec deux dents de chaque côtés de la bouche, et
pas de menton, ou plutôt deux, trois escaliers fuyants, mais quand on la
connaît, on ne voit plus son extérieur.
Mercredi
matin à 8 heures j’ai été avec les Hartongs et le Glaçon à Poerworedjo de
nouveau, M. Hartong allait chez le dentiste et j’ai profité d’aller voir. C’est
un dentiste chinois qui travaille
excessivement bon marché. Je voulais d’abord aller voir pour me rendre compte
avant de lui confier ma gue… Ma première impression de son cabinet dentaire m’a
été une terrible déception, figurez-vous la rue principale de Poerworedjo, une
rue d’une vraie ville des Indes, des maisons à un étage, des boutiques
chinoises, tout ouvertes sur la rue, tout se fait dehors ici, une maison un peu
mieux entretenue que les autres, on entre dans une espèce de réduit, plutôt une
pièce formée par des cloisons de bois naturel et séparée en deux par une
cloison de verre mat. Dans la première pièce, celle dans laquelle on accède par
la rue, se trouvent 4 fauteuils en osier et une table. Derrière la cloison de
verre se trouve le cabinet dentaire. Un petit lavabo, un affreux fauteuil de
moquette rouge, avec un machin pour la tête recouvert d’un linge propre, une
table en fer recouverte de verre, et une petite armoire dito, où se trouvent
les instruments.
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dentiste en 1934 |
Aux parois quelques attestations de clients européens satisfaits.
Le dentiste est un petit homme, il avait mis une blouse blanche bien propre, et
il travaille vraiment d’une façon sans reproche. Hartong s’est arrangé toute la
bouche, dont un pont, plusieurs couronnes, une plaque, et deux de ses gosses
auxquels on a tiré et plombé plusieurs dents. Le tout lui a coûté Fl. 85.-- tandis
que pour le même travail un dentiste européen à Djocja demande dans les Fl.
500.-- . Vous pouvez penser que la différence est appréciée dans ces temps de
crise. Enfin, voyant comme il travaillait sur M. Hartong, j’ai surmonté ma
déception quant au cabinet dentaire et je me suis confiée à lui pour une visite
qui n’engageait à rien, après tout ils ne sont pas ainsi ces chinois, on peut
les traiter un peu plus librement que nos dentistes chez nous. Enfin, il m’a
bien visité la bouche et n’a pas trouvé de trous, sauf un minuscule à une de
mes dents de devant. Il a dit qu’il allait le faire directement. J’étais un peu
bête, mais ne le comprenant pas très bien, il ne parle que malais à part son
chinois, je suis restée assise dans son affreux fauteuil et le regardais
s’approcher avec la fraise. Il a
une fraise qu’il meut avec le pied, pas d’instruments électriques dans l’usine.
Il travaille excessivement soigneusement, il m’a fait un plombage de porcelaine,
pour qu’on ne voie rien, et en moins de dix minutes j’étais prête. Je lui ai
demandé ce que cela coûtait, que je voulais payer directement puisque je ne
reviendrais plus pour quelques mois, il m’a dit que cela ne coûtait rien, que
cela ne valait pas la peine d’en parler. J’ai trouvé cela chic et l’ai quitté
évidemment satisfaite. Tout est primitif, mais il travaille proprement, il se
lave toujours les mains, et change d’instruments pour chaque client. De plus il
travaille bien, moins brusque que Vinzu en tous les cas. Il s’appelle M. Chiong (pas de mauvaise odeur svp). Il
a beaucoup de clients européens, car que veut-on par ces temps on ne peut pas
payer des notes impossibles sans compter les voyages à Djocja par exemple qui
reviennent à Fl. 5.- chaque fois.
Ici pour aller à Poerworedjo, on se met plusieurs ensemble, soit dans l’auto du
Glaçon ou dans celle des Hartong, ce qui économise la benzine et les frais. De
plus c’est assez rigolo d’aller ainsi en bande. Poerworedjo est à une bonne
heure d’auto d’ici, et à quelle allure, vous pouvez penser, ici on file
autrement que sur la route de Sutz, il y a moins de contours ici. Ce que la
Suisse va me sembler petite quand j’y reviendrai, une fois qu’on est habitué
aux distances d’ici.
Le jeudi
j’ai travaillé à ma robe qui est enfin prête plus que la ceinture que je fais
en cordon tressé. Le soir nous avons été jouer au tennis avec Buby, voilà que
la Ricshaw s’amène avec son vieux. Je n’aime pas avoir chicane avec les gens.
Suffit, elle m’a foutu les bleus cette sale vache, pour toute la soirée. Bref,
comme il y avait longtemps que je leur avais promis une invitation pour une rijsttafel,
j’ai invité les Röhwer pour dimanche, donc hier Pentecôte, avec le Glaçon. Vous
pouvez penser avec quel plaisir j’allais à la rencontre de ce dimanche de
Pentecôte ! Pour comble, mon djongos a eu un accident samedi soir, il
s’est rencontré avec une moto, sa petite fille qu’il avait avec lui sur le vélo
a, paraît-il un immense trou dans la tête, au-dessus de l’œil. Il est venu
dimanche matin, sachant que j’aurais des visites, mais nous l’avons renvoyé. Il
n’était pas en état de travailler. Me voilà donc dimanche matin, occupée à tout
arranger, à mettre la table etc. Cela n’a fait bien plaisir de le faire moi-même,
cela sentait la maison, quand nous attendions quelqu’un. J’ai bien décoré la
table sans toutefois me donner trop de peine pour faire du chiqué. La journée a
été presque un succès. A un moment donné, la conversation est tombée sur les
jeux de hasards, on a parlé du baccarat et de fil en l’aiguille les messieurs
se sont mis à jouer. Le Glaçon aime bien le jeu, le vieux Röhwer aimait bien
faire voir qu’il avait aussi joué beaucoup de son temps de marine, et Oscar
comme hôte n’a pas osé contre dire. A la fin, nous les femmes on a joué avec
aussi. Oscar a eu beaucoup de chance, et le Glaçon aussi, tandis que le vieux
R. a toujours perdu, en tout près de Fl. 8.- . A la fin, Oscar a dit carrément
qu’il préférait arrêter parce qu’il ne trouvait pas correct que lui, comme
hôte, gagne et fasse perdre ses invités. Le Glaçon, que cela amusait, voulait
par force continuer et le vieux R.
ne voulait pas se tenir pour battu. Enfin nous avons quand même réussi à
les faire cesser en leur disant encore une fois carrément que nous trouvions cela
désagréable. Oscar a gagné Fl. 4.- (ce que je ne trouve pas désagréable du
tout) mais tout de même, nous sommes bien décidés à ne plus les inviter. Après
la rijsttafel j’avais fait faire une glace au caramel, que la baboe a faite trop
douce personne ne l’a mangée.
Ce matin,
Mme Visser est venue un moment, elle était de nouveau très gentille. Bah !
la Ricshaw aura beau la monter contre moi, je ne crois pas qu’elle y réussira
complètement et si jamais c’était pourtant le cas, eh bien, je saurai bien me
tirer d’affaire sans elles. D’ailleurs, je m’y attends toujours, vu que ces
deux femmes sont mixed pickles, je ne perds pas ce fait de vue et me tient
toujours gentiment sur mes gardes. Madame V. n’est pas une amie intime pour
moi, mais c’est quand même une amie sur laquelle je pourrai compter sûrement
quand j’aurai besoin de ses conseils et de son aide. Elle n’est pas mon genre,
nous sommes très différentes, mais c’est tout de même une femme charmante et
elle sent bien que je ne suis pas la première venue. Madame V. ne me fera
jamais de crasses, jamais. Et
voilà mes chers, vous ne pouvez pas vous plaindre de mes nouvelles cette
semaine ; vous êtes maintenant au courant de ma vie au jour le jour.
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zinnia |
J’ai un
zinia jaune orange directement sous ma fenêtre, j’en ai un plaisir fou. Est-ce
que je t’ai jamais accusé réception de ton envoi de zinnia et de salade ?
je les ai bien reçus et en bon état. C’est donc le deuxième envoi de semences.
C’est
lundi de Pentecôte aujourd’hui, pour cette occasion M. V. a fermé le bureau et
Buby qui attrapé un rhume je ne sais où ni comment, en profite pour dormir à
poings fermés sur le pieu, mais il est de piquet. Demain il sera tout seul à la
boîte, le comptable Nieburg est à la fabrique de Tjilatjap (Cilacap) pour quelques jours et M. V. va à Semarang demain. Ses
connaissances de comptabilité avancent bien, il bûche sérieusement, le soir, il
tombe de sommeil, souvent il ne lit même plus son journal. Je lui donne
maintenant une tasse d’Ovomaltine tous les matins, pendant que moi je prends
l’œuf dans du vin. J’ai tous les jours un œuf frais de ma propre poule.
Merci
beaucoup de votre courrier du 8 courant, lettre 34, et aussi pour la lettre de
Charlot du 13 avril avec deux petits croquis, quel plaisir d’avoir mon Faather.
Je parierais n’importe quoi qu’il lisait quelque chose de l’affaire Stavisky ou
en tous cas quelque chose qui l’intéresse. Et le peuplier à Sutz, Chaggeli,
c’est trop beau. Tu as aussi bien saisi l’attitude de maman en promenade.
Oscar n’a
pas reçu de lettre encore cette semaine. Je pense que vous savez que l’avion
d’Amsterdam à Bandoeng a changé son horaire, il part plus tôt maintenant. Nous
recevons nos lettres le vendredi au lieu du dimanche. J’aime bien mieux, cela
nous donne du temps de répondre. Nous sommes maintenant définitivement dans
la saison sèche, c’est
merveilleux. Bien que nous ayons toujours beau temps, plus de ciel gris, la
chaleur est très agréable pas du tout accablante, toujours une petite brise
fraiche et les nuits par contre sont franchement froides, non c’est peut être
trop dire, mais en tous cas très très fraîches.
Stp
Mamali, ne laisse pas circuler cette lettre à droite et à gauche, excepté dans
la famille.
Merci pour
les échantillons de ta robe, je les trouve très bien. Il te faut toujours m’en
envoyer, pas ? Addio mes chers, Ge…..
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