dimanche 25 octobre 2015




28 mai 1934

Keboemen lundi soir

Merci, merci pour votre lettre du 14 mai, no 35. C’est toujours si bon d’avoir de vos nouvelles et de se les disputer quand elles arrivent. Que ma lettre du 29 avril n’ait même pas été collée ne m’étonne pas. Je n’ai pas oublié de le faire, mais cela se fait toujours en une telle vitesse et comme la colle de ces enveloppes est très mince, je pense que l’enveloppe s’est ouverte en route par la chaleur et surtout l’humidité. C’est aussi déjà arrivé avec vos lettres, 2 fois, si je me rappelle bien, qu’elles sont arrivées ouvertes. Peut être je ne vous l’ai même pas écrit, je ne sais pas. Si vous pouviez voir le ménage Woldringh les mardi matins, vous ririez souvent. Ici on rigole aussi. le train passe à 9 heures moins 4 minutes, mais bien que je sois occupée à écrire depuis 6 heures du matin, et qu’Oscar rentre pour finir sa lettre aussi, ce qui l’empêche le plus souvent de déjeuner, nous sommes toujours en retard. Le djongos maintenant sait qu’il doit être de piquet à partir de 8 ½ heures. Quand on entend le train, je lui donne déjà les lettres terminées, ensuite le kebon court avec une deuxième édition, et souvent c’est encore la baboe qui doit « remuer ses fe… » un peu plus vite, tout pour le même train qui s’arrête 5 minutes. Pendant ce temps M. W. avale en toute hâte son thé, et madame se tient à la fenêtre et tâche d’animer les coureurs par ses : hajo, hajo, lekas, lekas, djongos etc.  Ouf ! quel soulagement quand tout est loin, on a la paix pour une semaine de nouveau. Les mardi matins après 9 heures je me sens toujours comme un gosse au commencement de grandes vacances ! ceci soit dit sans vous fâcher !!!
Maintenant, ma chronique de la semaine. Voyons donc, qu’est-ce qui s’est passé, je ne me rappelle même plus au juste !
Je ne sais pas si je vous ai écrit dans ma dernière lettre que mon djongos avait eu un accident en rentrant avec son gosse. Il a été effleuré par une moto, lui a eu quelques blessures légères, mais sa petite un grand trou dans la tête. Bref, dimanche quand il est venu se présenter, nous l’avons renvoyé et mon zigue en a pris son saoul des vacances accordées. Il n’est revenu que vendredi. Pendant ce temps le kebon le remplaçait tant bien que mal, pour cela je déduis 3 jours de la paye de djongos pour les donner au kebon. Au djongos j’ai dit que s’il travaillait excessivement bien, je les lui rembourserais. Vous devriez voir comme il fait du zèle c’est tordant. Ces mardi mercredi jeudi, je ne suis pas arrivée à faire grand’chose, vu que je devais m’aider moi-même, et faire les chambres, du moins prendre la poussière, faire de l’ordre etc, etc. Tout de même j’ai coupé et fini une combinaison en crêpe de chine art. blanc qui est très bien réussi. Elle me revient à Fl. 1.75, cela fait environ Frs. 3.50.  C’est pas trop cher ? Quand j’ai acheté la soie, la Ricshaw était avec moi, elle pensait que je voulais me faire une robe du soir, elle a fait de gros yeux quand je lui ai dit que c’était pour une simple combinaison. Voilà moi, je n’achète pas beaucoup de bêtises à droite et à gauche, par contre c’est de la qualité.
Vendredi après midi, Mme visser nous a offert d’aller à Poerworedjo avec l’auto de la fabrique. Nous avons fait des achats. J’ai acheté de la viande séchée, le Bündnerfleisch d’ici, du bon fromage, 1 bouteille de maraschino pour mes cakes, et une boîte de bon beurre hollandais qui est bien meilleur marché là  chez Lee gie Tin qu’ici chez Batie. Dans un toko japan, chez Takayama j’ai acheté (c’était une petite folie) une petite chaise de camp en fer, avec le siège en toile verte, très solide, confortable, légère, pratique pour 48 cents, cela fait environ Frs. 1.- Est-ce que ce n‘est pas fou ? J’en ai fait de cadeau (soi-disant) à Buby pour aller peindre en plein air et pour nos pic-nics. Pour rentrer nous n’avions presque plus de place pour nous asseoir, dans la voiture. Cela me rappelait nos déménagements dans la Fiat. Bref en rentrant, les messieurs étaient tous attablés chez les V. au jardin. Le samedi je n’ai rien fichu de spécial, j’ai écrit à Flock (voir lettre du 26.5.34) et l’après-midi à 4 ½ heures nous avons joué au tennis. Le soir nous avons continué notre correspondance. Le dimanche matin, madame Ricshaw est venue me demander si j’allais avec elle chez le coiffeur. Tous les derniers dimanches de chaque mois, il vient ici un coiffeur européen, il s’installe dans un cabinet appartenant à la banque et toutes les dames arrivent. Nous étions les premières mais nous avons tout de même rencontré quelques femmes de la ville. Elles nous ont battu froid, mais je m’en balance, aucune ne m’était sympathique. Une ressemblait à la Hanny Aufranc, une avait une expression de « giftsprütze » (venimeuse) sur la figure, et l’autre, une française, me serait assez sympathique, seulement je sais de Mme Visser qu’elle est très malheureuse avec son mari, qu’il la bat et qu’alors elle se tient toujours chez les autres gens. Vous comprenez, je tiens à être prudente sous ce rapport. Je ne veux pas d’histoires ni de femme qui vient 6 fois par semaine déjà à 7 heures du matin me rendre visite et reste jusqu’à la Saint Jamais, ce qu’elle a fait, paraît-il, avec une des dames de la Mexolie il y a une année, ceux qui demeuraient dans notre maison avant nous. Bref, nous sommes rentrées et comme Oscar était déjà là, nous avons dîné d’un excellent caneton, avec du riz et de la salade de tomates et des glaces à la vanille sur lesquelles on verse du café. A propos de café, savez-vous la manière de faire vous-mêmes du café Hag ? Vous achetez du bon café, pas rôti, donc les grains verts, vous les cuisez 10 minutes avec de l’eau, comme de la soupe aux pois, mais pas plus longtemps que 10-15 minutes. Ensuite vous égouttez les graines, les laissez sécher puis vous pouvez les rôtir et ensuite les moudre. Il paraît que cette cuisson enlève la caféine qui se répand dans l’eau, un tas de petits points blancs. Ainsi vous avez du bon café et bien meilleur marché que le Hag tout prêt qui est très cher et fabriqué avec de la troisième qualité. Je vais le faire aussi avant mon prochain rôtissage. J’ai cela des Engelhart. Vous savez qu’ici on fait du Kaffee Extract, c’est à dire on prend une cuiller à café pour une cuiller d’eau. Je n’en fais jamais plus qu’un verre à liqueur environ, et dans la tasse pour du café au lait on n’en met qu’une petite goutte, et pour le café noir guère plus. On boit beaucoup de lait ainsi.

Coupe du Monde 1934, équipe suisse

Hier soir, dimanche donc, nous avons été chez les Visser à 9 heures. Nous sommes restés assis au jardin par un clair de lune fantastique, presque irréel. A 11 heures, commençait le match Hollande-Suisse, qui a duré jusqu’à 1 ½ h. environ. Je me suis bien tenu les pouces et ce soir nous avons lu ensemble la critique. Ce que j’ai dû en entendre depuis cette victoire des Suisses ! (27.5.34, 3-2 pour la Suisse) C’est des prises de becs et des rognes à n’en plus finir avec Buby, jusqu’à ce que nous attrapions le fou rire. Pendant que nous étions assis là, nous avons vu une merveilleuse étoile filante, d’une grandeur inouïe et elle semblait si proche qu’instinctivement on a fait un mouvement pour s’enlever, on aurait dit qu’elle tombait sur nous. C’est Mme V. qui l’a vue la première, j’ai naturellement eu le temps de souhaiter Glück ! Aujourd’hui lundi, j’ai écrit toute la matinée après avoir appris à la baboe à faire le salmi de caneton. Diable c’était bon, n’ayant pas de vin blanc, j’y ai versé une lampée de sherry, et quelques gouttelettes de citron, cela rehausse le goût. Ce soir après souper nous avons été faire quelques pas, Oscar en pyjama et moi dans ma robe de chambre rose. C’est quand même beau la liberté, nous nous promenions à la rue de la gare de Keboemen, et au boulevard de la Mexolie, admirant le clair de lune et sans nous gêner le moins du monde de notre accoutrement. On était les deux en pantoufles. Je crois que les R. ont de nouveau rogne entre eux, en tout cas, lui est assis seul dans la véranda.
Mes canetons sont trop jolis, j’en ai fait acheter 2 nouveaux, dont un entok, un canard blanc et brun, sur pattes courtes qu’on dit être très bon aussi. Oscar l’appelle le dreadnought, d’abord il ne pouvait pas le voir, mais maintenant on l’aime bien. Quel plaisir on en a ! J’ai deux poules qui me donnent les œufs à la coque nécessaires, j’en suis contente. Une d’elles va toujours pondre sur le tas de charbon
Illisible
… est-ce que tu as eu beaucoup de plaisir à la fête de chant ?
Quant à Hedy, c’est sûr je comprends trop bien, elle n’a pas besoin de répondre à ma lettre, j’ai seulement voulu savoir si elle l’avait reçue. Quant à une moulure, tant pis j’attendrai, mais n’insiste pas chez Hedy, si je peux me procurer un buste de Solo, je n’aurai plus besoin des moulures, je pourrai les faire moi-même. Non, je ne trouve pas comme toi qu’Irma a bien plus de chic que Hedy, Irma est peut être plus raffinée, mais Hedy a tout de même un petit chic plus distingué, plus parisien, plus simple quoi, du moins comme je me la rappelle.
Tu m’écris d’Elsy Amsler qu’on remarque de loin qu’elle est amoureuse, mais de qui, est-ce qu’elle a des chances ? Raconte-moi.
Sans cela ici tout va bien, la Ricshaw, je ne me suis pas occupée d’elle cette semaine et je ne me suis pas non plus donné de peine pour paraître gentille, je lui ai bien laisser voir qu’elle pouvait aller se promener si elle voulait me traiter pareillement, et tu devrais voir comme elle se donne de la peine maintenant, c’est elle qui me fait des politesses. Vois-tu c’est la seule manière de traiter avec ces sortes de gens.
Faatherli, merci aussi pour ta petite lettre et tous les renseignements des canetons.
Voilà maintenant il me reste encore un petit quart d’heure pour écrire, je te dis c’est fou comme cela prend du temps. Voilà, à la semaine prochaine, ta Ge…  
Je pense que vous êtes en plein déménagement ces prochains jours, (ils passent l’été au chalet de Sutz) et il faudra m’attendre à une semaine sans lettre je pense. Enfin, je saurai pourquoi.


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