11 avril 1934

Keboemen

A sa maman

Rose Marchand 

Dans ma dernière lettre je t’ai promis un compte rendu détaillé de ma visite chez le docteur, le voici.

La première fois, nous avons été ensemble, Oscar et moi. Le docteur nous a reçu dans la salle d’opération, il ne nous a pas fait asseoir, sans doute parce qu’il était pressé, il est toujours très pressé, il a tant de malades, surtout des indigènes naturellement. Il m’a demandé ce que j’avais, je le lui ai expliqué et j’ai aussi raconté que j’avais eu une méningite, etc. Mais il na pas attaché trop d’importance à cela du moment que les médecins d’Âmsterdam m’avaient laissée venir aux Indes. Il me faut te dire que depuis quelques temps, surtout avant d’être indisposée, j’avais un tas de petits malaises passagers.

…..

J’ai raconté tout cela au docteur, on a encore un peu parlé. Je lui ai demandé si les légumes indigènes valaient les légumes européens en valeur de vitamines etc, il a dit oui, ils sont tous très sains. Lundi j’y suis retournée à la même heure. J’avais envoyé l’urine le matin. Il m’a  tout de suite dit qu’il n’y avait rien du tout, il m’a piquée dans le doigt pour du sang, il m’a pris la pression. Elle est trop basse et c’est la cause de tous ces petits malaises. Il m’a recommandé de manger beaucoup, 2 œufs par jour, 1 litre de lait et 6 bananes, régime journalier. Il a ri en disant cela naturellement, il m’a aussi recommandé beaucoup de mouvement. Je dois aussi beaucoup dormir. Je suis donc en bonne santé. J’espère que tu es contente comme je le suis aussi.

Dans ta dernière lettre tu me demandes ce que font mes cheveux. Eh bien, ils se portent bien. Tous les matins je les brosse avec la brosse en acier, je ne pourrais plus me passer de ce massage, et mes cheveux sont beaux. Je n’ai pas trop de pellicules. Je lave la tête environ une fois par mois, et avant le lavage, je frictionne avec de l’huile de noix de coco que ma baboe fait exprès pour moi avec 5-6 noix. Elle cuit les noix et cela donne une huile merveilleuse que toutes les femmes indigènes emploient ici. Cela me donne des cheveux souples et brillants. De même 1-2 fois par mois, je me frictionne tout le corps  avec cette huile, quelques moments avant de me baigner. Oh ! tu sais, je sais bien me soigner. Tu devrais voir comme j’ai reçu une peau blanche et douce de faire cela. Depuis quelques temps, tous les matins à 6 heures, Madame Visser vient m’appeler et nous allons nous promener jusqu’à 7 heures. En rentrant je me baigne et je mets du linge frais. Après dîner, quand Buby est parti pour la fabrique, je vais dormir environ jusqu’à 4 heures. Alors je me lève, je fais un peu de gymnastique. Tüüürhelelelele ! toute nue dans ma chambre, je répète les exercices appris chez la Ryserli, pendant environ 10 min – un quart d’heure, ensuite je vais me baigner de nouveau, mettre du linge frais, une autre robe (un peu une jolie) et me voilà fraîche et dispose pour recevoir Buby qui rentre à 5 heures. J’ai toujours très bon appétit, beaucoup de légumes beaucoup de fruits Nous mangeons des fruits au déjeuner, après le dîner, après le souper et pendant la journée quand l’envie nous en prend. J’ai toujours un plat d’oranges préparées pour quand Buby revient de la fabrique. Tu sais qu’ici il y a beaucoup de sortes de bananes, au moins une cinquantaine, de sorte que tu ne t’en fatigues pas. Je m’en fais des tartines ! Ma baboe fait aussi de bons desserts avec des bananes frites, des bananes en Ofenchuechli (beignet), des bananes cuites avec de la mélasse, pas de celle de chez nous, une autre sorte encore meilleure. Enfin bref, la banane joue un grand rôle ici et comme elle est saine, j’en profite. 

Ma permanente tient encore pour un mois, je pense, peut être un peu plus, elle aura bien fait son temps, n’est-ce pas ? Mamali, il y ces jours combien d’années que nous nous sommes fait couper les cheveux ? Oh !Misère, quand je pense à un certain moment, il me vient presque les larmes aux yeux, la peur me reprend, cela me donne le fou rire quand j’y pense maintenant.

Mamali, écoute, cet été quand les magasins liquideront il y aura bien de bonnes occasions pour acheter des petites chemises en tricot de coton, et de petits pantalons, comme j’ai l’habitude de porter. Tu feras attention au Lama, c’est les petites chemises et pantalons de là qui me plaisent le mieux. Tu te rappelles encore, ceux que j’ai achetés ? Si tu peux profiter d’une bonne occasion, fais-le, et tu me les enverras un par un comme échantillon sans valeur. Je te rembourserai. Tu sais que je ne veux pas des choses de luxe, il faut tant les laver ici. La garniture, soit une chemise, un pantalon, me revenait je crois à environ Frs. 5.--. Peut être chez Tanner qu’il y aura aussi de bonnes occasions. Mais  stp. n’achète pas des « pumphoses », je veux des petits caleçons courts, tu sais rien ne presse, je te l’écris maintenant pour t’avertir à temps.

Voilà, ma Motherli, tu es au courant, je jouis toujours énormément en t’écrivant de ces petits billets, comme cela on cause ensemble comme dans le temps, pas ?